ITW Livio Jean-Charles, en clair-obscur à l’Olympiakos : « J’apprends beaucoup sur moi »
« T’inquiète pas, il n’y a personne d’autre qui va m’arrêter », glisse Livio Jean-Charles en souriant, alors que nous lui indiquons que l’on peut aller parler à la fin du couloir de la zone mixte, là où il n’y a plus aucun micro et surtout de l’espace, alors qu’en même temps, une cinquantaine de téléphones et de caméras sont braqués sur Georgios Bartzkokas ou Kostas Sloukas quelques mètres avant, écrasant les journalistes contre les barrières.
C’est que Livio Jean-Charles n’a pas été le joueur le plus en vue de la veille − euphémisme. Nous sommes le vendredi 20 mai et l’Olympiakos s’apprête à aller préparer sa petite finale d’EuroLeague sur le parquet de la Stark Arena. Moins de 24 heures avant, les joueurs du Pirée se sont inclinés contre l’Anadolu Efes Istanbul sur un buzzer beater de Vasilije Micic (74-77) et le Guyanais a passé l’intégralité de la rencontre sur le banc. Une donnée à prendre en compte à la lecture des réponses de l’ancien Villeurbannais. « Il faut remettre les choses dans le contexte où l’on parle », indique-t-il justement. « On sort d’une défaite en demi-finale d’EuroLeague donc tout a une connotation négative. Mais ce n’est pas du tout le cas. »
12 ans après avoir été élu MVP du tournoi juniors lors de l’édition 2010 à Bercy avec le Centre Fédéral, Livio Jean-Charles (2,05 m, 28 ans) a donc découvert les joies d’un Final Four. La récompense d’un choix de carrière très commenté en 2020 où, sortant de son exercice référence, il avait choisi de rompre son contrat avec Villeurbanne afin de s’engager deux ans à l’Olympiakos. Mais s’il avait été responsabilisé l’année dernière dans une saison très décevante des Reds (6,3 points à 57% et 3,2 rebonds pour 8 d’évaluation en 17 minutes de moyenne), ce ne fut presque plus le cas en 2021/22, le contre-coup de la renaissance du club athénien (3,8 points à 56% et 2,2 rebonds pour 5 d’évaluation en 11 minutes). Pire, le natif de Cayenne n’a pas disputé les deux rencontres les plus importantes de la saison du Pirée : le Match 5 contre l’AS Monaco puis la demi-finale face à l’Anadolu Efes. Ce qui témoigne qu’il ne fait pas partie de la rotation resserée de Georgios Bartzokas dans les très grands moments. « C’est un peu compliqué pour lui car on est cinq intérieurs », acquiesce Moustapha Fall.
Déjà vainqueurs de la Coupe de Grèce en février, Livio Jean-Charles et l’Olympiakos se sont désormais recentrés sur l’autre objectif majeur de leur saison : la conquête de leur treizième couronne nationale, la première depuis 2016. Après deux années de purgatoire en seconde division, les Reds ont terminé la saison régulière en tête (23v-1d) et auront donc l’avantage du terrain lors de la finale programmée contre le Panathinaïkos. D’ici là, Peristeri et Patras sont au menu. L’Olympiakos a bien entamé les playoffs mercredi avec une victoire 79-67, marquée par la belle activité de son intérieur tricolore (7 points à 3/5 et 5 rebonds pour 10 d’évaluation en 10 minutes). Le reflet de son efficacité en ESAKE (7,3 points à 65%, 4,6 rebonds et 1,1 passe décisive pour 11,3 d’évaluation en 18 minutes). Avant un été aussi crucial pour la suite de sa fin de carrière − en fin de contrat à l’Olympiakos − qu’heureux sur un plan personnel − il va se marier −, Livio Jean-Charles a fait le point en notre compagnie sur sa situation.
Livio Jean-Charles a fait partie des huit Français du Final Four 2022
(photo : Sébastien Grasset)
Livio, comment as-tu vécu la demi-finale contre l’Anadolu Efes et, probablement, l’immense déception qui en découle ?
C’était difficile. Perdre sur un shoot comme celui-ci, ça fait mal car ce n’est pas grand-chose. C’est un panier, c’est une défense. Après, est-ce que c’est sur ce dernier tir de Micic qu’on lâche vraiment ce match ? Pas forcément. On a eu de l’avance à un moment donné et on n’a pas su la garder. On les a laissés s’enflammer : je garde le souvenir d’Elijah Bryant qui met plusieurs trois points d’affilée. Le match ne se joue pas sur cette dernière possession mais ça reste difficile de perdre de cette manière.
Toi, personnellement, cette demi-finale était censée être le plus grand match de ta carrière. Tu l’as passé intégralement sur le banc. Ça aussi, forcément, c’est frustrant ?
C’est sûr, oui… Après, j’aurais pu être dans une autre équipe qui ne fait pas le Final Four. Quelque part, ça fait partie du jeu. Je ne vais pas vous mentir : je savais plus ou moins que le match allait se dérouler de cette manière pour moi. C’est comme ça…
« Difficile d’être derrière Vezenkov et Printezis »
Comment se passe cette saison ? L’Olympiakos est redevenu l’une des meilleures équipes d’Europe mais individuellement, tu as beaucoup moins de temps de jeu que l’an dernier ?
Collectivement, c’est très bien en effet. Je dirais que ma situation personnelle est un « trade of », entre être dans une grande équipe et moins jouer ou avoir plus de responsabilités dans un club moins prestigieux. C’est toujours compliqué à trancher. Au final, faire le Final Four m’a conforté dans ma décision, mais aussi un peu dans la déception de cette saison. Ça a été une année particulière, il y a eu des blessures, des rotations bizarres. Personnellement, je suis la rotation de Sasha (Vezenkov) et de (Georgios) Printezis. L’un termine dans le premier cinq de l’EuroLeague, l’autre va sur la retraite et est un joueur énorme. Ce n’est pas une excuse mais ça a été difficile.
Cela signifie que tu seras sûrement ailleurs la saison prochaine ?
Honnêtement, je ne sais pas encore. Je verrai les options que j’aurai à ma disposition.
Cela fait deux ans que tu es parti de Villeurbanne pour Le Pirée. Est-ce que tu te sens un meilleur joueur que depuis ton départ ?
(il réfléchit) Meilleur joueur, je ne sais pas. Je pense que je suis le même. Franchement, c’est dur de répondre, surtout après cette déception du Final Four. Il ne faut jamais prendre de décision à chaud. Il faut voir la globalité de la chose. Je ne crois pas être moins bon, ni meilleur. Je pense que je suis le même mais que le contexte a changé.
Utilisé sur les postes 4 et 5, le Guyanais a eu du mal à s’imposer dans la raquette cette saison
(photo : Sébastien Grasset)
Porter les couleurs d’un club aussi mythique que l’Olympiakos, aussi populaire, ça doit être quelque chose d’énorme en revanche… Tout le monde a vu les images du Match 5 contre l’AS Monaco : une telle ambiance est rarissime en Europe.
C’était quelque chose, oui ! Je n’avais jamais vu autant de ferveur. Quelque part, on joue pour cela aussi. Ça fait oublier plein de choses (il rit).
On te sent assez fataliste, voire déçu, sur cette expérience…
Non, pas du tout. Je suis content d’avoir fait ces saisons là-bas, d’avoir déjà gagné des trophées comme la Coupe de Grèce. On est en bonne voie pour remporter le championnat, on a fait le Final Four. Je ne suis pas fataliste, non. Je suis content de la saison qu’on a fait, je suis content de plein de choses. Il faut remettre les choses dans le contexte où l’on parle : on sort d’une défaite en demi-finale d’EuroLeague donc tout a une connotation négative. Mais ce n’est pas du tout ça, je ne cherchais pas du tout à être négatif.
[Georgios Printezis passe à côté de nous] S’entraîner quotidiennement aux côtés d’une légende comme lui, c’est valorisant ?
Oui, c’est clair que c’est sympa de jouer contre des gens comme ça. Après, c’est particulier, je ne suis pas vraiment face à lui. Je joue poste 5, ce qui n’est pas vraiment mon poste, c’est un peu compliqué. Ça fait partie du jeu, j’apprends beaucoup de choses sur moi.
« Moustapha ? Il a fait une bête de saison ! »
En revanche, être rejoint par un autre Français, Moustapha Fall, cette saison, c’était un plus évident ?
Ah oui, ça aide ! J’ai fait la saison précédente tout seul, ce n’est pas pareil.
Quel regard portes-tu sur sa saison et son évolution ?
Il a fait une bête de saison ! Je pense qu’il ne reçoit pas assez les fleurs qu’il devrait avoir. Notre jeu est beaucoup basé sur lui, une grande partie de notre défense repose sur ses épaules et ce n’est pas forcément ce qu’une personne pas très aguerrie au basket peut détecter. Mais c’est vraiment une pièce importante de notre équipe.
Alors pourquoi ne l’a-t-on pas vu de tout le dernier quart-temps contre l’Anadolu Efes ?
(il éclate de rire) Ah non, je ne vais pas jeter de l’huile sur le feu. C’est vrai que c’est particulier mais ça fait partie de tout. Tout le monde aurait quelque chose à redire, à refaire et c’est parce qu’on a perdu. Si on avait gagné, je ne sais pas s’il y aurait tous ces commentaires… C’est humain et naturel qu’on cherche la petite bête en cas de défaite.
Le duo tricolore de l’Olympiakos
(photo : Sébastien Grasset)
Tu fais partie des huit Français au Final Four : c’est un total complètement inédit. Des grosses équipes européennes se mettent à vous faire confiance, à vous confier des rôles majeurs… Ce qui n’était pas le cas il y a 15 ans. Selon toi, pourquoi cette évolution ?
On a le vent en poupe (il rit) ! Non, ce n’est pas qu’un effet de mode, pas qu’une sorte d’ineptie. C’est juste qu’on a beaucoup de talents, des joueurs qui travaillent dur et qui rayonnent à l’extérieur du pays. Parfois, c’est un peu dommage de devoir attendre de quitter la France pour se faire voir et reconnaître. On a plein d’exemples de mecs qui cartonnent cette année : il y a Mam’ (Jaiteh) qui finit MVP de l’EuroCup, Alpha (Kaba) qui a connu des moments difficiles à Boulazac et à l’ASVEL avant de terminer MVP en Turquie, il y a du monde au Real Madrid, à l’Olympiakos… Ça prouve qu’on a quelque chose en France et qu’on devrait en être contents.
Ressens-tu un respect ou une évolution du regard des étrangers vis-à-vis du basket français ?
Honnêtement, je pense que le championnat français est un peu sous-coté dans la vision des étrangers. En réalité, c’est le championnat le plus athlétique en Europe, surtout l’un des plus compliqués aussi. Par exemple, si je prends l’exemple de la Grèce, même si je suis dans une très bonne équipe, on voit une vraie différence de niveau… En France, tu viens un matin, tu n’es pas prêt, tu perds : que ce soit au Portel, à Cholet, ou ailleurs. Il y a cette dimension physique qui fait que si tu n’es pas bon, tu ne gagneras pas. C’est un peu pareil en Espagne mais il y a plein de championnats où ce n’est pas le cas.
Il y a des matchs en Grèce qui ne sont pas forcément intéressants à jouer ?
Si, c’est toujours intéressant mais c’est sûr qu’il y a un petit gap entre l’Olympiakos, le Panathinaïkos et le reste. Les clubs ont eu des difficultés avec le Covid. Je trouve qu’il y a énormément de mouvements : les étrangers bougent beaucoup, partent et reviennent. Il y a quelques équipes qui sont intéressantes mais c’est vrai qu’après la cinquième place, c’est compliqué.
« Revenir au Final Four avec un autre rôle »
C’est un style de jeu très spécifique aussi non ?
Complètement. Il n’y a pas cette dimension athlétique qu’on retrouve en Betclic ÉLITE, pas cette dimension de vitesse et shoot comme en Espagne. C’est un peu particulier. Après, je vous dis ça parce que je suis à l’Olympiakos et qu’on a une bête d’équipe. Si j’étais ailleurs, peut-être que je vous dirais que c’est un championnat hyper concentré, hyper compétitif, hyper dur. Mais en toute modestie, sans vouloir dénigrer personne, on a plus de facilités.
Tu as 28 ans donc encore quelques belles années devant toi : qu’est-ce qui te fait envie pour la suite de ta carrière maintenant ?
Tout de suite, là, revenir ici (au Final Four). Avec, peut-être, je l’espère, un autre rôle et pouvoir avoir une autre expérience du Final Four. Celle-ci a été super, mais difficile avec cette défaite au buzzer.
En continuant à l’étranger donc ?
Oui, l’étranger, c’est bien aussi quelque part (il sourit). C’est autre chose, on est vu différemment.
Si ce ne sera vraisemblablement pas à l’Olympiakos, Jean-Charles devrait poursuivre son exil
(photo : Sébastien Grasset)
Ton nom reste associé à l’ASVEL mais tu es déjà sorti du cocon villeurbannais à plusieurs reprises : la D-League, Malaga, l’Olympiakos maintenant…
C’est ça ! Lyon, ça a été la maison pendant très longtemps pour moi. Tant mieux car je suis très content de ce que j’ai fait à l’ASVEL. Mais là, je suis à l’âge où il faut que j’explore d’autres choses, que je vois comment cela se passe ailleurs, tout simplement.
Tu continues à suivre l’ASVEL ?
Bien sûr. Ils ont fini à la première place, tant mieux. Je pense que les playoffs vont être compétitifs…
Oui, toi, tu connais l’AS Monaco…
(il rit) Après, Monaco version EuroLeague et Monaco version Betclic ÉLITE, ce n’est pas vraiment la même chose. Après, la version playoffs sera compliquée à jouer. Mais j’ai toute confiance en Villeurbanne. Ce n’est pas quelque chose qu’ils ne connaissent pas, ils peuvent le faire.
À Belgrade,
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