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ITW Vyacheslav Bobrov : « Je suis à Nanterre car je ne veux pas mourir »

International depuis dix ans, aperçu pour la première fois sous la tunique nationale le 24 août 2012 à Chypre, Vyacheslav Bobrov (2,03 m, 29 ans), dit Boby, est l’une des plus grandes figures actuelles du basket ukrainien. Leader de l’équipe quimpéroise ayant décroché son ticket pour la Pro B en 2017, il a ensuite connu une belle trajectoire, allant goûter à la Liga Endesa avec San Sebastian et Fuenlabrada, avant de profiter du renouveau de la Superleague ukrainienne pour aller faire les beaux jours de Dnipro depuis octobre 2020.

Une belle histoire malheureusement interrompue par l’invasion russe : présent en Espagne la nuit du début de la guerre grâce à un match de qualification pour la Coupe du Monde 2023, Boby Bobrov ne s’est pas retrouvé pris au piège des bombardements. Quatre jours plus tard, il s’engageait avec Nanterre 92, la présence commune de Pascal Donnadieu et Laurent Foirest (son entraîneur à l’UJAP) pendant la fenêtre internationale des Bleus aidant certainement l’entraîneur francilien à prendre une décision rapide.

Installé dans les Hauts-de-Seine depuis une semaine, Bobrov a été rejoint par sa femme et son bébé, qui ont réussi à fuir l’enfer ukrainien. Oscillant quelque part entre balle orange et nouvelles du pays, la nouvelle recrue francilienne évoque la guerre et son remarquable parcours sportif.

Vyacheslav, 48 heures après, que reste-t-il de ce déplacement à Gravelines (défaite 83-87) ?

Ça a été un match difficile pour nous. Notre première mi-temps était correcte, on est rentré aux vestiaires à -4. Quelques changements défensifs et offensifs nous ont permis de prendre les commandes dans le troisième quart-temps mais on a calé par la suite. On les laisse reprendre l’avantage, sauf qu’on n’abandonne pas. Il nous a manqué un peu de chance à la fin, quelques lancers-francs échappés aussi. On va avoir le temps de se préparer maintenant afin de gagner le prochain match à domicile (contre Cholet). On va se battre pour les playoffs.

Vous avez joué dans l’ambiance la plus festive de l’année à Sportica. N’était-ce pas bizarre pour vous de ressentir une telle joie dans les gradins au vu de ce que votre pays, l’Ukraine, traverse actuellement ?

Oui, on m’a expliqué que c’était Carnaval à Gravelines. Les gens sont venus déguisés et c’était une super ambiance pour jouer. J’essaye vraiment de me concentrer uniquement sur le basket. La situation est vraiment compliquée en Ukraine en ce moment. Personne ne peut l’arrêter, sauf nos combattants et les gens qui sont restés au pays. Je dois laisser ces problèmes en dehors du parquet, je veux seulement penser au basket car c’est mon métier, ma passion. Il faut que j’arrive à contrôler mes émotions.

12 heures de route de Dnipro jusqu’à la Moldavie,
le soulagement de voir sa femme et son fils fuir la guerre

Pourtant, comment pouvez-vous vous concentrer sur le basket en ce moment ? Gagner ou perdre à Gravelines, par exemple, semble complètement dérisoire par rapport à ce qui se passe en Ukraine…

Quand il y a une guerre dans votre pays, que des enfants meurent, que des mères et des hommes ne protègent pas que leur vie mais aussi notre nation, il est certain que c’est parfois très compliqué de se concentrer sur le basket. Avant le match, j’écoute de la musique pour être focus. Mais la situation dans le pays ne peut effectivement pas être comparée au résultat d’un match.

bobrov1646647851.jpegSept minutes de jeu à Sportica pour Boby Bobrov
(photo : Julie Dumélié)

Quand avez-vous quitté l’Ukraine ? Le 23 février, à la veille de l’offensive russe et de votre déplacement en Espagne avec la sélection ?

Un peu plus tôt. Nous sommes partis dans la semaine précédant la rencontre. Je me rappelle surtout du jour du match, le 24 février : je me suis réveillé à 5h du matin parce que ma femme m’a appelé pour me prévenir que la guerre avait commencé. L’entraînement a été annulé car tout le monde était debout dès l’aube, en train d’essayer de trouver des solutions pour faire sortir sa famille du pays.

Votre famille a-t-elle pu partir ?

Oui. Ils sont arrivés jeudi en France. Je suis allé les chercher à l’aéroport. Ils sont d’abord partis en voiture. Ça a été une route difficile, 12 heures de route sans s’arrêter, avec deux enfants à l’arrière, de Dnipro jusqu’à la frontière moldave. Ils ont réussi à entrer en Moldavie et sont restés deux jours dans un hôtel. Ensuite, ils sont allés à Bucarest où ils ont pu attraper un avion pour Paris. Entre-temps, des gens nous avaient appelés et nous disaient qu’il fallait partir plus rapidement car des évènements étaient en cours à la frontière entre l’Ukraine et la Moldavie, des bombardements, etc. Donc on a acheté les billets d’avion et ils ont pu venir ici.

« À Donetsk, mes parents n’ont de l’eau que deux heures par jour »

Lors de ce match à Cordoue, le public espagnol a fait preuve d’une réaction admirable à l’égard de votre équipe. Avez-vous compris dès ce jour là que la guerre en Ukraine allait être un évènement majeur à l’échelle mondiale ?

En effet, l’ambiance était excellente en Espagne. Tout le monde nous a montré beaucoup de soutien. Et pas que dans les salles, j’ai aussi reçu beaucoup de messages de mes amis espagnols me disant qu’ils priaient pour ma famille, mon pays, etc. C’était un immense plaisir de voir tous ces gens venir avec un drapeau ukrainien ou des pancartes « No War »… C’est quelque chose que nous avons vraiment apprécié. Idem, la sélection espagnole nous a offert trois jours dans un hôtel à Madrid, nourriture comprise, après le match afin que l’on ait le temps de comprendre où l’on voulait aller. C’est à ce moment-là que j’ai signé mon contrat avec Nanterre.

bobrov1646647937.jpegSoir de l’invasion russe, la sélection ukrainienne sort sous l’ovation du public de Cordoue
(photo : FIBA)

Depuis que vous êtes arrivé en France, à quelle fréquence suivez-vous les informations sur les évènements en Ukraine ?

Tous les jours, j’ai des nouvelles de mes amis et de ma famille. La situation s’empire quotidiennement (entretien réalisé dimanche matin, ndlr). De nombreuses villes sont sous le feu. Notre président essaye de négocier des couloirs d’évacuation avec la Russie afin que les habitants de Kharkiv, Mariupol ou Tchernihiv puissent partir, les femmes et les enfants notamment. Plus de 60 enfants ont déjà été tués, plus de 200 civils… La Russie a accepté un cessez-le-feu et deux heures après, ils rouvraient le feu sur tout le monde.

Dans ce contexte dramatique, qu’espérez-vous maintenant ?

Que tout s’arrête très rapidement. J’espère que tout reviendra à la normale bientôt. J’espère que les Russes vont comprendre. Les soldats russes ne sont que des gamins de 20 – 21 ans. Beaucoup de nos combattants ne veulent pas les tuer mais nous n’avons pas d’autre solution. S’ils viennent chez nous et essayent d’assassiner nos familles, il n’y a pas d’autre option que de les tuer. J’espère que toute l’Europe et le monde entier aidera l’Ukraine à terminer cette guerre aussi rapidement que possible.

« Je veux me réveiller naturellement le matin, pas à cause des bombes »

 Certains de vos proches sont-ils encore en Ukraine ?

Mes parents sont toujours à Donetsk, ma ville d’origine, la famille de ma femme aussi. La situation n’évolue pas trop actuellement. Ils n’ont de l’eau que deux heures par jour, le matin et le soir. Ma mère continue de travailler, dans une banque, mon père également. Mais ils ont extrêmement peur. Ils se dépêchent quand ils sont dehors car beaucoup de gens ont été forcés de partir à la guerre, interceptés par la police et envoyés au combat en leur donnant une arme. Sur Viber ou Whatsapp, on écrit quotidiennement à nos familles et nos amis, on demande comment ils vont, on donne des nouvelles de notre enfant.

Vous avez été formé à l’Azovmash Mariupol. Comment avez-vous réagi ce week-end en voyant les images de la ville détruite par les bombardements ?

C’est la ville où j’ai signé mon premier contrat professionnel. J’y ai même remporté un titre de champion d’Ukraine (en 2010). Ma réaction en voyant les images, c’était de l’énervement. Même si les Russes ont détruit la ville, beaucoup de gens ont cambriolé des magasins, cassant les vitrines pour aller voler des télévisions ou de la nourriture. Je comprends que la situation est terrible mais il faut se comporter comme des êtres humains. Il ne faut pas faire la même chose que les Russes.

bobrov1646647969.jpegVyacheslav Bobrov a disputé 33 matchs officiels avec l’Ukraine depuis 2012, dont l’EuroBasket 2017
(photo : FIBA)

Au milieu de cette situation, pourquoi avoir décidé de signer à Nanterre ?

Parce que je ne pouvais pas rentrer en Ukraine ! Si j’y retourne, ils me donneront une arme afin que j’aille à la guerre. Mais je ne veux pas de cela, je ne sais même pas m’en servir. Je ne veux pas mourir car j’ai un fils de sept mois et ma femme. Je ne veux pas les abandonner. Quand la guerre a été lancée, nous avons choisi de rester en Europe afin de pouvoir chercher un nouveau travail et qu’ils puissent me rejoindre rapidement. Nous voulons vivre normalement, nous réveiller naturellement le matin, pas à cause des bombes qui nous tombent dessus… Il était préférable de partir et d’aller jouer quelque part plutôt que de rester assis et d’attendre que quelque chose arrive…

Alors s’il n’y avait pas eu la fenêtre FIBA et le match en Espagne, peut-être seriez-vous encore en Ukraine ?

Tout à fait. Sans la sélection nationale, toute l’équipe serait peut-être encore au pays. Les hommes ne peuvent pas quitter l’Ukraine.

« Une grande famille à Nanterre »

Pour parler basket, quelles sont vos premières impressions sur l’équipe de Nanterre 92 ?

Je peux dire que c’est une grande famille ! Tout les gens que j’ai rencontré au club m’aident pour tout et n’importe quoi. Ils me demandent tous les jours comment va ma famille, comment est la situation en Ukraine, ils m’écrivent pour savoir si j’ai besoin de quelque chose. J’ai intégré une grande famille à Nanterre et je suis très heureux d’être là. Ce soutien et la présence de ma famille sur place peuvent me permettre de me concentrer entièrement sur le basket maintenant.

 Avant la guerre, tout se passait pourtant bien pour vous avec Dnipro…

L’an dernier, nous avons perdu contre Prometey en finale. C’était décevant mais on s’est battu jusqu’à la fin avec seulement sept joueurs. Et là, avant la guerre, on restait sur sept victoires d’affilée. J’espère pouvoir suivre la même dynamique avec Nanterre.

bobrov1646648067.jpegTout était encore (presque) normal le 17 février : Dnipro écrassait Odessa (83-59) avec 6 points de son international
(photo : BC Dnipro)

Votre dernier match en Ukraine, contre Odessa, est encore très frais. C’était le 17 février. N’est-ce pas délicat de basculer aussi rapidement vers d’autres objectifs, un autre contexte avec Nanterre ?

Non, ça va. J’ai déjà vécu des situations similaires, en passant de la Roumanie à Quimper en pleine saison par exemple. Ce n’est donc pas la première fois que je vis ça. Tous les joueurs m’aident à mieux comprendre notre jeu, les coachs me donnent beaucoup d’informations aussi. Il va me falloir un peu de temps pour comprendre comment je peux mieux aider l’équipe sur le terrain et en dehors mais je suis prêt à jouer. À Gravelines, le coach ne m’a pas donné beaucoup de minutes mais je suis nouveau dans l’équipe. On a le temps de trouver des solutions pour que le groupe comprenne comment je peux les aider.

À Dnipro, vous évoluiez avec D.J. Cooper, bien connu en France. Comment était-il ?

C’est un super coéquipier ! Pour moi, c’est un joueur de calibre EuroLeague mais il s’est retrouvé en Ukraine à cause des circonstances de son parcours. C’est un joueur agressif, tourné vers le collectif, excellent passeur. Je me rappelle de lui à Monaco, nous avons fait une présaison ensemble. Il a aussi joué avec Sergii Gladyr là-bas. Nous avons passé du bon temps ensemble à Dnipro, on allait au restaurant ou au bar ensemble. Il est parti en Israël maintenant mais on continue de s’écrire.

« Dès qu’on me demande où j’ai vécu ma meilleure saison, 
je réponds que c’était à Quimper »

Vous avez passé un an et demi à Quimper plus tôt dans votre carrière, entre février 2016 et juin 2017, avec une montée en Pro B au bout. Quels souvenirs en gardez-vous ?

D’excellents souvenirs ! Dès qu’on me demande où j’ai vécu ma meilleure saison, je réponds à chaque fois que c’était à Quimper. On a vécu des émotions incroyables, l’équipe était super. Laurent Foirest a tout construit là-bas, il a été l’artisan de notre succès. Pour moi, il a été un facteur clé de ma progression, comme pour beaucoup de joueurs d’ailleurs. Il me semble que c’est une légende en France en plus. Ça a été un très grand joueur ! Nous sommes restés en contact. Par exemple, récemment, il m’a demandé mon avis sur le meneur qu’ils viennent de signer, Yasiin Joseph. Je lui ai dit que c’était une bonne idée de le prendre, que c’était un très bon joueur qui pouvait les aider. Quimper a été une étape importante de ma carrière, je pense que c’est l’une des villes qui m’a vraiment aidé à aller plus haut.

En quoi êtes-vous un joueur différent depuis que vous avez quitté l’UJAP ?

Je crois que je reste plus ou moins le même. J’ai simplement grandi, j’ai pris de l’expérience. Mais sinon, mes caractéristiques sont restées similaires : j’aime jouer avec de l’agressivité, j’aime courir, j’aime le jeu rapide, j’aime aider l’équipe défensivement. Aussi, je suis abordable pour les supporters. J’essayerai d’être le même avec Nanterre.

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20 mai 2017 : contre Rueil, Boby Bobrov célèbre la qualification de Quimper pour la finale des playoffs de NM1
(photo : Gérard Héloise)

Depuis Quimper, votre carrière a connu une très belle trajectoire : de la NM1 à la Liga Endesa…

Exact. Après Quimper, je suis parti en Lituanie. La saison là-bas n’a pas été trop mal et j’ai pu partir en Espagne. Quand j’étais un enfant, je rêvais de jouer en Espagne ! Je regardais le Real Madrid ou le FC Barcelone à la télévision. Je savais que c’était l’un des tous meilleurs championnats en Europe. Regardez le nombre de joueurs qui ont fait le saut entre la Liga Endesa et la NBA : Luka Doncic, Gabriel Deck, Nikola Mirotic et beaucoup d’autres…

À quel point la différence de niveau était importante entre la Nationale 1 et la Liga Endesa ?

Alors oui il y a deux classes d’écart entre les deux. Le niveau en Espagne est très élevé. Mais attention, tout le monde ne peut pas jouer en Nationale 1. J’ai vu beaucoup de joueurs là-bas partir assez tôt dans la saison car le niveau y était plutôt élevé.

Artur Drozdov, le modèle

Maintenant, votre objectif est de prouver que vous avez votre place en Betclic ÉLITE. Le nom de l’Ukrainien le plus marquant de l’histoire du championnat vous évoque forcément quelque chose : Artur Drozdov…

Oui, il est originaire de Donetsk aussi ! Quand j’avais huit ans, j’étais coaché par l’un de ses anciens entraîneurs. J’ai des photos de nous en train de faire un un-contre-un à l’époque où il jouait à Pau-Orthez. Je sais qu’il est célèbre en France. Un jour, avec Quimper et Laurent Foirest, on s’était entraîné à Pau. J’ai vu beaucoup de photos et de panneaux de lui. Tout le monde se rappelait de lui et en parlait avec grand plaisir. Quand j’avais 15-16 ans, les gens me disaient qu’on se ressemblait. Du coup, j’ai regardé beaucoup de ses matchs ! J’ai même été son coéquipier en 2012 avec la sélection nationale, il était le capitaine. C’est l’un des joueurs les plus talentueux de l’histoire du basket ukrainien, il a joué un peu partout en Europe.

À propos du basket ukrainien, justement, le championnat avait mis beaucoup de temps à se relever de la guerre de 2014 mais il y avait beaucoup de grands noms cette saison. C’est secondaire mais un nouveau cycle sombre risque de s’ouvrir maintenant…

Avant la guerre de 2014, le championnat était très fort en effet. Il y avait l’Azovmash Mariupol et le BC Donetsk, avec Sergey Dyadechko à sa tête, en VTB League, Mariupol en EuroCup (et même le Budivelnyk Kiev en EuroLeague, ndlr). Ensuite, il y a eu une période de trois – quatre ans où la Superleague est devenue très faible. Mais l’argent est revenu, les Américains aussi, et le niveau était de nouveau très bon depuis deux ans. Cette saison, Prometey a montré sa valeur en allant jusqu’au Top 16 de la Champions League avec des joueurs locaux performants et des bons Américains désireux de jouer en Ukraine. Quand la guerre sera terminée, je pense qu’il faudra du temps pour retrouver le même niveau. Peut-être même mieux. Du moins, je l’espère.

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