France – Espagne, chronique de la plus grande rivalité du basket européen
« C’est une affiche qui devient récurrente, même si cela fait six ans que l’on ne s’est pas joué », glisse Vincent Collet. Depuis treize étés, le mandat du sélectionneur le plus décoré de l’histoire du basket français est agrémenté de fréquentes retrouvailles avec son meilleur ennemi. Entre 2009 et 2016, les Bleus et la Roja se sont mêmes affrontés chaque année, à chaque fois lors de matchs décisifs, hormis lors de la Coupe du Monde 2010.
Alors bien sûr, l’histoire franco-espagnole n’a pas démarré avec Vincent Collet puisque l’on pourrait aussi parler de la demi-finale de l’EuroBasket 1999, où les ambitions tricolores de premier titre européen avaient été fracassées à domicile (63-70), ou de la petite finale de 2005, conclue par une correction (98-68) et la première médaille depuis 46 ans. Mais elle s’est cristallisée au cours de la dernière décennie, à travers des mauvais gestes, des phrases piquantes, des victoires triomphales et des défaites déchirantes. « C’est une autre époque, ce n’est pas la même génération », a dédramatisé Vincent Collet. Il n’empêche que cette rivalité a durablement marqué les mémoires au sein du basket tricolore. Récit.
2009,
une première leçon
Toujours invaincue après six rencontres, l’équipe de France – qui s’est sortie d’un véritable chemin de pénitence à travers le repêchage des qualifications – aurait dû hériter d’un quart de finale abordable pour la première de Vincent Collet. Mais voilà, le champion du monde espagnol a batifolé en route tandis que les Bleus se sont longtemps demandés s’il fallait réellement respecter la morale sportive contre la Grèce lors du dernier match de poule. Personne n’a tranché alors Nando De Colo s’en est chargé, a marqué au buzzer (71-69) et Tony Parker avait la tête des mauvais soirs.
En réalité, cette année-là, de quart de finale, il n’y en eut pas. Tellement marqués par les aléas, les Bleus n’étaient pas prêts mentalement à affronter la Roja. « Le fait de tomber contre l’Espagne après un parcours parfait, c’était un peu dur dans la tête », admettait Nicolas Batum. De fait, Pau Gasol a régné sur la rencontre (28 points à 11/13 et 9 rebonds) tandis que Ricky Rubio a muselé Tony Parker (6 points à 1/8) par un pressing tout-terrain presque constant sur la rencontre. Pas au niveau, l’équipe de France s’incline 66-86. « C’est un coup de massue, c’est une désolation mais vous gagnerez un jour, on gagnera un jour, c’est sûr », promet Vincent Collet dans le vestiaire.« En 2009, on s’est fait étriller », s’est souvenu le sélectionneur ce samedi. « C’est là où l’Espagne a commencé à installer sa suprématie. »
2010,
divine surprise
Une surprise majeure et toujours, jusqu’ici, la seule victoire de compétition officielle de Vincent Collet sur Sergio Scariolo. Malheureusement dans un match sans grand enjeu, si ce n’est celui de démarrer le Mondial 2010 du bon pied. Toujours est-il que la soirée d’Izmir fut un véritable tremblement de terre : sans Tony Parker, les Bleus redoutaient cette entrée en matière face à la grande Espagne et la surprise fut à la hauteur du déséquilibre dans le rapport de force, immense (72-66).
Intenses défensivement et magnifiques de maîtrise dans le dernier quart-temps, les Bleus ont débordé la Roja via une superbe série à l’approche de la sirène finale (19-4). Une soirée turque qui marque encore l’acte de naissance d’un gamin sur la scène internationale : Andrew Albicy, tout juste élu MVP de l’EuroBasket U20, appelé à la hâte pour compenser les forfaits en cascade au poste 1 (Parker, Diot, Beaubois…). Quasiment inconnu à l’époque, le pupille du Paris-Levallois avait asphyxié Ricky Rubio, tout en – cerise sur le gâteau – inscrivant cinq lancers-francs dans la dernière minute pour verrouiller l’exploit. « C’est le deuxième meilleur moment de ma carrière », nous avait-il dit, à l’époque du confinement. « Je sortais de l’Euro U20, j’étais en vacances et on m’appelle. J’étais choqué, excité. Le championnat commence, je ne pensais vraiment pas jouer, j’étais tellement surpris de rentrer. Dans ma tête, j’étais tellement en stress mais du bon stress et après, j’ai joué à l’instinct, je me suis donné à fond. Le match-up avec Rubio était sympa, on a le même âge mais il était déjà tellement en avance par rapport à moi. Le fait d’avoir gagné ce duel m’a donné plus de confiance pour continuer à progresser et aller plus loin. »
2011,
l’argent la tête haute
Après une première opposition à Vilnius en forme de match de dupes (69-96), où la France, invaincue jusqu’ici, s’était retrouvée sous le feu des critiques de la presse internationale en étant accusée d’avoir lâché volontairement le match (afin d’éviter la Lituanie en demi-finale) en reposant Tony Parker et Joakim Noah, les deux équipes honorent le rendez-vous de la finale. Pourtant, les Bleus ont presque déjà réussi leur tournoi, tant le succès en demi-finale (79-71), compostant le billet pour les JO 2012, a été fêté comme un trophée, eux qui avaient buté sur cet obstacle au cours de leurs cinq précédentes tentatives depuis 1959.
Souvent considérée comme la meilleure équipe de France de l’histoire, cette version 2011 de la sélection fait honneur à son statut pour le grand rendez-vous de Kaunas. Simplement, elle tombe sur une équipe d’extraterrestres, absolument imbattable à part, hormis par Team USA. Juan Carlos Navarro est au sommet de son art (27 points et 5 passes décisives), Jose Manuel Calderon et Pau Gasol sans équivalents sur le continent (17 unités), tandis que la naturalisation de Serge Ibaka fut un facteur majeur de la finale. Auteur de cinq contres dans le seul deuxième quart-temps, l’ancien intérieur de Prissé-Mâcon a écœuré la raquette française. Si la défaite tricolore est perçue comme logique (85-98), comme une nouvelle étape vers le chemin du succès, les prémisses de l’animosité entre les deux nations sont nés ce soir-là avec la cravate de Rudy Fernandez sur Tony Parker. « Sur cette finale-là, il n’y a rien à dire », avouera la star des Spurs dans les colonnes de L’Équipe. « Nous aussi, on fait un bon match, mais pas assez. Ils sont plus forts que nous. À nous d’arriver à ce niveau-là. »
2012,
sept minutes en enfer
Le crève-cœur absolu. Cette fois, pas de complexe d’infériorité ! Persuadés de pouvoir battre la Roja, les Bleus regardent les Espagnols droits dans les yeux. L’inimitié est à son paroxysme : la faute de Rudy Fernandez n’a pas été digérée et l’ailier majorquin entretient la tension en se chauffant avec Mickaël Gelabale au cours d’un match amical à Bercy le mois précédent. La mascarade ibérique contre le Brésil (82-88, 16-31 dans le dernier quart-temps) lors du dernier match de poule, afin d’éviter de la croiser la route de Team USA avant la finale, renforce l’hostilité tricolore.
Virevoltante un an auparavant à Kaunas, l’attaque espagnole est cadenassée et les Bleus maîtrisent le match jusqu’au milieu du quatrième quart-temps. Avant le trou noir absolu. À 6 minutes et 51 secondes du buzzer final, la France mène 57-54. Elle n’inscrira finalement plus qu’un seul panier, lors de la dernière possession, lorsque l’Espagne (victoire 66-59) s’arrêtera de défendre. Tony Parker (15 points à 6/20), et ses lunettes en forme de séquelles d’une soirée new-yorkaise qui a mal tourné, et Mickaël Gelabale (2/7) auront pourtant eu les tirs ouverts, mais rien n’y fera. Les Bleus sont tombés dans le gouffre et s’inclinent une nouvelle fois face à leur meilleur ennemi. Le revers de trop, alors qu’ils tenaient le match. En fin de match, Nicolas Batum laisse parler sa frustration en visant délibérément les parties intimes de Navarro. « Je voulais lui donner une bonne raison de flopper », dira-t-il d’abord, avant de s’excuser via les réseaux sociaux dans la soirée.
2013,
la libération
La délivrance ! Après treize mois à attendre la chance de pouvoir leur revanche de Londres, les Bleus arrivent en retard au rendez-vous de la demi-finale du championnat d’Europe. Privée de Navarro, Ibaka ou de Pau Gasol, la Roja domine pourtant aisément la première mi-temps (34-20) et étouffe une équipe de France qui ne peut compter que sur Tony Parker (14 unités) pour trouver le chemin du cercle. L’acte fondateur interviendra au cours des quinze minutes de pause : dans l’intimité du vestiaire de Ljubljana, TP prononce un discours rendu culte par les caméras d’Intérieur Sport. « Ils nous dominent parce qu’ils pensent qu’on est de la merde. Et ça se voit dans leur visage. Ils nous prennent pour de la merde. Je me fous de ce qui arrive en deuxième mi-temps. Même si on perd. Au moins, on joue avec notre fierté. »
Merci pour tout @tonyparker et notamment pour des moments comme ceux-là 🙏 @InterieurSport pic.twitter.com/VaJxrbESKz
— CANAL+ Basket (@CanalplusBasket) June 10, 2019
Des paroles qui réveillent ses coéquipiers. « Ce fut le plus grand moment de ma carrière en équipe de France », ajoutera ensuite TP dans le documentaire de Canal+. « Il fallait trouver les mots justes pour piquer mes coéquipiers dans leur fierté pour que l’on fasse la meilleure mi-temps de l’histoire du basket français en deuxième ! » Avec deux tirs primés, les premiers de la soirée, Antoine Diot relance la machine et tout le monde se met au diapason. De l’autre côté du parquet, la défense devient homérique, avec un Florent Piétrus dans tous les bons coups. Ce soir-là, l’intérieur guadeloupéen livre l’un des chefs-d’œuvre de sa carrière en faisant preuve d’une dureté phénoménale. La France frôle la crise cardiaque lorsque Jose Manuel Calderon se retrouve seul dans le corner au buzzer mais le meneur des Raptors a le bras qui tremble. La prolongation sera étouffante mais c’est bien l’année des Bleus : alors que les lancers-francs ont longtemps hanté les cauchemars du basket français, avec le paroxysme de 2005 face à la Grèce, Tony Parker et Antoine Diot cumulent un 8/8 dans la dernière minute. Et lorsque le dernier tir de Marc Gasol frappe le devant de l’arceau, la joie est à la hauteur de la libération. Après des années de frustration, les Bleus ont enfin fait tomber leur bête noire, sa Némésis. La route vers le premier titre européen est pavée.
2014,
le grand soir
L’Exploit, avec un grand E. À la maison, l’Espagne est venue avec l’armada pour récupérer son titre de champion du monde : les frères Gasol, Llull, Fernandez, Navarro, Rodriguez, Rubio, Ibaka, tout le monde est là. Dans une ambiance de corrida une semaine plus tôt à Grenade, la Roja a commencé à effacer l’affront de Ljubljana en dominant l’équipe de France lors du premier tour (88-64). Mais l’important n’est pas là. Le matin du quart de finale, le journal Marca demande à son équipe « d’écrabouiller » les Bleus, privés de Tony Parker et Nando De Colo.
Déjà toute entière projetée vers sa finale écrite d’avance contre les États-Unis, l’Espagne ne fait que peu de son quart de finale. L’affaire doit être une formalité : ne sont-ils pas, après tout, les favoris de la compétition ? Et pourtant, la Roja est d’entrée prise à la gorge par les hommes de Vincent Collet (11-2), seul personnage à envisager concrètement l’existence d’un chemin vers la victoire (65-52). « C’était un contexte particulier, très difficile, avec une jeune équipe de notre côté et la meilleure Espagne possible en face, mais on avait su trouver les ressources nécessaires pour s’imposer », se rappelait-il ce samedi. À savoir, avant tout un plan défensif parfait, le plus abouti de son mandat, et la Roja s’y cassera les dents tout au long de la soirée. Archi-dominateurs jusque-là (+26,5 points de moyenne), les hommes de Juan Antonio Orenga ne parviennent pas à trouver la clef du verrou, hormis lors d’une courte séquence du troisième quart-temps. Deux hommes vivront leur avènement sur la scène internationale : Rudy Gobert, remarquable face à Pau Gasol à 22 ans, et Thomas Heurtel, auteur de l’un des tirs les plus mythiques de l’histoire du basket français. À 57-52, à 66 secondes de la fin, l’Héraultais a plié la rencontre d’un shoot primé devant les longs segments de Pau Gasol. L’équipe de France gâche le mondial espagnol et signe le plus grand exploit de son existence. « Tout le monde disait qu’on avait gagné ce match avant de le jouer et voilà, ils nous sont passés dessus », soupire Juan Carlos Navarro. « Ils ont mieux préparé ce match que nous. Nous n’avons pas réussi à avoir de continuité dans le jeu. On est arrivés à jouer sur des séquences de 3-4 minutes et après on n’y arrivait plus. On n’a pas joué en équipe alors que la France a joué un match intelligent. C’est un échec. »
2015,
monumental Gasol
Gros changement dans le paysage ibérique : Juan Antonio Orenga a quitté le banc tricolore, le maestro Sergio Scariolo est de retour. Un an après la gifle de Madrid, l’Espagne ne rêve que d’une venganza tandis que les Bleus veulent définitivement assurer leur nouvelle suprématie sur le basket continental, au sein d’une enceinte lilloise surchauffée par 26 922 spectateurs. Ce sera finalement une douche froide : longtemps en contrôle des débats (jusqu’à +11 dans le troisième quart-temps), les coéquipiers d’un Tony Parker maladroit (10 points à 4/17) flanchent progressivement.
Légende du basket FIBA, Pau Gasol livre son plus grand récital dans l’écrin de Villeneuve-d’Ascq. Certes parfois aidé par quelques coups de sifflets, le géant catalan est absolument injouable, inarrêtable, détruisant un Rudy Gobert qui l’avait pourtant éteint un an plus tôt. « C’est un souvenir qui est très dur », se replonge le Picard. « Cette défaite a été l’une des plus dures de ma carrière. » En mission, le double champion NBA provoque des fautes rapides de Gobert et Lauvergne, ce qui fait que Vincent Collet n’a plus personne à lui opposer, Mam’ Jaiteh (remplaçant en dernière minute de Ian Mahinmi) étant encore trop tendre pour un tel évènement. Si Nicolas Batum arrache la prolongation d’un tir à trois points dans le corner, Pau Gasol se charge de briser les rêves bleus au cours des cinq minutes supplémentaires : avec 40 points (à 12/21), 11 rebonds, 3 contres et 11 fautes provoquées (18 lancers-francs tirés, 16 réussis) pour 43 d’évaluation, le pivot des Chicago Bulls boucle une entreprise de destruction massive, au doux goût de revanche. « C’est vrai que je voulais vraiment gagner ce match », admet-il dans la foulée. « La défaite l’année dernière en quart de finale du Mondial a été dure, très dure à accepter pour nous. Nous avions été très tristes. Même si elle fait partie du passé, on voulait prendre notre revanche. On a pleuré après ce match. C’est au tour de la France de pleurer maintenant, c’est la loi du jeu ! »
2016,
claque de fin
Dans le cadre olympique de Rio, c’est le dernier rendez-vous au sommet entre la génération Parker et la génération Gasol. Celui-ci tourne court. Pour la dernière danse des vieux grognards, les Bleus rêvaient pourtant d’une médaille olympique, la dernière chose qui manquait à cette équipe. Mais cette année-là, l’ultime clash des grands rivaux accouche d’une souris : l’Espagne est forte, beaucoup trop forte. De leur côté, les tricolores se noient, triste épilogue d’une époque et d’un été où tout est allé de travers, de la non-sélection d’Evan Fournier pour les JO à la longue absence de Tony Parker après le TQO, qui a empêché la création d’un fort collectif.
Après la performance surréaliste de Villeneuve-d’Ascq, l’ambition de l’équipe de France était de couper Pau Gasol du reste de ses coéquipiers. En ce qui concerne le Barcelonais, l’affaire est réussie : il se contente de 5 points à 2/7. Mais derrière, Nikola Mirotic est omniprésent (23 points à 60%) tandis que le tout jeune Willy Hernangomez se déchaîne (18 points en 17 minutes). La Roja règne sur les débats face à des Bleus dépassés (92-67), à l’image d’un Nicolas Batum transparent (0 point, 0 rebond et 1 passe décisive), lui le leader supposé de la prochaine vague.
Un dernier triomphe espagnol qui vient acter la suprématie de la génération dorée ibérique. « Même si on voulait se les sortir de nos têtes, ils y étaient toujours un peu », confirme Vincent Collet, avant de terminer sur une note positive en vue des retrouvailles de dimanche. « Cette génération-là n’a pas soufferte contre les Espagnols et c’est une bonne chose pour nous. » Pour ouvrir un nouveau chapitre ?
À Berlin,
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