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Austin Tilghman (Évreux), colosse atypique à la bonne étoile

Comme quoi, dans la vie il est toujours important de garder contact. Décembre dernier, juste avant la trêve de Noël, l’ALM Évreux enchaînait un 4e revers de rang en autant de rencontre. Le dénominateur commun de ses défaites à répétition était que Neno Asceric, l’entraîneur, ne pouvait compter sur son meneur argentin, Pedro Barral, incapable de tenir son rang en raison d’une succession de blessures (ampoules mal désinfectées puis entorse de la cheville à Denain et enfin élongation aux ischios-jambiers à Quimper). Le natif de Buenos Aires joue seulement deux matchs de championnat pour une moyenne de 2,5 minutes de jeu. À peine croyable pour un joueur sur lequel le coach plaçait énormément d’espoir : « c’était un véritable coup de coeur » exprimait-il au moment de son recrutement. Devant donc se résoudre à chercher un pigiste médical, le technicien de 55 ans fait alors venir Austin Tilghman (1,85 m, 25 ans). « J’ai eu un contact avec son agent mais je n’ai pas pris Austin grâce à lui. Je l’ai pris grâce à un de mes anciens joueurs, Ivan Almeida que j’ai entraîné à Lille. Tous les deux se sont entraînés ensemble pendant deux semaines et ils ont disputés deux matchs au Portugal. Ivan m’a parlé des qualités humaines et sportives d’Austin. Et je lui ai fait entièrement confiance. »

Une confiance qu’est en train de parfaitement rendre, aujourd’hui, le gamin du Delaware (États-Unis) à son coach. À quelques matchs de la fin du championnat, en plus d’avoir transformé le visage de l’ALM Évreux sur un plan comptable, Austin Tilghman tourne à une moyenne de 19,4 d’évaluation, soit la meilleure du championnat de France de Pro B. Une adaptation expresse dans un championnat totalement inconnu pour lui, qui a de quoi surprendre. En plus de posséder un maigre curriculum vitae, une seule saison professionnelle dans le modeste championnat portugais, son physique de frigo américain – presque 100 kg sur la balance s’il-vous plaît ! – pouvait inquiéter face au prototype des postes 1 rapides et vifs en Pro B. Et pourtant, Tilghman aurait pu ne jamais emprunter le chemin d’une carrière de basketteur professionnel. 

« Si je n’avais pas été basketteur, je serais en NFL »

austin-tilghman--la-force-tranquille1622478528.jpeg « Chaque jour j’y ai pensé car on m’a souvent posé la question » : le difficile dilemne entre le basket et le football américain au moment de l’entrée à la fac (photos personnelles)

Né et élevé à Wilmington, petite ville du Delaware de 70.00 habitants, et fief du nouveau président des États-Unis, Joe Biden, l’enfance du petit Austin se résume déjà et surtout au sport. Un amour transmis par son papa, Aaron, coach de football américain et qui deviendra aussi son premier entraîneur de basket. Il commence à pratiquer les deux disciplines à l’âge de ses 5 ans. Pour autant, ce n’est pas grâce à lui qu’il a découvert la balle orange. Mais par le biais des fameux YMCA (Young Men’s Christian Association signifiant Union Chrétienne des Jeunes Gens). Car derrière ces quatre lettres popularisées par le tube iconique du groupe Village People, se cache le plus ancien et plus important mouvement international de jeunesse. Là où le basketball a aussi été inventé. « Mes grands-parents habitaient au coin d’un local YMCA à Wilmington, j’étais toujours là-bas pour jouer au basket, se remémore-t-il sur sa chaise dans la salle omnisports d’Évreux. Je me souviens que les paniers étaient abaissés et que dans la cour on courait n’importe où sans savoir comment dribbler ou tirer mais c’était très amusant. »

Amoureux et talentueux dans les deux disciplines, aussi bien comme meneur de jeu que comme running back, « si je n’avais pas été basketteur professionnel, aujourd’hui je serais en NFL car j’étais vraiment bon », ses parents avaient décidé de le transférer d’un lycée à un autre lors de sa dernière année pour qu’il acquière une expérience davantage universitaire dans un plus grand établissement. Agé alors de 17 ans, il quitte St Andrew’s (Middletown, Delaware) pour Archbishop Carroll (Radnor, Pennsylvanie). Les offres de bourses universitaires commencent à frapper à la porte aussi bien pour le football américain (Villanova, Coastal Carolina) que pour le basket. Et après tant de temps d’hésitations, Austin fait finalement le choix du basket et de l’Université de Monmouth (NCAA I) basé à West Long Branch (New Jersey). « Pour plusieurs raisons j’ai choisi cette fac. D’abord j’ai adoré le staff technique. Dès le premier jour, les coachs ont été honnêtes avec moi et j’ai ressenti une bonne connexion avec eux. J’ai également vu comment l’équipe était construite et comment je pouvais les aider à gagner des matchs à l’avenir. Ensuite, je sentais que je pouvais avoir un bon rôle en tant que recrue, obtenir des minutes tout en développant mon jeu. Et enfin, le campus était magnifique. C’était juste à côté de l’océan Atlantique, il y avait les plages de la Jersey. »

Ben Bentil, un frère tombé du ciel ghanéen

Mais avant de quitter le cocon familial du Delaware, un événement va complètement bouleverser Austin et sa famille. Un scénario qui pourrait faire penser à un téléfilm américain. Alors au lycée de Saint Andrew’s, l’actuel meneur de l’ALM Évreux fait la connaissance de Ben Bentil, un adolescent de 15 ans qui venait de quitter le Ghana et la vie agitée de Sekondi-Takoradi. Là-bas, le Ghanéen cherchait à obtenir une meilleure opportunité de vie étant donné que sa maman, célibataire et travaillant comme cuisinière, élevait 4 enfants. Comme Austin, Ben Bentil pratiquait le football américain et le basket. Et devenus très complices dans la vie, le futur pensionnaire de l’Université de Providence passait ses week-end et ses étés dans la famille Tilghman. « Je me souviens qu’il dormait dans le canapé du salon, avec la grande télévision face à lui » glisse Austin entre sourire et nostalgie.

 austin-tilghman--la-force-tranquille1622484669.jpeg Adopté par la famille Tilghman, Ben Bentil a partagé des moments de vie très importants avec Austin (photos personnelles) 

Jusqu’au jour où, Ursulla, la maman d’Austin ne crie à plusieurs reprises en plein milieu d’un match et de la foule : « C’est mon enfant ! » à la suite d’une altercation entre un joueur et Ben Bentil comme elle l’expliquait en février 2016 au micro de Fox Sports. Ce fût le moment où le jeune ghanéen réalisa que dormir sur le canapé de la maison des Tilghman n’était pas seulement un mode de vie, ni un acte de charité. Il était devenu leur enfant, sans remplacer celle qui était à des milliers de kilomètres. « Et pour son premier Noël à nos côtés, nous lui avons offert une chambre. Il était en pleurs surpris. C’est la première fois de sa vie qu’il avait sa propre chambre. » Voilà Ben Bentil, actuellement joueur du Panathinaikos, adopté par la famille. « Quand je l’ai rencontré au lycée, il était si maigre, en rigole le natif de Wilmington. Il n’avait rien pour jouer au basket. Aujourd’hui, je suis si heureux pour lui et qu’il ait réussi dans la vie. Quand je lui ai dit que j’allais jouer en France, il m’a dit que du bien, il avait adoré son passage ici. » Car avant de faire le bonheur des fans grecs, le 51e choix de la draft 2016, a évolué en Jeep ELITE sous les couleurs de Châlons/Reims en 2017/18 (11,7 points et 4,8 rebonds en 25 minutes).

Des célébrations loufoques à une première année sans contrat ; le difficile passage post-universitaire

Austin Tilghman, et son équipe universitaire de Monmouth se sont fait connaître partout aux États-Unis en 2015 via les chaînes de télévision nationales en raison de leurs célébrations excentriques sur le banc en plein match. « Oh c’était une année folle avec ces gars. Tout a commencé quand on a gagné en ouverture de championnat sur le parquet de UCLA (Université de Californie à Los Angeles). Et ensuite on a gagné contre d’autres gros programmes comme Georgetown, Notre-Dame devant les caméras d’ESPN et dans le même temps on s’est dit qu’il fallait qu’on se fasse remarquer avec les gars sur le banc. En plus le groupe avait peu évolué par rapport à la précédente année donc on était proche. EPSN a commencé à braquer ses caméras sur notre banc et on faisait tout un tas de célébrations différentes et cela a fait le tour du pays (rire). On était très exposé et je suis heureux pour ses gars. C’est ma meilleure période de basketteur. Nous étions une vraie belle équipe. »

Cette belle aventure universitaire s’achève en 2018 après un cursus complet de 4 ans… sans décrocher le moindre contrat dans une équipe professionnelle de basket. « Oui j’étais un peu frustré d’être sans club mais si on regarde de plus près mes statistiques, elles ne sont pas si folles que ça. J’ai tourné à 6 points de moyenne en 4 ans même si ma dernière année fût meilleure avec 11 points. Je peux donc comprendre la réticence des clubs de m’engager. » En effet, après que l’ancien archer chalonnais Justin Robinson ait quitté la fac, le buffle de Wilmington saisissait sa chance en réalisant une saison complète : 11 points, 5,9 rebonds et 5 passes en 33 minutes et 28 titularisations. Mais insuffisant donc pour signer un contrat en Europe.

austin-tilghman--la-force-tranquille1622498545.jpeg Avec 132 matchs à son compteur, Austin Tilghman, accroupi, est le 2e joueur ayant disputé le plus de matchs dans l’histoire de Monmouth, dépassant d’une unité Justin Robinson (n°12) (photo : Monmouth)

  Meilleur meneur du Portugal

Après plus d’un an à s’entraîner chez lui dans le Delaware, le club de Barreiro, situé à quelques encablures de Lisbonne lui donne sa chance. Au sein du modeste championnat portugais, Tilghman se distingue très rapidement de par son physique tanké mais aussi par sa ligne de statistiques. Pour sa première saison professionnelle, il cumule 17,7 points, 5,3 rebonds, 5 passes et 1,8 interception en 30 minutes. Un premier galop d’essai réussi récompensé par le titre de meilleur meneur de la division. « C’était une belle année, j’ai travaillé très dur, il faut dire que j’ai eu le temps avant de bien m’entraîner car j’étais sans club. Nous étions une jeune équipe avec de très bons gars, nous avons prouvé notre valeur en terminant 6e sur 14. » C’est ici que le jeune meneur américain a donc croisé la route d’Ivan Almeida, le temps de deux petites semaines. Deux semaines suffisantes pour taper dans l’oeil de l’ailier cap-verdien qui jouera un rôle déterminant au près de Neno Asceric en vantant les mérites d’Austin Tilghman.

austin-tilghman--la-force-tranquille1622502328.jpeg Barreiro, ligne de départ d’une carrière pleine de promesse ? (photo : Galitos Barreiro)

Mais alors que l’Américain avait signé mi-décembre avec un autre club portugais, celui d’Esgueira, tout en disputant en tout et pour tout une seule rencontre, « j’ai décidé d’activer ma clause de libération. Mon agent m’a indiqué que j’avais une opportunité en France et Évreux m’a appelé. Je voulais changer et évoluer dans une ligue plus forte. Il est clair qu’en arrivant, j’ai voulu impressionner mes coéquipiers, montrer que j’étais un gagnant. » Signé officiellement le 24 décembre pour un mois comme pigiste médical de Barral et arrivé quelques jours après dans la préfecture euroise, rien ne prédisait à cet instant-là que Tilghman allait faire les beaux jours de l’ALM ensuite. Surtout, au regard d’un physique bien charpenté et de quelques kilos en trop sur la balance… Car oui la Covid-19 est passée par-là et l’actuelle meilleure évaluation de Pro B n’avait plus joué un match depuis mars 2020.

« Le niveau de compétition est bien plus élevé en France qu’au Portugal. Il y a de 2-3 bonnes équipes là-bas comme Benfica ou Porto mais ici vous avez des équipes qui évoluent en EuroCup ou en EuroLeague. Concernant la Pro B, il y a plein de très bonnes équipes. La ligue est composée de joueurs athlétiques et physiques, aussi bien le meneur de jeu que le pivot. Une autre différence entre les deux divisions, c’est qu’en France ça court énormément ! Des fois je me dis mais il n’y a pas de temps mort ? (rire) Et puis on s’aperçoit que des prospects NBA ont leur chance. C’est très compétitif comme division. »

Jamais en dessous de 10 d’évaluation à Évreux

Après une première mise en route face à Gries/Oberhoffen à la reprise en janvier, ce poste 1 à l’allure de Joe Burton (ex-Évreux), va dès son deuxième match se montrer décisif avec un impeccable 9/9 sur la ligne de réparation en fin de match à Lille (victoire 73-82). La suite ? C’est par exemple 11 points inscrits en 5 minutes de prolongation face à Souffelweyersheim (victoire 107-96), un quasi triple double à Poitiers (22-9-10, victoire 85-90), un coup de chaleur à la Halle Georges Carpentier de Paris avec 29 points (défaite 92-79), le panier de la gagne à Gries à 4 secondes du terme sur un euro step en déséquilibre ligne de fond (22 points et une victoire 70-71), cet incroyable buzzer beater à 3 points à Nantes après une folle remontada (22 points, victoire 81-84) ou une prestation de premier plan à Blois (28 d’évaluation, victoire 84-91). Bref, depuis son arrivée Austin Tilghman s’est montré très performant et décisif à plusieurs reprises. « Même si aujourd’hui les défenses sont plus vigilantes, plus dures sur moi. Je suis un meneur de jeu physique qui aime bien faire du post-up sur mon vis-à-vis, aujourd’hui on m’en laisse moins l’opportunité. » De plus, pas une seule fois en 26 matchs de championnat il n’est descendu sous la barre symbolique des 10 d’évaluation. Preuve d’une grande régularité. À seulement 25 ans, faut-il le rappeler.

austin-tilghman--la-force-tranquille1622506105.jpeg Comme Jamar Diggs, alors meneur de Nantes en 2016 et aujourd’hui à Fos, Austin Tilghman a été découvert par Neno Asceric (photo : Sébastien Grasset) 

Avant son arrivée, le bilan d’Évreux était de 0-4. Depuis, l’ALM Évreux est sur 16 victoires et 10 défaites et pointe à la 8e place du classement. Difficile d’imaginer à la fin du mois de décembre, un redressement aussi spectaculaire. Mais c’est la preuve qu’il manquait un patron sur le terrain. Et Tilghman a prouvé qu’il pouvait assumer ce rôle. Et au-delà de son physique de nounours, ce faux-lent – il préfère trottiner – mais très redoutable dans ses changements de rythme, s’exprime en défense par une bonne lecture du jeu adverse (2 interceptions en moyenne cette saison dont un record à 8 ballons volés à Gries) et par un Q.I. basket élevé grâce à ses services sur pick and roll. « Le coach m’a beaucoup aidé à ralentir mon jeu pour davantage trouver mes coéquipiers et il me fait continuer à progresser dans les différentes lectures du jeu. » En attaque, en plus de poster les meneurs adverses tel un… Joe Burton – aux bons souvenirs des supporters d’Évreux – car il n’a pas d’équivalent physique pour défendre sur lui, ou bien très adroit dans les shoots intermédiaires à 2 points, le natif de Wilmington a fait de nets progrès à 3 points. L’équation est simple. En 26 matchs à Évreux, Tilghman a inscrit 33 paniers primés quand il en inscrivait 26 en 132 matchs universitaires. Ou encore 13 en 22 matchs avec Barreiro. Tout ça font d’Austin Tilghman le meilleur joueur de Pro B avec les statistiques suivantes : 17,3 points à 48,6% aux tirs, 3,8 rebonds, 4,7 passes décisives et 2 interceptions pour 19,3 d’évaluation en 30 minutes de jeu. Et selon nos informations, l’ALM Évreux a fait une proposition de prolongation de contrat au joueur. Reste à savoir si oui ou non il l’acceptera. Car nul doute que ses performances ont tapé dans l’oeil un peu partout en Europe.

L’avis de Neno Asceric :

« Je n’ai pas eu peur de donner ma chance à Austin malgré sa faible expérience. J’avais mon idée et avec tout ce que m’avait vendu Ivan Almeida à son sujet, je savais que ça le ferait. Il a beaucoup aidé l’équipe à se stabiliser, tout en apportant son calme notamment dans les fins de matchs. Il sait gérer la pression et le stress. Ça, c’est la principale aide qu’il nous a apporté. Austin a un physique atypique, il a fallu aussi s’adapter à ça, lui trouver un bon rôle et les bons systèmes. Ce n’est pas certain qu’il aurait réussi dans une autre équipe de Pro B avec un autre contexte. On le laisse s’exprimer à 100% et ça c’est déterminant aussi bien pour lui que pour l’équipe. Je pense qu’il doit rester encore une année avec moi car il a encore pas mal de points à améliorer. J’ai plein d’idées en tête pour la suite à mes côtés. Je veux le faire progresser pour qu’il atteigne un niveau supérieur. Et j’espère qu’il sera conscient qu’il doit rester encore une année ici. Si lui pense gagner plus d’argent dans un autre club, il fera peut-être une erreur. S’il décide de se sacrifier un peu financièrement, il aura tout à gagner. Le plus important pour un joueur est de trouver le meilleur rôle dans lequel il peut s’epxrimer. »

austin-tilghman--la-force-tranquille1622510032.jpeg  Austin Tilghman et Neno Asceric peuvent avoir le sourire. Les deux hommes se sont bien trouvés. Mais le technicien parviendra-t-il à conserver la meilleure évaluation de Pro B ? (photo : Sébastien Grasset)

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