« Je ne l’ai jamais vu jouer comme ça » : mais qu’arrive-t-il à Isaïa Cordinier ?!
La joie d’Isaïa Cordinier au moment du buzzer final face à l’Allemagne
Isaia Cordinier (1,96 m, 27 ans) est le nouveau Laurent Sciarra. En 2000, alors initialement attendu comme un joueur de rotation, le meneur avait été la sensation française des Jeux de Sydney. 24 ans après, le Niçois a transmis le flambeau à un autre Azuréen : Isaïa Cordinier, assez inoffensif en préparation alors qu’il avait pourtant été intronisé dans le cinq de départ, absolument injouable depuis le début des phases finales (20 points à 6/10, 3 rebonds et 3 interceptions face au Canada, puis 16 points à 6/13, 7 rebonds, 2 passes décisives et 2 interceptions contre l’Allemagne en demi-finale).
À tel point qu’il est devenu la première menace identifiée par les joueurs des États-Unis à chaud, lorsqu’ils étaient interrogés sur les Bleus en vue de la finale. « Il a changé l’équipe », lançait ainsi le sélectionneur Steve Kerr, rejoint par Kevin Durant, même s’il peinait sur son patronyme. « Il y a Isaïa… je ne sais pas comment on prononce son nom de famille ?! Cordnier (sic, après avoir été aidé par un journaliste). Il a été lancé et joue un basket incroyable. »
Et de fait, quand on ne connait pas spécialement l’équipe de France, il y avait de quoi être interloqué face au niveau actuel d’Isaïa Cordinier. Et même quand on la connait très bien… « J’attendais plus de lui par rapport à l’an dernier mais qu’il tourne à 18 points de moyenne sur les deux derniers matchs, qu’il défende comme un fou, qu’il soit possédé à ce point, personne ne pouvait s’attendre à cela », sourit Vincent Collet. Alors qu’il incarne les choix tactiques payants du sélectionneur depuis l’arrivée à Bercy, aux côtés de ses compères de la génération 1995-1996 (Guerchon Yabusele – Mathias Lessort), l’enfant des Sharks d’Antibes joue le meilleur basket de sa vie, en confiance absolue, capable d’assumer d’énormes responsabilités offensives, en plus d’avoir été envoyé en mission sur la star adverse Franz Wagner. Sans oublier les deux lancers-francs les plus importants de sa carrière, à 71-69 à 7 secondes du buzzer final… « Il est capable de faire ça », plaide Guerschon Yabusele. « Quand il était petit, c’était déjà ce genre de joueur. Je l’affrontais en cadets avec Antibes et il nous faisait chier à dunker et tirer à 3-points. Il faisait que crier. Mais le faire là, en pleine confiance et de voir sa montée en puissance, c’est incroyable car il pousse toute l’équipe. »
L’éternel 13e homme
Qu’Isaïa Cordinier soit devenu l’un des leaders de l’équipe de France, l’histoire est assez savoureuse. Lancé pour la première fois en Bleu lors d’un match de fenêtre internationale face à… l’Allemagne en février 2020, l’ancien arrière de Nanterre a longtemps eu un destin torturé avec la sélection. Cantonné à un rôle de défenseur, éternel 13e homme, remercié en 2021 après l’entrée au village olympique, encore le dernier coupé en 2022… et même pas dans la liste en 2023 pour la Coupe du Monde, avant d’être appelé en urgence suite à la blessure de Frank Ntilikina. À Jakarta, les Bleus se crashent mais le joueur de la Virtus Bologne prend du galon et « marque des points », du propre aveu de Vincent Collet. C’est cette résilience que choisissait de ressortir Evan Fournier lorsqu’on l’interrogeait sur son coéquipier. « Il prend confiance. J’avoue que je ne l’ai jamais vu jouer comme ça. C’est un garçon qui bosse, déjà. Je trouve que c’est symbolique car il est arrivé pour la première fois en équipe de France en 2021. Il a été irréprochable. Il est resté avec nous jusqu’au dernier jour à Tokyo, il nous a vu rentrer au village olympique. Il se fait couper l’année d’après à l’Euro, il ne dit rien, il ferme sa gueule, il revient année après année. Et maintenant sur ces deux derniers matchs, c’est l’un de nos meilleurs joueurs. Je suis fier de lui, vraiment content, c’est un super mec. Il mérite tout ce qui lui arrive. »
Encore sous contrat pour un an avec la Virtus Bologne, Isaïa Cordinier s’est révélé à la face de la planète basket en l’espace de 48 heures. À tel point que des journalistes américains présents à Paris rappelaient sur leur compte X que l’ancien 44e choix de la Draft NBA (par Atlanta, en 2016) était désormais free agent en NBA, après que les Brooklyn Nets aient renoncé à ses droits en 2021. Un début de petite revanche pour le natif de Créteil, qui avait notamment subi un tweet extrêmement violent du journaliste star d’ESPN, Adrian Wojnarowski, en 2018. « Vous ne le verrez probablement jamais [en NBA] », avait écrit l’insider à l’époque. Peut-être pas, mais vous le verrez en nouveau leader de l’équipe de France en finale olympique !
In the Jeremy Lin deal, Atlanta sends the Nets the rights to 2016 second-round pick Isaia Cordinier (you'll probably never see him). Atlanta gets a 2025 second-round pick and the right to swap picks with Nets in 2023.
— Adrian Wojnarowski (@wojespn) July 13, 2018
L’œil de son formateur, Christian Corderas
« Je ne suis pas surpris. Je suis content qu’il ait enfin eu sa chance, qu’on lui ait l’opportunité de s’exprimer réellement. Quand il a une chance, il sait la saisir. Je suis content de le voir performer au plus haut niveau mondial. J’étais persuadé qu’il pouvait le faire mais tout le monde le sait aujourd’hui. C’est l’essentiel. Il a le style de jeu qui permet de se mettre en avant, d’une part, mais de bonifier un groupe. Des deux côtés du terrain, j’ai toujours trouvé que c’était un joueur parfait pour l’équipe de France. Il me parait indispensable. Depuis qu’il est responsabilisé, l’équipe a vu ses performances augmenter. »
L’interview d’Isaïa Cordinier en zone mixte
Isaïa, vous allez en finale des Jeux Olympiques…
C’est unique ! Franchement… (il s’interrompt) En étant honnête, il y a peu de personnes qui croyaient en nous, surtout après la prépa et la phase de poule. Mais nous sommes restés confiants. Je savais qui on était. On s’est retrouvé en quart et on a appuyé sur la même chose en demi. Et putain… Putain… On l’a fait ! On n’a pas fini, il reste encore un match, une finale, chez nous, devant nos familles, devant les supporters français. On va tout donner jusqu’à la fin.
Qu’avez-vous pensé lors de vos deux lancers-francs décisifs dans les dix dernières secondes ?
Qu’il faut les mettre, c’est tout (il rit). J’ai eu la chance en demi-finale des playoffs contre Venise de me retrouver dans la même situation. J’avais mis les deux lancers pour la victoire. J’ai essayé de me rappeler des sensations, essayé de me rappeler que je les avais mis. J’ai tenté d’être le plus relâché possible et le plus concentré pour nous donner l’avance qu’il fallait.
Vous avez été le facteur X de cette demi-finale.
C’est mon premier vrai tournoi où j’ai été pris dès le début. L’année dernière, j’ai remplacé un blessé (Frank Ntilikina). C’est assez spécial pour moi de reprendre le flambeau de mon père qui a fait les JO à Atlanta (en 1996). C’était un objectif de toujours de faire les Jeux Olympiques à Paris. Je reste vrai envers moi-même et ça paye aujourd’hui. Mais c’est avant tout une victoire d’équipe. Cette alchimie qu’on a retrouvé, tous les joueurs qui ont step-up : Guerschon (Yabusele), Mathias (Lessort), la fin de match de patron d’Evan (Fournier) contre le Canada qui est encore solide avec des tirs importants jeudi, les minutes précieuses de Nando (De Colo) en première mi-temps alors qu’il n’avait pas joué en quart, etc… Toute l’équipe était en mission. Aujourd’hui, nous sommes proches de l’accomplir. Mais ce n’est pas fini !
Avez-vous déjà évolué à un tel niveau de confiance ?
En équipe de France, non je ne pense pas. À part pendant les fenêtres internationales. Avec les Bleus, c’est la première fois où je passe le cut, où j’ai un autre rôle que défenseur d’élite. Mais encore une fois, c’est cette confiance qu’on a les uns envers les autres, les douze joueurs. On sait que tout le monde peut apporter à un moment donné, tant qu’on reste sur nos bases. Avec le flow et l’énergie collective, on peut regarder n’importe qui les yeux dans les yeux.
Vous avez évoqué votre père, Stéphane, ancien handballeur, quatrième des JO 1996. Ça y est, vous allez faire mieux que lui…
(ému) Je l’ai vu à la maison familiale à Créteil après les poules, chez ma grand-mère. Il y avait ma femme, mes deux parents, ma petite sœur, deux de mes meilleurs potes. Avec mon père, on s’est regardé et on s’est dit : « Quatrième place interdite, il faut une médaille chez les Cordinier ! » On va essayer d’aller chercher la plus belle samedi, on va tout faire pour. Ce qui se passe dans les rues, dans la ville, dans les tribunes, c’est spécial, c’est unique. On ne revivra jamais ça de nos vies. C’est une raison de plus pour tout arracher en finale.
À Bercy,
Commentaires