ASVEL : Les raisons d’un échec
Depuis Roland Garros, où il se trouvait dimanche (plutôt qu’à l’Astroballe), Tony Parker a sûrement pris connaissance des déclarations de son frère T.J. « Il ne faut pas mettre une croix complète sur la saison », soutenait l’entraîneur de l’ASVEL. Une plaidoirie entendable puisque 16 autres clubs du championnat rêveraient d’être à la place de Villeurbanne, avec un trophée en poche. Mais justement, quand on s’appelle Lyon-Villeurbanne, on ne peut pas se contenter que de la simple Leaders Cup, acquise qui plus est grâce à un concours de circonstances favorables (Boulogne-Levallois et Le Mans très diminués en quart et demi), mais là n’est pas la question. « À l’ASVEL, on veut toujours être au top », disait aussi T.J. Parker dimanche.
Pour la première fois depuis l’exercice 2017/18, conclu à la 6e place du championnat, la saison de l’ASVEL s’apparente à un échec. À part le week-end à Saint-Chamond, aucun des autres objectifs n’a été atteint. Perdre en finale de Coupe de France contre l’AS Monaco n’a certes rien de déshonorant, mais la manière a laissé un goût amer, avec un match totalement raté (70-90). Sans même parler de playoffs, voire de remporter l’EuroLeague comme Tony Parker s’y était risqué dans un tweet euphorique après la signature de Nando De Colo, faire mieux que les deux dernières éditions aurait déjà été une réussite. Or, Villeurbanne ne cesse de reculer dans la hiérarchie : 10 victoires en 2019/20 avant l’interruption dû à l’épidémie de Covid-19, 13 en 2020/21, 10 en 2021/22 et 8 en 2022/23. Surtout, sa fin de saison a ressemblé à un long chemin de croix, avec 13 défaites consécutives pour terminer avec le bonnet d’âne. Enfin, quand on a les moyens de l’ASVEL, difficile de ne pas considérer comme un flop le fait d’être éliminé avant même la finale du championnat de France, quand bien même la circonstance atténuante de la blessure de De Colo existe réellement… Alors quels sont les motifs d’explications de cette saison 2022/23 si décevante ?
1 – Un recrutement raté
« Entre 60 et 70% d’une saison se joue lors de l’intersaison », soufflait Frédéric Fauthoux samedi, en évoquant le chantier qui l’attend cet été à Bourg-en-Bresse. Partant de ce constat, l’ASVEL s’est mis un boulet au pied lors de son marché estival. Avec un nom qui symbolise ces tâtonnements : celui de Parker Jackson-Cartwright. MVP de Pro B en 2021, du championnat allemand en 2022, l’ancien saint-quentinois n’a pas poursuivi son conte de fées à Villeurbanne. Certes à la hauteur en Betclic ÉLITE, son physique léger le faisait souffrir en EuroLeague, où il était beaucoup trop régulièrement ciblé par les attaques adverses. On pourra aussi évoquer le cas du rookie Anthony Polite, signé pour deux ans et reparti dans l’anonymat le plus total en décembre avec 25 points marqués au total. Une jeunesse qui a coûté cher lors d’un début de saison raté. « L’équipe est moins expérimentée et moins talentueuse que par le passé, mais ce n’est pas grave », lâchait ainsi Charles Kahudi, au plus fort de la tempête, début décembre.
Une grande partie du destin rhodanien s’est peut-être aussi jouée en début d’été avec, évidemment, le départ imprévu de Victor Wembanyama, alors qu’il était censé se retrouver au cœur du projet, puis avec le choix de Livio Jean-Charles. Alors que les dirigeants avaient choisi de ne pas tenter de prolonger William Howard, le héros du 21e titre, l’ancien intérieur de l’Olympiakos devait revenir au bercail pour tenir le poste 4. Mais il a finalement été séduit au dernier moment par la proposition lucrative du CSKA Moscou, laissant Villeurbanne sans solution de repli. Si ce n’est celle de confier plus de responsabilités que prévues à Amine Noua. Or, ce poste 4 a aussi été l’un des points faibles de l’ASVEL tout au long de la saison, malgré les deux dernières sorties très réussies en playoffs du Vénissian.
Enfin, avec une masse salariale de 4,2 millions (en hausse de 27%), l’ASVEL aurait peut-être pu tenter autre chose que ces paris là. Mais il était difficile de faire autrement en choisissant d’investir énormément, pour ne pas dire plus, sur le duo Nando De Colo – Joffrey Lauvergne. Difficile, aussi, de jeter la pierre au front-office lorsqu’on se rappelle du flair rhodanien sur certaines bonnes pioches récentes : les Tonye Jekiri ou Chris Jones, qui évoluent désormais dans des sphères inatteignables pour l’ASVEL. Les autres paris intermédiaires ont plus ou moins bien fonctionné : le buffle Retin Obasohan a été plutôt intéressant, Jonah Mathews dispose d’un vrai talent offensif mais a été trop irrégulier, Yves Pons a progressé mais fut l’objet d’une gestion difficilement compréhensible, à l’image de la demi-finale contre les Mets où il fut le détonateur de la révolte lors du Match 2 avant de ne pratiquement plus jouer par la suite.
2 – Les blessures
Impossible de donner tort à T.J. Parker sur ce point : il est bien difficile de gagner une série de playoffs en étant contraint de laisser deux joueurs cumulant 2,5 millions de salaire en civil. Malheureusement, la rupture des ligaments croisés de Joffrey Lauvergne dès le 20 octobre a constitué un vrai tournant. Invisible au début, son remplaçant Alex Tyus a finalement donné satisfaction mais n’a pas du tout fourni le même profil. « On ne va pas se mentir, l’absence de Joffrey a pesé », disait l’entraîneur rhodanien dimanche soir. « Joffrey est un joueur qui crée de l’attaque et on a parfois connu des faiblesses dans ce domaine, ça a été très dur. »
L’ASVEL avait pourtant réussi à s’en remettre et à terminer sa campagne hexagonale en trombe, comme à son habitude, avec 13 victoires en 15 matchs. Mais la blessure au mollet de Nando De Colo contre Le Mans, après 10 petites minutes en playoffs, fut le coup de grâce. « C’était le leader et le scoreur n°1 », résume T.J. Parker. C’était aussi le plus gros CV du championnat de France, la figure de proue du recrutement, la vraie prise de guerre de l’été dernier, celui qui avait fait dire à Tony Parker dans un élan d’euphorie qu’il rêvait de soulever l’EuroLeague à ses côtés. Injouable sur les gros matchs, comme lors de la Leaders Cup dont il a terminé MVP (17,7 points et 4,3 passes décisives), il a terriblement manqué à son équipe en demi-finale. À tel point que les Metropolitans 92 voulaient absolument terminer la série à l’Astroballe, pour ne pas avoir à subir son retour sur le Match 5. « Déjà, quand on a vu à l’échauffement, on s’est dit : ouuuh, on verra », disait Lahaou Konaté dans une phrase accompagnée d’un sifflement de crainte. « Quand on s’est rendu compte qu’il ne jouait pas, à la mi-temps, on a compris qu’il y avait moyen de continuer à creuser l’écart et on a tout fait pour éviter un Match 5. »
3 – Un jeu défaillant
Le constat va de pair avec l’absence de Nando De Colo : sur son dernier match de la saison, l’ASVEL a terminé avec 12 passes décisives (sur 30 paniers marqués). Un total famélique. Depuis plusieurs saisons, l’ASVEL brillait par l’incroyable talent de ses individualités sur la ligne arrière (Thomas Heurtel – Norris Cole en 2021, Élie Okobo – Chris Jones en 2022, Nando De Colo en 2023) mais, derrière l’intensité et les qualités athlétiques, le fonds de jeu est resté douteux. Une anémie collective qui résulte aussi d’une équipe mal construite depuis le départ, et vieillissante de surcroit. Afin de compenser la faiblesse identifiée depuis le faux-bond de Livio Jean-Charles, un poste 4-3 a longtemps été la priorité de recrutement au cœur de la saison mais n’est finalement jamais arrivé à l’Astroballe. L’arrivée de Dee Bost en janvier a indéniablement fait beaucoup de bien mais n’a pas su compenser le déficit de création.
S’il est le coach français le plus titré, et de loin, depuis sa prise de pouvoir en 2020, T.J. Parker possède sa part de responsabilité dans ce domaine, alors que la gestion des jeunes prospects (Victor Wembanyama et Zaccharie Risacher) représente déjà une pierre dans son jardin. Son coaching a également soulevé son lot d’interrogations, comme la gestion d’Yves Pons (voir ci-dessus) ou l’absence totale de Youssoupha Fall dans les 15 dernières minutes du Match 4 face aux Mets, alors qu’il aurait certainement pu ralentir Wembanyama. Mais globalement, si l’ASVEL a souvent réussi à imprimer une véritable dureté défensive (comme lors de la finale de Leaders Cup face à Bourg, un modèle du genre), le jeu offensif fut (trop) souvent assez terne. Et on n’oubliera pas les visages totalement opposés montrés par le triple champion d’un soir à l’autre, parfois aussi dans le même match, comme lors de cette fameuse quatrième manche face aux Mets. « Ce match reflète les travers de notre saison avec trop d’inconstance », a immédiatement diagnostiqué Charles Kahudi.
« On ne peut pas toujours être au top », philosophait T.J. Parker dimanche, et c’est entièrement vrai d’un côté. C’est aussi pour cela qu’on n’avait pas vu de quadruplé en France depuis 93 ans, et l’exploit unique du FA Mulhouse, et qu’il faudra désormais attendre, a minima, jusqu’en 2026 avant d’avoir la possibilité de trouver un successeur aux Alsaciens. Toujours est-il que l’ASVEL devra redorer son blason dès la saison prochaine. Et s’il y a une telle urgence à le faire, c’est justement parce qu’il s’agit de l’ASVEL…
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