John Roberson, le Bosnien du Kansas
« Comment est-ce que je me suis retrouvé à jouer pour l’équipe de Bosnie-Herzégovine ? », s’exclame John Roberson. « Eh bien, en gros, le sélectionneur m’a choisi et m’a demandé si je voulais devenir Bosnien. Depuis, le reste appartient à l’histoire. » Le natif de Kansas City ne croyait pas si bien dire : 72 heures plus tard après avoir tenu ces propos, il a inondé la Slovénie d’une pluie de tirs longue distance (7/13 à trois points), terminant meilleur marqueur de la plus grande victoire jamais enregistrée par le basket bosnien (97-93 contre la Slovénie, championne d’Europe en titre). « C’est bizarre de le voir sous le maillot de la Bosnie-Herzégovine », sourit Moustapha Fall, son ancien coéquipier chalonnais. « Je n’arrête pas de lui demander ce qu’il fait là et il rigole à chaque fois. »
Car oui, en réalité, John Roberson fait partie de ces naturalisés n’ayant aucun lien avec son pays d’adoption. En onze ans de carrière, il a joué en Slovénie, en Suisse, en Suède, en Hongrie, en France, en Russie, en Australie, en Turquie et en Espagne. Mais jamais en Bosnie-Herzégovine. Sauf que son nom n’est pas sorti de nulle part dans le giron des Dragons… Sélectionneur démissionnaire en juin dernier, Vedran Bosnic avait entraîné John Roberson pendant trois ans à Sodertalje (de 2013 à 2015), pour trois titres de champion de Suède au bout. Alors que la Bosnie-Herzégovine évoluait sans joueur naturalisé depuis la retraite d’Alex Renfroe à l’issue de l’EuroBasket 2015, l’actuel technicien de Mons-Hainaut a simplement pensé à son ancien leader quand le permis de « recruter » lui a été accordé.
« Je connaissais l’histoire du basket en Bosnie »
« C’est un véritable honneur que Vedran m’a fait en jetant son dévolu sur moi », embraye Roberson. « Je connaissais l’histoire du basket en Bosnie et je savais à quel point les gens sont passionnés là-bas. Depuis deux ans, cela a été une bénédiction de jouer pour eux. » Surtout que, outre la possibilité non négligeable sur le marché des transferts de disposer d’un passeport européen, cela lui permet de tutoyer des cimes ordinairement inaccessibles pour lui. Alors qu’il en avait certainement le talent, le champion de France 2017 n’a jamais disputé l’EuroLeague, devant se contenter de cinq campagnes de FIBA Europe Cup (C4) et d’une seule année en EuroCup, avec l’ASVEL, en 2017/18. Un passage villeurbannais qui constitue certainement un tournant manqué dans son parcours : alors sur le toit du basket tricolore avec l’Élan Chalon, il avait succombé aux sirènes rhodaniennes mais il avait finalement été très loin de faire l’unanimité à l’Astroballe. Ainsi, au lieu d’un grand club, l’Américano-Bosnien avait été obligé d’émigrer au fin fond de la Sibérie puis en Australie par la suite.
Trois ans après, John Roberson brille de milles feux sur la plus grande scène européenne. Après avoir planté 18 unités contre la Hongrie, il a tenu la dragée haute à Dennis Schröder (13 points et 4 passes décisives) avant de voler la vedette à Luka Doncic, lui l’ancien lycéen de Dallas. « C’est une expérience incroyable », souffle-t-il. « Même dans mes rêves les plus fous, je n’avais jamais imaginé disputer un EuroBasket. C’est génial d’affronter des joueurs que je regarde d’habitude à la télévision, contre qui je ne m’étais jamais mesuré auparavant. C’est aussi une opportunité ce que je sais faire sur un parquet. » À l’image de son récital contre la Slovénie, qui a indirectement révélé la méconnaissance des mastodontes continentaux par rapport à son profil. Les pivots slovènes ne sortaient que très peu sur lui, lui laissant un maximum d’espace pour dégainer de loin. « Personnellement, je ne suis pas surpris de ses performances », affirme Moustapha Fall, qui lui, au moins, ne devrait pas être pris en flagrant délit d’ignorance de ses points forts mardi. « Ils ont un Big Four, avec un besoin de leaders offensifs et quatre joueurs qui mettent des points. Or, John est vraiment une arme au niveau du shoot. »
Avant les retrouvailles avec les Bleus, les éloges de Nurkic
De fait, avec Dzanan Musa, Miralem Halilovic et Jusuf Nurkic, John Roberson est l’un des moteurs de l’équipe qui enchante l’Europe du basket par la qualité de son jeu et sa cohésion. « Nous avons un super groupe », confirme-t-il. « Il y a une excellente alchimie entre nous, de super mecs. C’est fun de jouer ensemble ! On savait que l’on pouvait faire du bruit sur cet Euro car c’est dur de nous affronter. Personne ne nous respectait dans cette poule, les gens nous voyaient déjà éliminés, on s’en servi comme motivation. » Une de plus, au final, pour des joueurs portés par un sentiment supérieur à une simple quête sportive, revenus de l’enfer d’une préparation décousue et sans visibilité sur l’avenir. Même si le néo-bosnien n’a rien suivi des péripéties de sa sélection cet été… « Je ne sais rien de ce qui s’est passé, je ne peux pas comprendre la presse locale de toute façon », rit-il. Alors qu’il racontait à une journaliste américaine la semaine dernière qu’il ne connaissait rien de l’Europe avant d’y débarquer en 2011, « car on n’apprend rien sur la géographie européenne à l’école », le futur joueur de Manisa semble s’être parfaitement intégré humainement au sein de sa nouvelle sélection nationale. Quand nous lui avons glissé le nom de son nouveau coéquipier, le visage de Jusuf Nurkic s’est barré d’un large sourire. « Johnny ! Johnny est un mec super. C’est devenu notre gars. La façon dont il s’est intégré parmi nous est incroyable. C’est rare de voir une telle adaptation culturelle chez un joueur naturalisé. Et même quand il ne comprend pas ce qu’on dit, il suit le mouvement. Vu que c’est une très bonne personne, tout le reste est ensuite facilité. » Et puis, vu qu’il peut planter une ou deux banderilles lointaines de temps en temps…
Dix jours après avoir pleinement pris part à la surprise bosnienne face aux Bleus comptant pour les qualifications de la Coupe du Monde 2023, John Roberson se dressera de nouveau sur la route des tricolores ce mardi après-midi, avec la ferme intention de récidiver. « Ça va être un match différent », prévient celui qui affiche encore une réussite de 100% aux lancers-francs en carrière internationale (34/34). « L’équipe de France sait maintenant ce que nous sommes capables de faire. » Aussi l’occasion pour lui de se rappeler au bon souvenir de ses années LNB… « Le meilleur moment était évidemment à Chalon, avec notre titre de champion. J’ai beaucoup d’images qui me reviennent de mes saisons françaises, celle passée à Strasbourg fut aussi agréable. C’est spécial d’affronter les Bleus car je sais que j’ai beaucoup d’amis français qui vont me regarder. » Parmi eux, l’un sera même sur le terrain, ses 218 centimètres déterminés à lui rendre la vie impossible, tout comme leur axe 1-5 a enflammé la Pro A cinq ans auparavant. « Je garde un très bon souvenir de John », glisse Moustapha Fall. « Quand on gagne, ça crée toujours des liens mais lui est vraiment un bon gars. On se taquine un peu : lors du match en Bosnie, il m’a envoyé un message pour me demander ce que j’avais mais surtout pour me dire : « Ne viens pas s’il te plait ». Je suis heureux qu’il réussisse son Euro, j’espère juste que ça ne se passera pas très bien pour lui demain. » Ça tombe bien, le scoreur bosnien est prêt pour le challenge. « Moustapha était énervé de ne pas être à Sarajevo. On se croise à l’hôtel et il répète qu’il veut sa revanche. » Le rendez-vous est pris pour 14h30.
À Cologne,
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