ITW Alexandre Bouzidi, le choix de l’exil : « À Limoges, je ne voyais pas la lumière au bout du tunnel »

Alexandre Bouzidi évolue désormais avec les EPG Guardians de Coblence, en deuxième division allemande
Au moins, vu la couleur – verte – du maillot de Coblence, Alexandre Bouzidi (1,97 m, 21 ans) n’a pas dû être trop dépaysé au moment de démarrer sa nouvelle aventure en deuxième division allemande. Sauf qu’en un seul match avec les EPG Guardians, le Lyonnais a été plus responsabilisé (21 minutes de jeu), qu’il ne l’a jamais été à Limoges (57 minutes au total depuis le début de saison), qui l’a libéré de ses… deux ans et demi de contrat restant.
Rapidement performant avec sa nouvelle équipe (7 points à 1/4, 7 rebonds et 9 passes décisives pour 16 d’évaluation en 21 minutes), accueilli par une banderole en Français (« Bienvenue Alexandre ») dans la salle, l’ancien meneur de Roanne a également permis à Coblence de briser une série de huit défaites consécutives face à la réserve du Rasta Vechta (107-69). Pas mal pour quelqu’un qui était encore en vacances au Maroc cinq jours auparavant !
Alexandre, comment s’est déroulé votre transfert entre Limoges et Coblence la semaine dernière ?
Pour la petite histoire, j’étais en vacances au Maroc depuis lundi avec Zacharie Perrin et dès le premier jour, ça ne faisait que bouger, j’avais beaucoup de coups de téléphone. Et mercredi soir, on m’appelle : « Tu vas en Allemagne. Demain. »
Vous avez quand même eu votre mot à dire dans l’histoire ?
En soi, oui, bien sûr… C’est moi qui était chaud pour y aller mais le timing était un peu serré. Il y avait match dimanche et il fallait que je sois qualifié avant le vendredi midi. Il fallait donc que j’y sois jeudi soir au plus tard. J’étais au Maroc sans mes affaires. C’est mon père qui a dû faire un aller-retour vers Limoges, vider mon appartement, récupérer mes affaires et me les amener en Allemagne.
« Entendre qu’un coach croit beaucoup en moi, ça change et ça fait plaisir »
Donc quand on vous annonce que vous partez en Allemagne, quel est le sentiment qui prédomine ?
Content (il s’interrompt)… Quoique non, pas encore. J’avais surtout du stress car je me rends compte que je m’embarque dans une aventure à l’étranger, en deuxième division, que je ne connais pas beaucoup. J’avais eu le coach au téléphone et il me dit que l’organisation n’est pas top, que l’équipe joue le maintien, qu’elle n’a pas encore gagné un match en 2025. Donc bon… Je pensais surtout que j’allais voir comment ça va se passer. Sauf que maintenant, après le match de dimanche (victoire 107-69) et la façon dont j’ai été accueilli, je suis content là !
21 minutes pour votre premier match, votre record de temps de jeu en pro, en effet… Ça fait du bien ?
Beaucoup de bien… Ça faisait longtemps. En plus, je ne me suis entraîné que deux fois avec l’équipe. J’ai été bien accueilli par les gars, que ce soit sur le terrain ou en dehors. J’ai pas mal de libertés, le coach (Marco Van Den Berg) me fait grave confiance. Il croit beaucoup en moi : ça change et ça fait plaisir. Sa seule consigne, c’était : « Sois toi-même, joue ton jeu et fais ce que tu veux ! »

Et ça fait quoi d’entendre cela de la part de son entraîneur ?
Alors là… Ça donne beaucoup de confiance d’entrée, j’étais libéré. À Limoges, je ne jouais pas mon jeu, je n’étais pas dans les meilleures conditions pour m’exprimer. Donc entendre ça d’une semaine à l’autre, c’est incroyable.
En plus, vous avez eu un apport immédiat, si l’on ne juge que par les statistiques (7 points, 7 rebonds et 9 passes décisives pour 16 d’évaluation) ?
Quand le coach m’a dit de jouer mon jeu, je me suis senti un peu comme en équipe de France juniors. J’ai pris le ballon, j’ai organisé et j’ai un peu tout fait. C’est une équipe qui a besoin d’un meneur. Ils ont des Américains qui jouent beaucoup pour eux donc il faut organiser cela. J’ai dit : « OK, donnez moi le ballon et je m’occupe de tout ! »
Alexandre Bouzidi put out a top performance against Vechta II in his debut in German second division.
Dropping dimes beating their hard-edge defense to secure the win.
Could be a great addition next summer for every MM/HM school in College Basketball. @BouzidiAlexand1 pic.twitter.com/UlcPsBPeev
— Amine (@AmineSymbiose) February 17, 2025
Avez-vous le triple-double dans les jambes pour la fin de saison ?
(Il hésite) Oui (il rit)
« Un vrai regret de ne jamais avoir fait vibrer Beaublanc »
Parlons de Limoges : comment avez-vous vécu ces six mois au CSP où vous n’avez jamais vraiment trouvé votre place ?
Ça a vraiment été des moments compliqués. Quand j’y étais, je ne voyais pas la lumière au bout du tunnel. Maintenant, je la vois, c’est juste dommage que ce ne soit pas à Limoges. Quand je suis arrivé au CSP, je sortais d’un bon championnat d’Europe, j’étais bien, prêt à jouer, en confiance de ouf. Mais dès le début, j’ai vite compris qu’on ne comptait pas sur moi, qu’on ne me calculait pas forcément. J’ai vécu ce que beaucoup de joueurs ont vécu : tu ne joues pas, on ne te parle pas, tu ne sais pas trop si l’on a besoin de toi. Tu es dans l’équipe physiquement mais mentalement, tu ne sais pas, car tu ne joues pas. En plus, à l’entraînement, on était 11 donc je me retrouvais parfois sur le côté. Quand ça débriefe le match mais que tu ne l’as pas joué, t’es un peu en retrait, tu ne sens pas trop dans l’effectif. Heureusement que je n’ai pas douté. Ce qui m’a sauvé, c’est le championnat d’Europe U20. On a gagné, j’ai pu jouer et m’exprimer, tout le monde a pu voir mon vrai niveau, y compris moi-même. À Limoges, je n’avais rien, pas d’opportunités, je ne pouvais rien montrer. Quand je jouais, c’était avec des limites. Quand tu sais qu’on ne croit pas en toi, qu’on ne te fait pas confiance, c’est très compliqué de jouer…
Mais pourquoi avoir signé à Limoges à la base l’été dernier ? Votre choix avait un peu surpris puisqu’il y avait déjà un meneur américain (Tyrell Terry) ainsi que Lucas Beaufort et Vincent Amsellem. Cela faisait beaucoup au poste 1…
C’était un projet sur le long terme. J’aurais vraiment aimé m’installer à Limoges. Je ne m’attendais pas à jouer 20 minutes sur la première saison. En plus, je voulais prendre le temps de régler des problèmes physiques. Je me disais que c’était un bon environnement pour cela, une équipe jeune, qu’il pourrait y avoir de la place, que je pourrais m’entraîner. Sans parler du temps de jeu, c’est la manière dont s’est passée cette première année s’est passée qui a fait que… (il a voulu partir, ndlr) Crawford (Palmer), lui, me faisait confiance, me parlait beaucoup mais ça ne suivait pas derrière sur le terrain. Je ne voyais pas forcément la confiance derrière sur le projet long terme.

Justement, partir au bout de six mois alors que c’était un projet de trois ans…
(Il interrompt) Je le prends comme un échec. C’est un vrai, vrai, vrai regret de ne pas avoir jamais fait vibrer Beaublanc. C’est dommage. Après, je sais que ce n’est pas forcément de ma faute. J’ai donné ce que je pouvais, j’ai été sérieux, j’ai travaillé. Mais parfois, il y a des coachs qui ne te font pas confiance.
Mais n’y avait-il pas moyen de penser que la situation pouvait encore s’inverser, peut-être la saison prochaine ? Avec encore deux ans et demi, il pouvait se passer beaucoup de choses…
Pendant un moment dans la saison, après le départ de Tyrell Terry, il y avait de la place. On n’était plus que dix et même là, je ne jouais pas. L’année dernière, j’avais D.J. Cooper devant moi, le meilleur passeur d’Europe, et j’arrivais quand même à avoir des minutes. Là, je n’en avais pas, alors que c’était une équipe avec un projet jeunes. Je ne savais pas comment ça allait se passer mais je me doutais que ça allait être compliqué.
« Si je peux revenir un jour à Limoges… »
Même le changement de coach ne vous a pas fourni une petite ouverture ?
Je l’ai déjà vécu l’année dernière à Roanne. C’est délicat car il y a un nouveau assistant qui monte, qui joue sa carrière, donc c’est compliqué de ressortir un jeune qui était au placard pendant six mois, même si je m’entendais bien avec Mikko (Larkas) en dehors du parquet. Je n’ai pas forcément les réponses. J’essaye de comprendre le point de vue de tout le monde, même de Jean-Marc (Dupraz). Peut-être que je n’étais pas son type de joueur. Je ne vais pas remettre la faute sur les autres, peut-être que j’ai aussi mes torts.
Limoges vous a libéré mais la formulation de leur communiqué garde une porte ouverte pour l’avenir…
Ils m’ont dit qu’ils garderaient un œil sur moi et mon développement. Pour moi, c’est un échec de ne pas avoir réussi là-bas donc si je peux revenir un jour à Limoges, être moi-même, jouer et réussir, ce serait avec grand plaisir. J’ai vraiment kiffé le club, son histoire, les supporters.
Pensez-vous que le CSP a les moyens d’aller chercher le maintien ?
Oui, il y a tout pour. Le groupe vit bien. Ils sont sur une nouvelle bonne dynamique. Bien sûr qu’ils vont aller le chercher.

Pourquoi avoir choisi Coblence spécifiquement ?
Parce que je sentais que j’allais vraiment pouvoir me libérer ici ! Ces derniers temps, c’était beaucoup de frustration, peu de temps de jeu. Je ne voulais pas aller quelqu’un où j’allais me poser des questions. Ici, le coach me voulait vraiment, il aime bien mon style de jeu. A part l’été dernier avec Guillaume Vizade, ça faisait longtemps que je n’avais pas retrouvé ça. Je voulais de la liberté, aller dans un endroit où je pouvais m’exprimer, dans une équipe qui ne tourne pas autour que d’un joueur. On m’avait dit ça et c’est bien ce qui s’est passé lors du match. Donc je suis super content de mon choix !
Ce n’est pas la première fois que vous aviez l’opportunité de vous expatrier…
J’avais déjà eu des offres pour partir à l’étranger cet été. Mais je n’avais pas trop envie aussi vite. Je voulais rester en France, me faire un nom ici. Je ne me voyais pas partir trop tôt. J’ai essayé. À Roanne, ce n’était pas si mal, j’ai eu du temps de jeu là-bas. Mais vu ce qui s’est passé à Limoges, je me suis dit que c’est peut-être un signe et qu’il faudrait aller voir ailleurs.
« Il y a plus de pression, je ne suis plus le petit Français en France »
L’échantillon est sûrement trop faible, avec un seul match, mais à quoi ressemble la deuxième division allemande ?
Un peu compliqué à dire, en effet. Surtout qu’on a joué la réserve du Rasta Vechta, avec pas mal de jeunes. Mais de ce que j’ai cru comprendre, c’est assez physique, beaucoup moins athlétique et rapide que la France. Il y a plus de tirs à 3-points.
Votre club est 15e sur 18, avec une seule victoire d’avance sur la zone rouge. Dans ce contexte, l’objectif est forcément le maintien ?
Oui, c’est pour ça qu’on m’a vite fait comprendre qu’il fallait être prêt pour dimanche, qu’il fallait absolument gagner. Vu qu’on jouait les derniers, c’était un concurrent direct. J’aime bien, c’est un challenge, je n’arrive pas quelque part où il n’y a plus rien à jouer. Il y a vraiment quelque chose à faire.
En terme de responsabilité, c’est un grand écart : vous passez d’un rôle négligeable de 11e homme à celui de meneur titulaire, avec un statut d’étranger qui plus est…
J’ai plus de pression, je ne suis plus le petit Français en France, je suis celui qui prend une place d’étranger. J’aime bien, ça me fait prendre en expérience et en maturité. C’est une bonne pression. Le coach m’avait déjà vu jouer avec les équipes de France juniors. Il sait que j’ai déjà connu la pression, que je ne suis pas un petit qui n’avait rien fait.

N’y-a-t-il pas aussi, même inconsciemment, une mauvaise pression, du type : « Mais que se passera-t-il si je suis en échec en deuxième division allemande ? » ?
Oui… C’est sûr qu’au moment où je reçois les offres, c’est ce que j’ai pensé. Mais je pensais plus à la blessure, qu’aux mauvaises performances. Au final, je me suis dit, entre guillemets : « Soit tu es un homme, soit tu n’en es pas un : si t’as confiance en toi, t’y vas en fermant les yeux ». Mon père m’a dit la même chose, de ne pas y aller si je doutais mais de foncer si j’avais confiance.
À seulement 21 ans, est-ce peut-être aussi quelque chose qui permet de grandir un peu plus vite ?
C’est ce que tout le monde m’a dit. Je me retrouve livré à moi-même en Allemagne, quelque part où les gens ne parlent pas très bien anglais. Je suis content. Ça fait longtemps que je me tâtais à partir. J’ai toujours voulu aller voir ailleurs, voir comment c’était. Pour l’instant, ça se passe bien. Plus tard, je serai fier de m’être dit qu’à 21 ans, je suis parti solo en Allemagne.
Commentaires