Rachid Meziane, le Bleu des Belges
Il a été de toutes les campagnes, de toutes les souffrances européennes des Bleues, de toutes leurs conquêtes déçues. Budapest 2015, Prague 2017, Belgrade 2019, Valence 2021, il était là, toujours là, sempiternellement là. Il a vu les larmes des tricolores, éternelles deuxièmes derrière la Serbie ou l’Espagne, il aurait tant aimé les sécher, les transformer en pleurs de bonheur. Ces joueuses-là, il s’était juré d’en faire des championnes. Mais ce samedi, c’est bien lui qui va tenter de se mettre en travers de l’objectif médaille d’or de l’équipe de France. Lui, Rachid Meziane (43 ans), nouveau sélectionneur de la Belgique, initialement un petit entraîneur de jeunes à Clermont-Ferrand parvenu en demi-finale de l’EuroBasket avec les Cats. « J’ai l’impression que c’était écrit qu’on allait affronter la France », sourit-il.
« Mon départ de l’équipe de France en 2021 ?
Je l’ai mal vécu »
Dans un monde idéal, Rachid Meziane (43 ans) aurait voulu prendre part à ce match sur le banc tricolore, toujours avec son ancienne casquette d’adjoint. Assistant de Valérie Garnier de 2014 à 2021, surtout préposé à l’analyste vidéo, il n’a pas fait acte de candidature pour la succession de la Choletaise mais avait fait part de sa volonté de rester dans le staff. « C’est ce qu’il souhaitait car l’équipe de France lui a toujours tenu à cœur », raconte son ancien bras droit, Grégory Muntzer. « Malheureusement, ça n’a pas été possible. La fédération leur a dit qu’ils voulait repartir de zéro, écrire une nouvelle page, une nouvelle ère. » Forcément une déception pour le Villeneuvois, remplacé poste pour poste par Christophe Léonard. « Je l’ai mal vécu », acquiesce-t-il. « Quand tu ne fais que donner, donner, donner pendant sept ans, tu ne t’attends pas à cela, surtout en étant compétiteur, avec la perspective des JO en France derrière… Tu te dis : « Merde, énormément de sacrifices juste pour ça… » Ça m’aurait intéressé de continuer avec les Bleues, d’apporter mon expertise à Aimé qui arrivait dans un basket féminin qu’il n’avait pas côtoyé. Mais je comprends la politique, je comprends ce choix. »
À l’époque, cela aurait pu ressembler à la fin d’une ascension assez imprévisible, d’un ex-footballeur venu au basket sur le tard à Clermont jusqu’à un podium olympique. Longtemps vu en Nationale 3, Rachid Meziane était « un joueur très technique, déjà assez charnu et très costaud, intérieur de base mais très polyvalent » selon son ami d’enfance, Guillaume Vizade. En parallèle de ses années à l’ASM et à Orcines, il prend en main des équipes de jeune, avant de devenir salarié de la ligue d’Auvergne, où il assume la direction de l’équipe minimes du Pôle. Mais le vrai tournant intervient en 2006 lorsque sa fiancée, l’ancienne joueuse Stéphanie Dubois, signe à Challes-les-Eaux. Il la suit en Savoie, devient assistant puis responsable du centre de formation, décroche le titre de champion de France UNSS puis intègre le staff pro. La machine est lancée : suivront cinq années à Nice (2012/17) où il fera passer le Cavigal de la Ligue 2 à l’EuroCup, une expérience frustrante à Montpellier dont il a été débarqué en 2018 pour des raisons extra-sportives alors que le BLMA était premier en LFB et en EuroCup puis une belle aventure à Villeneuve-d’Ascq, où il est arrivé lors des playdowns en 2019. « Il n’y a que des réussites dans sa carrière », souligne Guillaume Vizade. Avec cette année 2023 en vrai point d’orgue pour l’instant : une demi-finale d’EuroCup aux allures de finale contre l’ASVEL, un trophée de champion de France effleuré à l’Astroballe lors du Match 3 et ce dernier carré continental à Ljubljana, une vraie performance au regard du panorama désertique des accomplissements des coachs français à l’étranger. « Je suis très heureux de tout ce qui lui arrive », embraye le technicien vichyssois. « C’est quelqu’un de passionné, très droit dans les relations humaines. Il aime bien les choses très claires, propose beaucoup de travail technique, de développement individuel. C’est un pédagogue et un fin technicien. Je dirais que c’est un coach très curieux : ça fait des années qu’il essaye d’importer et d’intégrer des choses qu’il observe ailleurs. il a démarré avec un basket très défensif et aujourd’hui, il a ouvert son jeu, avec plus de libertés et de vrais principes forts dans le jeu de transition. »
Au milieu de tout cela, l’équipe de France était venue toquer à sa porte en décembre 2013, alors qu’il venait de faire remonter Nice en LFB. « Il avait été énormément touché », se remémore Grégory Muntzer, son adjoint à l’époque. « Il a toujours été très attaché aux Bleues et à tout ce que ça représente. C’était un véritable honneur pour lui. » Et surtout un accélérateur de particules formidable dans une carrière où il avait jusque-là dû se contenter des centres de formation ou de la LF2. D’un coup, Rachid Meziane s’était retrouvé propulsé sur la scène mondiale, à l’observation directe du très haut niveau, invité par exemple à disséquer le jeu de Team USA lors de son premier été en sélection. « Après chaque campagne internationale, c’était flagrant de voir à quel point il avait progressé sur le contenu tactique, la lecture de jeu ou l’analyse de l’adversaire », insiste Muntzer. « Il a énormément appris sur les effets managériaux », ajoute Guillaume Vizade. « De passer d’un rôle de coach au quotidien au costume d’assistant, tu te retrouves dans un autre contexte, tu vois quelqu’un d’autre faire, il y a un effet miroir. »
La Belgique, plus qu’un lot de consolation
Toutes ces richesses acquises au fil des étés profitent désormais aux Cats. Contacté par Valéry Demory pour venir l’assister à la tête de la sélection belge, « ce qui l’a un peu consolé de ne pas rester en équipe de France » dixit son agent, Rachid Meziane a été promu après la Coupe du Monde. « Cela n’a jamais vraiment été un objectif de carrière », indique-t-il. « Quand Valéry m’a sollicité pour la Belgique, je me suis posé la question au vu de tout ce que j’avais vécu avec l’équipe de France. Je me suis aussi demandé si ce n’était pas le moment de faire un break. Je n’ai pas tapé aux portes, juste saisi une opportunité qui s’est présentée à moi. Quand on n’a pas été joueur de haut niveau, ce n’est pas facile de devenir coach. Mais c’est le fruit du travail, de la persévérance, des jeunes jusqu’à une sélection du Top 8 mondial. Quand on est compétiteur, on ne peut pas refuser. J’ai fait quatre Euro, deux Coupe du Monde, deux Jeux Olympiques en tant qu’assistant avec les Bleues, douze ans en LFB. Je pense que je suis légitime à ce poste-là. À un moment donné, pourquoi pas moi ? »
Dans sa quête de crédibilité, le quadruple vice-champion d’Europe a su saisir sa chance lors d’un intérim au cours de la fenêtre internationale de novembre 2022. Deux prestations abouties face à la Macédoine du Nord (112-41) et la Bosnie-Herzégovine (100-60) qui ont séduit les Cats. « On a vu de suite que c’était un très bon fit pour notre équipe », insiste la star, Emma Meesseman. « Son style de jeu nous convient très bien : il veut jouer vite, développer un beau basket, un basket simple. Et quand vous regardez dans le rétroviseur, c’est quand on joue simple qu’on a le plus performé. » Surtout, alors que Valéry Demory avait été officiellement remercié en raison de « problèmes de communication », ses qualités dans le domaine ont été mises en exergue par toutes nos interlocutrices belges. « Il est très à l’écoute, toujours dans la discussion et le management », dit Julie Allemand. « En novembre 2022, le style de jeu et le management que j’ai proposé ont plu », synthétise le principal intéressé, invaincu lors de ses huit matchs officiels avec un écart moyen de 42 points (!). « Il a préservé l’identité de notre équipe nationale », applaudit Julie Vanloo. « Sa force est de mettre nos points forts en avant, de savoir placer tout le monde dans les meilleures situations. C’est un bon communicant et un bon coach. »
Il a déjà travaillé avec 11 des 12 Bleues !
Une prise de poste dont il savait pertinemment qu’elle le conduirait tôt ou tard à recroiser la route de l’équipe de France. Cela aurait pu se faire autrement que sur un match aussi capital, entre deux équipes sur un point de bascule, qui définiront presque la pertinence de leurs récents choix du passé sur une seule soirée, mais c’est ainsi. « Il y aura forcément des émotions mais je me suis préparé à les laisser de côté », souffle-t-il, conscient de l’enjeu de ce samedi. « C’est un match à la saveur particulière mais on fait ce métier pour vivre ce genre de moment. Je vais oublier que c’est le bleu – blanc – rouge en face, simplement un adversaire que je vais vouloir battre. De ce que je vois de la compétition, je pense que le champion d’Europe se trouve parmi la Belgique ou la France. J’assume de vouloir rentrer au pays avec une médaille d’or ! » Au moins aura-t-il eu un scouting facilité sur cette demi-finale, avec la seule Leïla Lacan en « inconnue » pour lui : huit internationales côtoyées lors de son passage en sélection, Janelle Salaun actuellement avec lui à Villeneuve-d’Ascq et le duo Mamignan Touré – Marie-Paule Fopossi coaché à Nice en 2016/17. « On s’entendait toutes très bien avec Rachid », sourit Marine Fauthoux, à l’évocation de son nom. « Les assistants sont traditionnellement proches des joueuses, on échangeait beaucoup avec lui, c’est vraiment un bon gars. Mais on ne va pas lui faire de cadeaux ! » Lui non plus, évidemment… « Notre entraîneur français ? Mais il est Belge pour l’instant ! », se marre Emma Meesseman. « Aujourd’hui, mon basket est belge et mon cœur est belge », confirme Meziane. Pendant sept ans, tout ce qu’il voulait était de permettre à l’équipe de France d’arrêter de perdre en finale. Au fond, à l’orée de cette demi, son objectif n’a pas changé : si les Cats brisent enfin leur plafond de verre, il aura enfin contribué à mettre fin à la malédiction tricolore. Simplement pas de la façon initialement envisagée…
Quand Rachid Meziane apprenait son métier aux côtés de Jean-Aimé Toupane…
« Clermont, c’est ma ville, ce n’est pas la sienne », lance le sélectionneur belge tout sourire. Pourtant, la carrière de Jean-Aimé Toupane restera éternellement liée à ses accomplissements avec le Stade Clermontois, un club qu’il a contribué à faire passer de la Nationale 1 à la Pro A entre 2001 et 2008. Pendant ce temps-là, Rachid Meziane (qui n’avait que 21 ans lors de l’arrivée du Franco-Sénégalais dans le Puy-de-Dôme) arpentait les parquets nationaux avec l’ASM Clermont et envisageait déjà de se lancer dans le coaching. L’une de ses premières références dans le métier a donc été Jean-Aimé Toupane, le bâtisseur (une étiquette dont il se revendique) du SCBA. « Je ne l’ai jamais fait publiquement mais je veux vraiment remercier Jean-Aimé. Quand j’étais jeune entraîneur, il m’a ouvert les portes du Stade Clermontois et j’ai pu observer des entraînements. J’étais content d’y aller pour voir mes amis joueurs comme David Mélody ou Benoit Braun mais j’étais surtout heureux de pouvoir apprendre auprès de Jean-Aimé qui a fait de belles choses à Clermont. Je suis un peu un autodidacte dans le milieu mais je me suis inspiré de tout ce qui pouvait se faire au haut-niveau, donc forcément de lui. Et puis j’ai aussi vu son gosse grandir ! » De fait, au cours de ses deux années avec les minimes du Pôle Espoirs, Rachid Meziane a eu un tout jeune Axel Toupane sous ses ordres, en plus de Joffrey Lauvergne. « On a un passé en commun plutôt sympathique avec Jean-Aimé », glisse-t-il. Et surtout un futur à très court terme particulièrement excitant !
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