ITW George Eddy, les adieux de la voix bleue : « L’équipe de France, c’est sentimental »
George Eddy a commenté son dernier match de l’équipe de France dimanche lors de la finale de l’EuroBasket 2022
Dimanche soir, dans la mélancolie de la salle de presse de la Mercedes-Benz Arena, George Eddy s’avance vers nous. « Ça me rappelle la demi-finale de 2015 », souffle-t-il, déçu par le dénouement final de l’Euro. Quelques heures auparavant, dans le lobby de son hôtel berlinois, alors que son téléphone vibrait encore des centaines de messages de félicitations reçus au cours du week-end, le célèbre commentateur franco-américain avait feuilleté son grand livre de souvenirs en notre compagnie. Près de 37 ans après avoir officié sur son premier match international, l’ancien shooteur de Caen a donc lâché le micro de Canal+ à l’issue d’une désillusion contre l’Espagne (76-88), suivie par 491 000 téléspectateurs, loin de « l’apothéose » qu’il espérait. Du lent redressement post-Los Angeles jusqu’à l’âge d’or actuel, George Eddy (66 ans) retrace l’évolution de l’équipe de France. « Son » équipe de France.
George, finir votre carrière de commentateur des Bleus sur une finale de championnat d’Europe entre la France et l’Espagne (entretien réalisé dimanche après-midi, ndlr), vous pouviez difficilement espérer mieux ?
Tout à fait. Je savais que l’on n’avait plus les droits sur Canal+ après cette compétition donc mon rêve reste que ces 37 ans de mariage entre l’équipe de France et Canal+ se finissent avec un titre, qui n’arrive que peu souvent. Si les Bleus gagnent ce soir, on toucherait vraiment au côté apothéose. Soit sur place, soit en plateau à Paris, j’ai commenté tous les EuroBasket depuis 1993. Ça fait un long bail !
Que représente l’équipe de France à vos yeux ?
Il y a un côté sentimental. Vis-à-vis du basket français, je me sens totalement redevable. Aux États-Unis, je n’ai jamais fait partie ni de l’équipe de mon lycée ni de l’équipe universitaire. Je suis arrivé en France à 20 ans et je suis entièrement formé dans le basket français. J’ai rempli tous les rôles : joueur, coach, dirigeant… J’ai connu tous les niveaux comme joueur, jusqu’à la régionale. Or, l’équipe de France est le sommet, le pinacle du basket tricolore. C’est un honneur et un privilège d’être celui qui accompagne le grand public dans les grandes compétitions.
Surtout que c’est là où l’on fait nos meilleures audiences. On dit toujours que le basket est un sport de niche mais quand c’est les Bleus, on fait les mêmes scores que le foot. Lors du quart de finale contre l’Italie, on a fait un pic à 700 000 téléspectateurs par exemple. Ça vaut certains matchs de foot et c’est mieux que le rugby. On a toujours su que ce n’était qu’avec l’équipe de France que le basket pourrait faire de très grosses audiences. À chaque fois, on sent l’emballement autour des Bleus et l’intérêt suscité par les compétitions.
« Une extinction totale de voix après la demi-finale de 2013 ! »
Vous souvenez-vous de votre premier match commenté de l’équipe de France ?
C’était lors du tournoi de Noël en 1985, à Coubertin (victoire 92-90 contre la Tchécoslovaquie et défaite 103-110 contre l’URSS, ndlr). C’est à ce moment-là que Charles Biétry a noué ses premiers contacts avec la fédération. Mais les souvenirs sont flous car ça remonte quand même. C’était l’époque des Jean Galle, Hervé Dubuisson, Jacques Monclar, Éric Beugnot…
Quel est votre match le plus marquant de l’équipe de France ?
Il y en a eu plein mais forcément, la demi-finale contre l’Espagne à Ljubljana en 2013 (75-72, a.p.). On était à -14 à la mi-temps, on pensait être archi battus et il y a eu ce réveil inimaginable en deuxième. Cela reste un des plus grands souvenirs. J’ai même perdu ma voix en criant comme un idiot à la fin du match, j’avais peur de ne pas être en état de commenter la finale car j’avais vraiment une extinction totale. Avec de la cortisone et beaucoup de thé au miel, j’ai réussi à commenter la finale (80-63 contre la Lituanie), un peu l’antithèse de la demi-finale.
Il faut aussi sans doute ajouter la demi-finale perdue en 2015 à Lille (75-80), devant 28 000 spectateurs, en prolongation où l’on ne trouve pas la solution contre Pau Gasol. En plus, c’était déjà la fin du basket français sur Canal+ : tous mes collègues, comme David Cozette et Nicolas Baillou, qui bossaient beaucoup sur Sport+ partaient. C’était un coup d’arrêt car on perdait la Pro A. Dans les grands matchs, il y a aussi la finale des Jeux Olympiques 2000 (75-85 contre les États-Unis).
Entre vos deux pays…
Les gens me ramènent toujours à mon pays d’origine mais je vis en France depuis 1977. J’ai vécu les deux tiers de ma vie en France, j’ai fait toute ma carrière et mon succès professionnel en France. Dès qu’il y a France – États-Unis, je veux que la France gagne. En réalité, je suis vraiment un produit du basket français. Plus globalement, Sydney 2000, ça reste effectivement l’un des tous meilleurs souvenirs. On a failli se faire éliminer dès les matchs de poule, heureusement qu’Antoine Rigaudeau est très fort face à la défense de zone de la Chine (82-70) car sinon, on ne faisait même pas la phase finale. Après, il y a un concours de circonstances où l’on joue plutôt le Canada que la Serbie, que l’on bat grâce à l’excellente défense de Makan Dioumassi sur Steve Nash (68-53), avant d’éliminer l’Australie grâce à un très bon Fred Weis face à Luc Longley (76-52). Après, on donne pas mal de maux de têtes à Team USA.
« Le dunk de Vince Carter est un extrait qui a marqué ma carrière »
C’est lors de ce tournoi où vous avez effectué l’un de vos commentaires devenus les plus cultes sur Youtube, avec le dunk de Vince Carter sur Fred Weis…
Comme mon shoot du milieu de terrain au All-Star Game (il rit). C’est effectivement un extrait qui a marqué ma carrière. Le dunk de Vince Carter me donne encore des frissons quand je le revois, il ressort chaque année lors de sa date anniversaire. Mais j’ai détesté la manière dont on a traité Fred Weis : il a fait une belle carrière qui ne se réduit absolument pas à ce dunk subi. Je suis content de le voir commenter la finale sur M6, il fait un bon boulot, c’est un garçon très aimable, il fait partie de la relève. Heureusement qu’il n’a pas fait faute quand même (il rit).
Quelle fut votre plus grande joie avec l’équipe de France ?
Le titre de 2013, forcément. Et aussi la victoire contre l’Espagne lors de la Coupe du Monde 2014 (65-52), contre toute attente. Cela fait partie des matchs les plus surprenants aussi, surtout contre l’Espagne qui nous a si souvent battus, qui a parfois été un peu arrogante vis-à-vis de nous, parfois des mauvais gestes. C’était parfois chaud entre les deux pays. Cette année-là, tout était fait pour que l’Espagne rencontre les États-Unis en finale et sans Tony Parker, la France arrive à les éliminer haut la main. C’est un peu le même match défensif que contre la Pologne cette année (95-54) : ils ont été étouffés, malgré le talent des Gasol et compagnie. C’était extraordinaire.
Et a contrario, votre plus grande déception ?
Outre la demi-finale de 2015, les deux pires souvenirs pour moi sont 2003 et 2007. Avec Tony Parker et une génération dorée, on avait tout ce qu’il fallait pour aller au moins aux Jeux Olympiques. En 2003, on perd bêtement de deux points la petite finale contre l’Italie (67-69) à cause de problèmes internes. Il y a une sorte de démission collective autour de Tony Parker, une partie de l’effectif qui était jaloux de lui et qui ne voulait pas trop l’aider. C’était à lui de tout faire tout seul. C’était terrible car il fallait que l’équipe de France soit aux JO 2004, diffusés sur Canal+ aussi. Bis repetita en 2007 : là, on arrive un peu avec la grosse tête, Tony est MVP des NBA Finals, il y a toute l’aura autour de lui et il est bien secondé par les Boris Diaw et Ronny Turiaf. Là, le problème est qu’on n’arrive pas à digérer l’élimination en quart de finale contre la Russie (71-75), à cause des lancers-francs manqués. C’est là où je pète un câble à l’antenne avec quelques jurons que je regrette d’avoir employé.
Surtout, je regrette l’attitude des Bleus lors des deux matchs de classement disputés à 14h dans une grande salle vide. Je le sentais dès l’échauffement : ils ne prenaient pas ça suffisamment au sérieux, ils faisaient un concours de dunks, ils avaient de grands sourires comme s’ils avaient gagné. C’était une mauvaise manière de digérer la déception. Il suffisait de gagner l’un des deux matchs pour aller au TQO… Après, il y a eu le clash avec Tony, qui est aussi toujours trouvable sur Internet. J’avoue que c’est à ce moment-là que j’ai proposé de laisser Jacques Monclar commenter l’équipe de France en 2009 et 2011. J’étais présent en studio à Paris mais j’étais plutôt content de faire un break après cette déception.
« Vivre le match avec ses tripes et transmettre ses émotions au public,
c’est là où j’ai réussi à plaire au public »
À cause du clash avec Tony Parker ?
Non non, pas à cause de ça, même si cela m’a déçu, il m’a un peu boycotté après coup. Il a essayé de faire en sorte que d’autres joueurs le suivent, heureusement que Boris Diaw et Nicolas Batum n’ont pas suivi le boycott. Après, ça s’est calmé et nous sommes redevenus proches. C’était juste un flottement dans notre relation, on se respecte beaucoup. Tony, je l’ai vu grandir, j’ai joué contre son père, je faisais des concours de shoot avec lui quand il était au Paris BR ! Mais c’est vrai que cet évènement, combiné à la déception par rapport à l’équipe de France et leur arrogance vis-à-vis des matchs de classement, m’a donné envie de prendre un peu de recul. Après le départ de Jacques Monclar à beIN, je reprends le flambeau sur place en 2013, pour mon plus grand bonheur.
Ce jour où vous vous emportez au micro contre la Russie, c’est aussi le reflet du côté sentimental que vous évoquez…
Tout à fait. Je pense que c’est la clef de tous les messages que je reçois actuellement. C’est par rapport à mes commentaires, que j’espère sincère, et j’ai surtout essayé de transmettre mes émotions aux téléspectateurs, avec la même envie de voir l’équipe de France gagner. C’est là où je pense avoir réussi à toucher une corde sensible : il y avait beaucoup plus de cœur que de technique dans les commentaires. Il faut quand même garder son objectivité, ne pas être chauvin, ne pas toujours voir le mal dans l’attitude des arbitres… C’est pour ça que je n’ai pas envie qu’on me compare à Thierry Roland par exemple. En revanche, vivre le match avec ses tripes et transmettre cette émotion action par action, c’est là où j’ai réussi à plaire au public en fait.
En 37 ans, vous avez accompagné énormément de générations…
Tout à fait ! Même depuis le début, car j’ai été deux fois en équipe de France A’ où je passais beaucoup de temps avec les Beugnot et Monclar, une bande de potes. Si je devais lâcher un inside, on était connu comme les frères pétard à cette époque-là (il rit). J’étais assez proche des joueurs de l’équipe de France depuis le début. L’anecdote la plus incroyable est mon essai à Bagnolet en 1977, afin d’être choisi comme deuxième Franco-Américain de l’histoire de la première division après Jean-Pierre Baldwin. J’étais juste venu m’entraîner pour le fun dans la salle de Bagnolet, le club a vu mes origines françaises et s’est dit que je pourrais peut-être renforcer l’équipe. Ils m’ont testé sur un deux-contre-deux d’une heure, notamment en face d’Hervé Dubuisson. Il y avait Christian Ricard et Franck Cazalon aussi. Je ne connaissais rien au basket français, je ne savais pas qu’il y avait une ligue semi-pro. Quand j’arrive sur place, je me dis : « Ça, c’est une salle de première division ?! Le niveau ne doit pas être très fort ! » Quand Hervé Dubuisson m’a dunké dessus, j’ai vite compris (il rit). J’ai vu qu’il y avait des bons joueurs en France et que je n’allais pas tout exploser.
Quand je me rappelle du niveau médiocre de l’équipe de France à l’époque, c’est vraiment génial de constater la progression de la sélection. Je me rappelle de la déception des JO 1984 à Los Angeles. Il y avait beaucoup de talent mais ça manquait de cohésion et de solidarité. J’ai été ravi de voir ces manques comblés à partir de 1999 et pour les décennies qui ont suivies.
Quelle génération vous a le plus marqué ?
J’ai surtout vécu l’épopée de la génération Parker. Il y a eu beaucoup plus de satisfactions que de déceptions. Déjà, on gagne la première médaille depuis 50 ans (46 ans exactement, ndlr) en 2005. On aurait dû aller en finale, on aurait pu gagner la médaille d’or, sans ce shoot de Diamantidis (66-67 contre la Grèce en demi-finale). Ce France – Grèce 2005 aurait aussi pu aller dans les déceptions : on touche le Graal du bout des doigts et on nous l’enlève au dernier moment. Après, il y a 2013, toutes les médailles avec Vincent Collet… C’est quand même cette génération-là que j’ai accompagné le plus longtemps. En plus, ce sont des joueurs qui ont été nourris par mes commentaires sur Canal+ pendant leur enfance. Ils me disaient tous qu’ils avaient regardé les matchs et que ça leur avait donné envie d’aller en NBA : les Tony Parker, Boris Diaw, les frères Piétrus, Mike Gélabale… Ça me plaisait d’entendre ce discours des joueurs de l’équipe de France. Après, ma passion pour l’équipe de France a été régénérée avec la nouvelle génération autour d’Evan Fournier et Rudy Gobert, que j’apprécie. Par exemple, eux, ils viennent tous les ans sur le plateau de Canal+ Afrique après la saison dans notre magazine Canal NBA. Ils sont fidèles à l’Afrique, à Canal, à moi. Je dois ajouter Nicolas Batum, que je connais depuis qu’il est adolescent car j’ai aussi affronté son père. Il y a certains joueurs comme ça avec qui j’ai des atomes crochus. Voir cette génération post-Tony Parker réussir lors de la Coupe du Monde 2019 et aux JO m’a emballé. Je me sens proche d’elle.
Encore un ou deux ans sur Canal+ Afrique
Quel est votre avenir maintenant ?
Je vais faire le point dans six mois avec ma direction. Soit j’arrête l’été prochain, soit celui d’après. Par rapport à Canal France, il y a des petites surprises qui vont arriver dans les prochains mois. On ne sait jamais avec les histoires de droit télévision, ça peut évoluer très vite. J’espère que les bonnes audiences de l’EuroBasket vont faire réfléchir nos dirigeants et leur donner envie de refaire du basket sur Canal+. Je n’ai aucune nouvelle par rapport à ça. Mais je me suis préparé depuis longtemps à la fin du basket sur Canal+ : on perd successivement la NBA, le championnat de France, l’équipe de France… J’ai appris à digérer ce genre de déception. Comme je suis quelqu’un qui vit dans le présent et l’avenir plutôt que dans le passé, j’ai toujours regardé comment rebondir, être encore utile et performant dans mon travail. Étant donné qu’on n’a plus de droit, cette finale ressemble à mon dernier match avec l’équipe de France et je suis très touché de l’ensemble des messages que je reçois. Mais je suis plutôt tourné vers la suite, c’est-à-dire la saison NBA qui commence en octobre sur Canal+ Afrique. Et pourquoi pas les JO, si la FIBA me propose quelque chose qui m’intéresse ! Sinon, je les regarderai comme un spectateur passionné !
Comment envisagez-vous l’avenir des Bleus ?
Je vais être leur premier supporter ! Surtout si Joel Embiid arrive, on aura tout ce qu’il faut pour être performant pendant quelques années encore. S’il fait partie de l’équipe de France, je pense que nous seront autant favoris pour la médaille d’or à Paris 2024 que Team USA.
Avez-vous une dernière anecdote concernant l’équipe de France ?
Une des choses qui me plaisait énormément était de retrouver les confrères pour des petits matchs de basket entre journalistes. On a continué jusqu’à Berlin ! Quand on est sur une compétition pendant deux à trois semaines, la camaraderie avec les autres journalistes basket et ces sessions pour le plaisir font partie des choses qui vont me manquer. Un souvenir, très égoïste celui-là : lors du tournoi médias organisé à Ljubljana en 2013, j’ai gagné le concours à trois points et j’ai encore le petit trophée sur la cheminée à la maison.
Peut-être 😇 pic.twitter.com/xKMDXSZOSe
— Clément Carton (@clementcarton) September 12, 2022
Je pense à mes collègues : David Cozette, Bruno Poulain, Eric Besnard. Il y a toujours eu beaucoup de respect, d’amitié et de compétences. J’espère les avoir améliorés, comme eux l’ont fait avec moi. Ce fut de bons mariages à chaque fois, comme avec Stéphane Genti et Joris Sabi plus récemment. En plus, souvent, il s’agissait de jeunes bercés par mes commentaires quand ils étaient gamins. Je me sentais un peu comme leur mentor ou leur grand frère, comme Boris Diaw avec les Bleus en ce moment.
À Berlin,
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