Jordan Theodore (Kazan), le grand écart : de trois relégations d’affilée aux sommets européens
Du haut de ses 15 années en tant que responsable logistique de la JL Bourg, Arafat Gorrab en a côtoyé des joueurs. Plus de 150 maintenant. Et parmi tous ceux-là, Jordan Theodore (1,83 m, 31 ans) reste celui dont la trajectoire l’a le plus surpris. « On savait qu’il était bon mais on ne pensait pas qu’il ne jouerait que des Coupe d’Europe en sortant de Bourg », disait-il l’été dernier à Ma(g)ville. « Il a notamment disputé l’EuroLeague, c’est une grosse surprise pour moi. »
Aussi fort individuellement fut-il dès ses premiers pas en Europe, à tel point qu’il fut sollicité par l’ASVEL en septembre 2013, il est vrai que le meneur de l’UNICS Kazan partait de loin. S’il dispute actuellement sa quatrième finale internationale (après la FIBA Europe Cup 2016, la Champions League 2017 et la Coupe Intercontinentale 2019), ses trois premières saisons professionnelles s’étaient soldées par… trois relégations ! Il y eut Antalya en 2013, Mersin en 2014 et Bourg-en-Bresse en 2015 Parmi toutes ces expériences négatives, seul son passage dans l’Ain trouve grâce à ses yeux.
« Bourg reste l’une de mes villes préférées en Europe », s’exclamait-il lundi à Monaco, dans un enthousiasme aussi surprenant (quand on a vécu à Istanbul, Athènes, Kazan ou Milan) que non-feint. « J’adore Bourg ! Je suis encore en contact avec pas mal de personnes connues là-bas. Je suis heureux de voir que la JL est devenu un grand club, les dirigeants ont fait du bon boulot. D’était sympa de les retrouver en EuroCup en décembre dernier et de revoir des visages connus… À l’époque, j’étais extrêmement déçu d’être arrivé trop tard dans la saison et de ne pas avoir pu éviter la descente. J’aurais vraiment voulu revenir à Bourg et y rejouer l’année suivante. »
Francfort, le tournant
Finalement, la relégation de la Jeunesse Laïque fut, pour lui, un mal pour un bien puisque la saison suivante (2015/16) lui a permis de changer le cours de sa carrière. Habitué à évoluer dans des équipes qui perdaient, Jordan Theodore aurait pu se retrouver enfermé dans une case. Au lieu de cela, Francfort lui a tendu la main et celui a permis de mettre fin à ce triptyque abominable en remportant la toute nouvelle FIBA Europe Cup. Le début d’une dynamique pratiquement ininterrompue jusqu’ici puisque s’en sont suivis le trophée de MVP de la Champions League en 2017 (avec Banvit), le gain de la Coupe de Turquie la même année (et un titre de MVP de la finale en prime), le trophée de champion d’Italie en 2018 avec Milan puis la Coupe Intercontinentale FIBA en 2019, sous les couleurs de l’AEK Athènes, un sacre assorti là-aussi de la distinction de meilleur joueur. « Il avait tout pour être l’un des plus gros meneurs de jeu en Europe » avance Simon Darnauzan, son ex-coéquipier à Bourg. « C’est un gros talent. Il est capable de shooter, de passer, il est athlétique, il sait un peu tout faire. Après, il était parfois un peu compliqué à canaliser sur le terrain. Ce n’est pas vraiment un meneur organisateur, il aime bien avoir le ballon et mettre des points. » Toujours est-il que Theodore peut maintenant se targuer d’un palmarès complètement inattendu au vu de ses débuts, une inversion de destin assez rare dans le circuit professionnel.
« Après tout ce que j’ai traversé, j’apprécie mieux le fait de me battre pour des trophées. C’est quelque chose que je ne prends pas pour acquis et je réalise parfaitement que j’ai dû passer par des moments très bas pour arriver jusqu’ici. Quand j’enchaînais les défaites et les relégations lors de mes trois premières saisons, j’ai vécu certains des moments les plus difficiles de toute ma vie. J’essayais d’apprendre le jeu à l’européenne, de comprendre les entraîneurs d’ici, de m’adapter à de nouvelles cultures. Et vu que c’était au cours des trois premières années de ma carrière, cela aurait pu être… (il s’interrompt) Je suis simplement heureux qu’une équipe ait continué à me donner ma chance ensuite. Quand je repense à mon parcours, je me dis qu’il ne faut jamais baisser les bras. Maintenant, j’ai compris qu’il faut simplement suivre le fil des choses, rester fidèle à soi-même, continuer de travailler dur et garder la foi. Si l’on fait tout ça, tout se passera bien. »
Aussi avenant qu’ingérable lors de son passage à la JL Bourg, où les meilleures anecdotes le concernant, sont encore sous le coup d’un embargo absolu, doté d’une personnalité attachante mais quasiment impossible à canaliser en dehors des parquets, Jordan Theodore était notamment cornaqué par Simon Darnauzan lors de son époque bressane. « C’est un super mec mais il n’était pas simple à gérer », raconte le consultant de La Chaîne L’Équipe. « Je m’entendais très bien avec lui alors je m’occupais un peu de lui pour qu’il puisse s’adapter. Bourg-en-Bresse, pour lui, c’était une petite ville. C’est un garçon qui aimait bien sortir et profiter de la vie. Il m’appelait tous les soirs pour aller au restaurant ou pour sortir à Lyon ou à Genève. C’était sans arrêt avec lui, il avait du mal à comprendre qu’il fallait se reposer parfois et se concentrer sur le basket. C’était le vrai Ricain, la vraie star. » Le natif du New Jersey a pourtant considérablement gagné en maturité au cours des six dernières années. Il est désormais le père d’une petite fille d’un an, fruit de son mariage avec Tugba Tasci, une ancienne internationale turque.
« Beaucoup de gens ont oublié que je suis un bon joueur »
Sportivement, il sort toutefois d’une passe assez compliquée. Longuement au chômage en ce début de saison, il n’a retrouvé un employeur qu’à la fin du mois de novembre, retournant à l’UNICS, un club qui ne l’avait pourtant pas conservé en juillet dernier. Arrivé sur le tard au sein d’une équipe surdimensionnée sur ses lignes arrières, l’international macédonien est longtemps resté dans l’ombre, cumulant 4,8 points de moyenne sur ses dix premières apparitions en EuroCup. Sorti de sa tanière au meilleur moment avec 15 points, 5 rebonds et 6 passes décisives lors de la demi-finale retour contre Bologne, il a récidivé mardi à Monaco (15 points à 5/8, 5 rebonds et 8 passes décisives pour 25 d’évaluation), exécutant notamment à merveille les situations de pick and roll avec l’immense Artem Klimenko. Une performance parfaite pendant… 39 minutes et 30 secondes, avant qu’il ne se rate sur les deux possessions de la victoire (87-89), en se faisant subtiliser le ballon par Mathias Lessort puis en manquant largement sa dernière tentative. « Ça fait super mal, j’en assume l’entière responsabilité », nous disait-il mardi soir, bien moins guilleret que la veille, dans les entrailles du Louis II, avant de s’épancher plus longuement sur sa renaissance actuelle.
« Nous sommes heureux d’être arrivés jusqu’en finale, on vit pour ce genre de matchs. Après, concernant ma performance, je crois que beaucoup de gens ont oublié que je suis un bon joueur. Je suis arrivé au milieu de la saison et je ne pouvais pas vraiment montrer toutes les très bonnes choses que je sais faire sur le terrain, car l’UNICS disposait déjà d’énormément de forts joueurs en place. Pendant longtemps, j’ai rempli un rôle bien défini. Aujourd’hui (mardi), mon équipe avait besoin d’autre chose et j’ai su le faire. Je suis le type de gars qui va toujours répondre présent quand on a besoin de moi. Cela dit, je dois être meilleur que ça dans le money-time. Ces erreurs ne se reproduiront pas vendredi. »
L’AS Monaco ferait bien de le prendre au pied de la lettre puisque son histoire récente lui prouve que Jordan Theodore est une menace absolue. En 2017, lors du Final Four de la Champions League à Tenerife, c’est lui qui avait privé la Roca Team d’une place en finale avec ses 21 points et 11 décisives (83-74 pour Banvit). Pour le club de la Principauté, il serait assez inopportun de voir ses rêves de conquête continentale brisés à deux reprises par la même personne…
À Monaco,
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