Joan Beringer, le nouvel OVNI français : un premier tour de Draft NBA façonné en moins de quatre ans ?!
Encore avec les cadets de la SIG Strasbourg l’an dernier, Joan Beringer joue désormais 16 minutes de moyenne en EuroCup
Son nouvel entraîneur, Zvezdan Mitrovic ? Non, il ne connaissait pas. C’est son pote, Ulysse Salanon, « calé de ouf dans le basket », qui lui a détaillé tout son parcours et ses faits d’armes à Monaco et Villeurbanne. « Il m’a dit que c’était un coach de fou ! » Normal, Joan Beringer (à prononcer Yoan) ne s’intéressait pas du tout au basket étant plus jeune, à tel point qu’il n’était jamais allé voir un match au Rhénus, alors qu’il a grandi à Strasbourg. Du coup, en bon Alsacien, il voyait quand même qui était Frank Ntilikina ? « Non non », se marre-t-il. « À part LeBron James, Stephen Curry et Michael Jordan, je ne connaissais rien à rien du basket. Ah si, Shaquille O’Neal également ! »
Quand il était enfant, son truc, c’était le foot. « J’en ai fait beaucoup », souffle-t-il, de Sélestat, sa ville de naissance, où il a vécu jusqu’à ses dix ans, à Strasbourg. En bon Alsacien, cette fois, il soutient le Racing Club de Strasbourg, « avant tout », et « aime bien Manchester City aussi. » Encore avant, il avait essayé le judo, mais ça n’avait pas duré. « Une journée type, ça se résumait à jouer à la PlayStation, aller jouer au foot avec mes potes puis manger dehors le soir. » De fait, lors de l’été 2021, il n’avait encore jamais touché le moindre ballon de basket. Et moins de quatre ans après, son nom pourrait être appelé au premier tour de la Draft NBA… Une trajectoire hors du commun : jamais aucun Français n’avait été drafté avec si peu de basket dans les jambes ! Si elle devait devenir réalité, le seul point de comparaison possible serait Ian Mahinmi, passé du football aux San Antonio Spurs en cinq ans.
Venu au basket suite à un problème de crampons
Pour Beringer, son formidable destin avec la balle orange a commencé à s’écrire grâce à.. un problème de crampons au foot. « Vers mes 14-15 ans, je n’en avais plus à ma taille, j’avais de trop grands pieds », sourit-il. Alors, il fallait se chercher un nouveau sport. Et quand on est aussi grand, il y a toujours quelqu’un pour vous proposer de vous mettre au basket. « Tout le monde lui répétait d’essayer », se rappelle son ami Ulysse Salanon. « Même un surveillant du collège lui a dit ! » Dubitatif au début, Joan Beringer se prend au jeu, tente le coup une fois, puis deux… « Jour après jour, en y retournant, j’ai commencé à aimer ça ! » Sur le playground de la Menora, derrière le Parlement Européen, Ulysse Salanon lui enseigne même les basiques. « J’essayais de lui apprendre les doubles pas, aller à droite ou à gauche, la gestuelle de tir, les passes. »
En plus de lui fournir le socle de ses premières connaissances basket, Ulysse Salanon l’incite également à le rejoindre dans son club de Saint-Joseph. Plus de trois ans après, son ancien coach Lilian Oumiloud se souvient de l’arrivée du phénomène dans son équipe U17. « Ulysse me dit qu’il a un pote de 2,07 m qui veut commencer le basket. Je vois débarquer un footeux qui n’a jamais joué, mais hyper dégourdi et ultra athlétique ! Au début, il ne pouvait pas jouer avec les U17 Région. Il n’avait aucune connaissance du placement, aucune compréhension du jeu sur les systèmes ou les rotations défensives. Les premiers mois, il se contentait de l’équipe départementale. »
Les exercices en même temps que les poussins
Mais Beringer est un travailleur… « C’était parfois un flemmard quand il faisait du foot, il séchait des entraînements mais je ne l’ai jamais vu aussi motivé qu’à cette époque », rigole Salanon. Alors Lilian Oumiloud le prend sous son aile : en marge des deux séances hebdomadaires des poussins au sein de la salle Louvois, les deux hommes bossent sur le côté. « J’ai fait comme si j’étais avec un baby », retrace le formateur. « J’ai très vite pris la décision de ne pas le faire travailler les mouvements intérieurs. On bossait le départ en dribble, le changement de dribble, les double pas… » Le géant se retrouve même parfois à partager les mêmes exercices de dextérité que les poussins !
Forcément, un tel profil ne passe pas inaperçu dans le giron local et la SIG parvient à mettre le grappin sur l’OVNI Beringer. Avec seulement un an de basket derrière lui, les débuts en centre de formation ne sont cependant pas très fluides. « Franchement, c’était trop dur au début », avoue-t-il. Le retard par rapport aux autres est immense. Mais le potentiel aussi… « On l’a perçu dès le premier entraînement », affirme Abdel Loucif, son coach de l’époque. « Cela se voyait grâce à deux éléments : son envie de travailler et son physique hors normes. Un grand aussi délié, qui avait déjà des mains, c’est exceptionnel. Il était devant tout le monde avec les meneurs quand on faisait les longueurs de terrain ! » Envoyé en couveuse chez les cadets région de la SIG Association, le Sélestadien garde un petit rôle avec les U18 France et se distingue lors du Final Four où Strasbourg échoue en finale face à Gravelines-Dunkerque. « Après cela, il y a eu le dernier match des Espoirs où j’ai vraiment eu du temps de jeu (31 minutes) et j’ai pu montrer ce que je savais faire (9 points à 4/5, 3 rebonds et 2 contres à Roanne, ndlr). » La machine est lancée.
Il devait évoluer en D3 slovène
Depuis, sa progression a été météorique. De 4,1 points de moyenne avec les U18 en 2022/23, il passe à 17,4 la saison dernière. Parallèlement, il s’impose comme un cadre de l’équipe Espoirs (9,4 points à 67%, 8 rebonds et 1,5 passe décisive). « J’ai ressenti mes progrès mais j’ai presque l’impression que ça s’est fait naturellement car j’ai énormément travaillé avec Abdel Loucif », explique-t-il. « On utilisait tous les moments possibles pour bosser », insiste l’entraîneur strasbourgeois. Et notamment les creux entre deux cours au lycée. « On était dans les coursives du Rhénus, on ne faisait que des dribbles, des passes et de la gestuelle sans panier… C’était un peu particulier (il rit). Avant cela, mon premier but avait été de lui gonfler le moteur de l’enthousiasme et de lui donner le plaisir de faire des beaux gestes. Mais vu qu’il a un mental d’enfer, il s’est ensuite mis à travailler ses fondamentaux comme un acharné. »
De quoi lui paver la voie vers un premier contrat professionnel. À la SIG, forcément ? Pas vraiment… Pourtant, le club bas-rhinois lui propose bien de passer pro en tant que 11e membre de l’équipe. Mais quelques entraînements individuels effectués avec le Cedevita Olimpija l’hiver dernier, en marge d’un traitement dans une clinique slovène, avaient ouvert la concurrence. Pendant toute la fin de saison, Joan Beringer cogite : Strasbourg ou Ljubljana ? « Avec tout mon entourage, on a jugé que c’était un meilleur projet pour moi en Slovénie. Dans le basket, ce que j’aime le plus, c’est bosser et progresser. » Or, le Cedevita Olimpija lui proposait d’abord d’intégrer son équipe réserve, en troisième division slovène, entraînée par Miro Alilovic, l’un des formateurs les plus réputés du basket slovène. « Il a sorti des grands noms ! » Parmi lesquels Jan Vesely, qui lui demanda même de devenir son coach personnel, ou les frères Dragic. « Ça m’a direct botté ! »
Sauf que le plan n’a pas été respecté… Censé être avec l’équipe bis, Joan Beringer (qui n’a fêté ses 18 ans que le 11 novembre dernier) ne jouera finalement pas un seul match avec les juniors du Cedevita Olimpija. Pourquoi ? Parce que son nouveau coach, Zvezdan Mitrovic, l’a vu à l’oeuvre lors de sa campagne avec l’équipe de France et demande à l’intégrer aux premiers entraînements estivaux. « On a vite reconnu son talent et son envie de s’améliorer », souligne l’ancien technicien de la Roca Team. « Au début, je n’étais pas bon mais il m’a laissé ma chance lors des matchs amicaux et je pense que j’ai su la saisir », glisse le Français. Pour cause, de simple sparring-partner, il s’est directement imposé comme deuxième pivot de Ljubljana, avec 16 minutes en moyenne en EuroCup et Ligue Adriatique (3,7 points à 56%, 4,1 rebonds et 1 contre en 31 matchs) ! Au-delà de toutes les espérances mutuelles. « Je n’aurais pas pensé que je pourrais faire tout cela aussi vite avec les pros », admet le joueur, tandis que Mitrovic insiste sur le fait que « [son] protégé progresse plus rapidement que prévu. » Le reflet des cases cochées les unes après l’autre ces derniers mois. L’équipe de France juniors ? Première cape l’été dernier. « Une vraie fierté et le premier moment où j’ai regardé derrière pour réaliser que j’avais fait du chemin. » Le premier contrat professionnel ? Signé en novembre. « Une énorme émotion. »
« Il n’y a pas beaucoup d’autres humains comme ça sur cette planète »
Il faut dire, aussi, que Joan Beringer offre un profil unique. « Quand tu fais 2,10 pieds nus, 2,25 m d’envergure, que tu cours et que tu sautes comme ça, que t’as des bonnes mains, que t’es hyper sérieux et d’une gentillesse extrême, il n’y a pas beaucoup d’autres humaines comme ça sur cette planète », énumère son agent, Valentin Le Clézio. Défensivement, l’Alsacien fait valoir ses qualités athlétiques pour s’imposer comme le meilleur contreur de Ligue Adriatique. « L’énergie, la défense, la verticalité, ce sont mes points forts. » Avec un match référence dans le domaine le 30 décembre face au Partizan Belgrade : une courte défaite (76-78), seulement 2 points marqués mais un +/- remarquable (+16), le seul positif de son équipe. « Face à Tyrique Jones et Brandon Davies, je n’étais pas trop serein au début pourtant », sourit-il. Et de l’autre côté du terrain, il est une cible facile sur alley-oop grâce à ses qualités de course et de détente. Une palette en constante évolution, à tel point qu’il se surprend lui-même. « C’est encore arrivé la semaine dernière contre Jérusalem », raconte-t-il. « À la base, je pars pour le high-low et je vois qu’il n’y a personne. Je ne sais pas pourquoi je shoote mais ça rentre et c’était une bonne surprise. »
La preuve qu’il est un pivot qui se destine, à terme, à pouvoir shooter à 3-points tant sa marge de progression reste colossale. « L’axe majeur, c’est sur tous les fondamentaux », estime-t-il. « C’est l’une des raisons de ma venue à Ljubljana. Je veux apprendre à mieux contrôler la balle, mieux jouer au poste, mieux analyser les situations. J’aimerais pouvoir être une menace n’importe où sur le terrain, que ce soit à 3-points, dans la raquette ou un peu en dehors. J’ai vraiment envie de devenir un joueur qui peut marquer dans beaucoup de situations. »
Sportivement, Joan Beringer est aussi bien tombé, dans une équipe performante, deuxième de son groupe d’EuroCup (10v-5d), encadré par Andrija Stipanovic au poste 5. Symbole des pivots de l’ancienne Yougoslavie, qui tentent de lui faire la leçon tous les week-ends, le Bosnien était déjà pro alors que son coéquipier français n’était même pas né ! « Il m’aide au quotidien, il me donne tellement de conseils, j’apprends tous les jours de lui ! » Le tout sous les ordres de Zvezdan Mitrovic, un coach réputé pour ne pas prêter attention au CV de ses joueurs. « Ce n’est pas une légende ça, il s’en fiche vraiment du statut, tant que tu es concentré et que tu donnes tout sur le terrain », rigole-t-il. « Joan progresse tous les jours des deux côtés du parquet », apprécie le technicien monténégrin. « Il a du talent et une super éthique de travail. On sait tous qu’il est encore d’apprendre les bases, vu qu’il vient tout juste de démarrer le basket. Pour l’instant, on est dans la première phase de son développement, où on lui apprend tout à propos de la défense. »
24e dans la dernière mock draft d’ESPN
Une première phase d’un développement, qui se voulait pluriannuel à la base avec un contrat courant jusqu’en 2028, mais qui pourrait bien être amputé des étapes suivantes… Son ascension est si météorique que Beringer est désormais pronostiqué à la 24e place de la prochaine Draft NBA par ESPN. Ce qui surprend, quand même, tous ceux qui ont cru en lui depuis le début… « En Pro B, ça ne m’aurait pas étonné, mais en EuroCup, je suis très surpris« , ne cache pas Abdel Loucif. Quand il se rappelle des exercices communs entre les poussins et Beringer à Saint-Joseph en… 2022, Lilian Oumiloud doit également presque se pincer devant l’évolution de son ancien rookie. « C’est normal qu’il progresse, mais pas aussi vite ! Personne ne s’attendait à ça. Mais la combinaison entre ses prédispositions génétiques, sa capacité de travail, son humilité et son intelligence de gestion des émotions… ça fait peur ! »
Joan Beringer leads the Adriatic League in block % (6th in EuroCup) at 18, while making an increasingly strong impact vs high-level competition. Quick off his feet with impressive mobility, there's a lot to like long-term with his 7'4 wingspan and late-blooming profile. pic.twitter.com/PgfrZXnrAO
— Jonathan Givony (@DraftExpress) January 18, 2025
Et le principal intéressé ? « Non, je ne réalise pas. Je veux toujours faire mieux donc j’essaye de rester concentré sur le prochain match pour donner le meilleur de moi-même. » Mais voir son nom dans les mock draft a de quoi décontenancer. « Ça fait un peu bizarre, je regarde ça sans vraiment y prêter attention. Aller en NBA, c’est un rêve qui est maintenant devenu un objectif : je travaille tous les jours pour cela ! »
« Le niveau, ça change trop ! »
Au cœur de ce tourbillon, l’ancien U17 département de Saint-Joseph (passionné par les livres, les mangas et… la pêche en dehors du basket) tente aussi de profiter du moment, alors qu’il vit une transition vertigineuse, des cadets France à l’EuroCup. « C’est un truc de fou », savoure-t-il. « C’est un autre monde, c’est un énorme pas en avant ! Le niveau, ça change trop mais je me suis assez bien adapté. Ce qui m’a le plus bizarre, c’est le cadre en fait ! Tu passes d’un match U18, où il n’y a pas grand monde dans la salle, à la Coupe d’Europe, où il y a les lumières, la présentation des joueurs, une salle blindée, tu n’entends rien. » Dans l’immense Stozice Arena, et ses 12 000 places, il est vrai que l’environnement n’a plus rien à voir avec le vétuste Hall de la Poste, qui a été le théâtre de ses progrès ces deux dernières saisons. Désormais, il a élu domicile au sein de la salle où l’équipe de France a remporté son seul titre de champion d’Europe. « Ah bon, c’était là ?! Je ne savais pas du tout, vous me l’apprenez ! » Toute une culture basket qui continue de s’étoffer. Rien d’étonnant. Après tout, elle n’a que 40 mois d’ancienneté…
À Bourg pour son premier match pro en France ce mercredi soir
Huit mois après une défaite en quart de finale du Trophée du Futur contre Gravelines-Dunkerque à Nancy, Joan Beringer (2,10 m, 18 ans) va retrouver les parquets français ce mercredi avec une rencontre d’EuroCup à Bourg-en-Bresse.
« Ce match est très spécial pour moi », anticipe-t-il. « Il y aura ma famille et mes amis qui viendront me voir ! » Dont Ulysse Salanon, qui vient dans une voiture à cinq, avec d’autres anciens de Saint-Joseph ou de la SIG. « J’ai hâte d’y être. Revenir en France dans ce contexte, ça va être particulier. J’ai envie de continuer à faire ce que je sais faire. » Il arrive lancé après avoir réalisé son meilleur match en professionnel mardi dernier face à l’Hapoël Jérusalem : 8 points à 3/6, 11 rebonds, 3 passes décisives et 2 contres pour 18 d’évaluation en 19 minutes.
Un déplacement à Ékinox qui s’inscrit au cœur d’une interminable semaine passée sur la route. Depuis neuf jours, le Cedevita Olimpija est entre les avions et les hôtels, de la Bulgarie à Bourg-en-Bresse, en passant par Panevezys et Dubaï. « C’est un truc de fou ! Je n’avais jamais autant voyagé que ces derniers jours ! » La vraie vie de joueur professionnel, en somme. Là aussi, ils semblent loin les déplacements en mini-bus vers Gries-Oberhoffen ou Metz pour des matchs U18…
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