Bodian Massa, l’international imprévu
Le 26 décembre 2022, le monde a les yeux rivés sur Victor Wembanyama lors du match Strasbourg – Metropolitans 92. Mais ce soir-là, le grand public a finalement découvert… Bodian Massa (2,08 m, 25 ans), absolument héroïque en défense sur le prodige de Levallois. Avec les caméras de beIN Sports au Rhénus et la Wembamania pour doper les audiences en pleines vacances de Noël, jamais jusque-là le pivot de la SIG n’avait été aussi exposé au cours de ses cinq ans de professionnalisme. Si ce n’est peut-être une finale de Leaders Cup Pro B sur L’Équipe 21 au beau milieu du deuxième confinement, mais ce n’était pas sa performance face à Quimper (0 point à 0/6 en 14 minutes) qui risquait d’attirer l’attention en ce jour de novembre 2020… Alors qui se cache derrière le joueur qui a gêné, comme rarement, Victor Wembanyama ? En juin dernier, très matinal dans un café du centre-ville de Marseille, Bodian Massa avait retracé le fil de sa vie, au lendemain de l’officialisation de son arrivée en Alsace. La voici en six actes.
Acte 1 : L’enfance
Que fait-on de sa jeunesse lorsqu’on ne touche pas un ballon de basket avant ses 16 ans ? La réponse est facile : on mène une enfance normale. Pourtant, le cadre n’était pas spécialement idyllique. Né à Marseille, Bodian Massa a grandi – avec sa mère, son frère et sa soeur – à Aulnay-sous-Bois, dans la cité des 3000. « C’était une zone sensible, tout le monde se rappelle des émeutes de 2005. La violence des quartiers, c’était souvent : il y a beaucoup de choses qui m’ont marqué. » Comme en 2017 lorsque l’une de ses connaissances, Théo Luhaka, est victime d’une bavure policière. Mais lui reste loin des ennuis. « En bas, c’était chaud mais ça ne m’a jamais intéressé. De par son éducation, ma mère a réussi à m’en écarter. »
Alors, il préfère discuter de foot avec ses potes, dissertant sur les exploits de Liverpool et de l’Olympique Lyonnais, ses deux clubs préférés. Le football, sa vraie passion de l’époque, lui qui a officié en défense centrale pendant toute l’école primaire, avant de bifurquer vers le handball au collège, étant même pris en clase hand. Mais la maladie d’Osgood-Schlatter l’oblige à se reconvertir en tant que gardien, alors que « ça ne [l’]intéressait pas de [se] manger des pralines à longueur de journée. » Du foot, du hand, soit tout sauf du basket… Alors que toute sa jeunesse, au vu de sa grande taille, les gens lui ont rabâché de s’y mettre mais se sont heurtés à un mur. « Mais jamais de la vie, arrête, c’est quoi ce sport ?! Tu te prends pour un Américain… Le basket, je n’en ai pas fait une seule fois au collège. Je ne savais même pas qui était Kobe. » À Aulnay, on lui parle de la réussite d’Ali Traoré, la fierté locale au sommet de son art, mais rien n’y fait. « Moi, je voyais le foot, j’avais plus envie de devenir ça. » Ou alors… journaliste sportif, lui qui écrivait les articles sur les matchs de handball dans le journal de son école.
Finalement, pour l’arrivée dans le basket, le tournant intervint au lycée. Mais s’il avait eu des chaussures de foot à sa taille, cela ne serait peut-être jamais arrivé… Reparti vivre à Marseille, chez sa grand-mère, Bodian Massa se remet au foot, au SO Septèmes, pour rencontrer du monde. Mais souffrant trop à cause des crampons, il chausse des runnings au bout de 5 minutes lors de tous les matchs. « Quand je reviens la saison d’après, deux-trois jours après la reprise, je les vois tous courir au bord du terrain. Et là, je me dis que je ne me sens pas de refaire une saison comme ça. Je suis allé voir le président et lui aussi m’a dit que je devrais faire du basket, que son gendre coachait. À un moment, que tout le monde me répète de faire du basket, ça m’était quand même rentré dans la tête. » Et donc il a cédé…
Acte 2 : Les débuts
Les Pennes-Mirabeau, quatre paniers dans la salle. Un grand échalas de 16 ans manie un ballon de basket pour la première fois. « Je n’avais aucune base, je ne savais même pas dribbler. » Son entraîneur lui enseigne alors le double-pas. Pendant une heure, Bodian Massa ne fait que ça. Puis monte progressivement en puissance, au niveau départemental. « Je partais de loin, c’était dur mais physiquement, ça allait, ma taille m’avantageait. Techniquement, je faisais n’importe quoi, je courais dans tous les sens mais j’ai quand même fait quelques bons matchs. J’avais de la combativité, je prenais des rebonds et marquait quelques paniers. »
Des caractéristiques qui séduisent Marc Tholozan, l’entraîneur des cadets de Fos-sur-Mer, d’autant plus que Massa rentrait parfaitement dans le cadre des joueurs ciblés par les BYers. Incapable de se positionner sur des big men déjà côtés, le club méridional décide de prendre des débutants. Et tombe sur le futur étendard de son centre de formation dans le cadre d’un tournoi estival à Aix-en-Provence. « Je vois un grand, mobile, avec une grosse possibilité de développement au niveau physique », raconte Marc Tholozan. « C’était très comique quand je suis allé lui parler car il pensait que c’était une blague. Il me regardait comme un fou, comme si je lui racontais n’importe quoi. » Il faut dire, aussi, qu’il était incapable de dunker ou de faire une seule pompe. « Mais s’il avait la motivation derrière, j’étais sûr qu’il allait faire quelque chose. »
Justement, quand Marc Tholozan va le revoir aux Pennes-Mirabeau, il lui demande s’il veut finir pro. « Forcément, un type de 16 ans, tu vas le chercher en lui disant ça, bien sûr qu’il va te répondre oui », sourit le Strasbourgeois. Ce n’est qu’une fois arrivé à Fos-sur-Mer qu’il comprend réellement ce que cela veut dire, avec la découverte des entraînements quotidiens, des matchs à haute intensité le week-end, d’un nouveau rythme de vie. Et puis du basket français… « Je ne savais pas ce que Fos représentait en France, qui étaient les meilleurs clubs du championnat. » Le premier joueur qui l’impressionne est Tim Blue, auteur d’un step-back à trois points lors d’un amical à Parsemain, la toute première rencontre vécue depuis les tribunes. « Sur tous les plans, je partais de zéro. Je ne savais rien faire. J’étais un produit brut, il fallait me façonner. »
Heureusement, Bodian Massa part avec un autre point fort que sa grande taille : son intellect. « D’emblée, ce qui m’a marqué est qu’il enregistrait tout ce qu’on disait et était capable de le mettre à exécution », rapporte Rémi Giuitta, qui le compare sur ce point à l’autre pépite polie dans les Bouches-du-Rhône, Louis Labeyrie. « Un garçon comme ça, avec ce niveau d’intelligence, ce n’est pas tous les jours. Il y avait matière à le faire avancer. » De fait, de son propre aveu, le futur international est « largué », est poussé à bout physiquement par Marc Tholozan mais s’accroche, et progresse, se décrivant lui-même comme « une éponge ». « C’est quelqu’un d’attentif et qui dispose d’une facilité de compréhension assez importante », renchérit le formateur, désormais à la retraite. À tel point qu’il suscite très rapidement des convoitises d’une équipe Espoirs. Rouen le fait venir pour des essais, Denis Mettay est convaincu, Fos pas spécialement opposé à son départ mais il finit par rester, séduit par la promesse d’avoir accès à certains entraînements de l’équipe professionnelle.
Bodian Massa au combat avec @VebobeAzurCamp pour sa première séance en pros. #expérience #jeunesse #WeAreProvence pic.twitter.com/JeDetuRf77
— FOS PROVENCE BASKET (@FosProvenceBB) August 14, 2015
Dès sa deuxième saison, il est aussi intégré au groupe de Nationale 3, où l’assistant, Mamadou Dia (intérieur des BYers de 2005 à 2018), le prend sous son aile. « Il lui a montré tous ses petits mouvements, ses feintes, le jeu old-school ». La constitution sur le tard des fondamentaux, en somme. Sauf que pour quelqu’un ayant un an et demi de basket, l’arrivée dans un championnat d’adultes n’est pas sans remous. « C’était dur car les gars ont du vice, sont plus prêts physiquement, mais ça m’a beaucoup servi », se souvient-il. En LNB, Rémi Giuitta le lance-même dans le grand bain lors de la Leaders Cup 2016, avec deux apparitions contre la JL Bourg, dont une première particulièrement convaincante (6 points et 3 rebonds en 5 minutes). « J’étais heureux, je me dis qu’on me fait confiance ! Surtout que je m’étais retrouvé face à deux golgoths physiques, Zachery Peacock et Youssou Ndoye, alors que j’étais tout fin. » Pourtant, ces premiers pas dans le monde pro ne font pas spécialement germer en lui les perspectives d’un avenir dans le basket. Pendant quatre mois, il s’astreint même à suivre des cours à la fac de droit à Marseille, avec des réveils à 5h30 et 120 kilomètres par jour en train pour tenter de conjuguer les deux, avant d’abandonner, trop fatigué pour cumuler. « Le basket ne me semblait pas être une option viable. Ma maturité est venue très tard là-dedans. On ne parlait pas une seule fois de moi, personne ne me connaissait en France. Le jeune de Fos, c’était Sullivan Hernandez ! Moi, j’étais derrière lui et je n’avais même pas conscience de ce que je pouvais faire. »
Où l’on touche du doigt deux de ses problèmes récurrents, qui l’ont escorté jusqu’à sa découverte de la Betclic ÉLITE : son mental et son manque de confiance en lui. « Le fait qu’il ne croit pas assez en lui l’a considérablement freiné », appuie Marc Tholozan. Car en 2017/18, quand il commence à se montrer par parcimonie en Pro B (12 apparitions), profitant des absences d’un joueur étranger car il n’était pas considéré comme JFL (n’ayant que trois années de basket derrière lui), tous les pros de Fos-sur-Mer lui répètent qu’il a du potentiel mais lui ne saisit pas leurs injonctions. « Tout ce que je vois sont les articles disant qu’untel est super fort, qu’un autre va faire une grande carrière, etc. Moi, à ce moment-là, je me rabaisse. Je me dis que je n’ai qu’à faire du basket tranquillement et qu’à la fin de la saison, je n’aurais qu’à aller au SMUC. Mais j’ai des échos comme quoi je ne serais même pas pris là-bas ! » Particulièrement problématique, même si le club a démenti, d’autant plus que Fos-Provence monte en Jeep ÉLITE et qu’il a dépassé la limite d’âge pour aller en Espoirs. « Je me dis que je vais finir en Nationale 3. Mon agent me dit qu’il n’a rien pour moi, que les recrutements en NM1 sont déjà terminés, que ce sera trop compliqué pour la Pro B, mais que l’on me propose de rester à Fos en tant que 11e homme. Je suis dégoûté mais je n’ai pas d’autre solution. » À contre-cœur, persuadé de passer une année de plus dans l’anonymat, Bodian Massa s’engage pour quatre ans avec son club formateur.
Acte 3 : Le décollage à Saint-Chamond
Il avait tout faux ! 2018/19 restera comme la saison de l’envol, et loin des bords de la Méditerranée !. Au détour du camp de Fabrice Serrano à Bourg-en-Bresse, Alain Thinet vient observer le pivot et en ressort convaincu. Très tard dans l’intersaison, en août, Fos-Provence accepte de prêter son jeune intérieur à Saint-Chamond. Six semaines plus tard, pour le premier match officiel de la saison, il plante 16 points et 12 rebonds à Saint-Vallier en Coupe de France. Les prémisses d’une saison idyllique (6,1 points à 53% et 5,6 rebonds pour 9,8 d’évaluation).
« Il a surpris tout le monde », acquiesce le technicien ligérien. « Il m’a surpris, il s’est surpris lui-même, il a surpris les gens de Fos. Je ne connaissais pas trop le garçon et je ne pensais pas qu’il allait éclater comme il l’a fait. Je me doutais qu’il serait physiquement au-dessus de la moyenne mais on s’est vite rendu compte qu’il l’était aussi au niveau du QI basket. » Dans la Loire, tout est formateur pour le Phocéen : les entraînements avec Grismay Paumier, la découverte de l’éthique de travail d’un Lucas Hergott « qui a complètement modifié son approche du monde pro » selon son agent Guillaume Althoffer, les minutes accordées par Alain Thinet (16 de moyenne), l’aventure collective jusqu’en demi-finale des playoffs. « Ça a été l’un des meilleurs choix de ma carrière, même si c’était le seul surtout à l’époque », sourit-il. « Honnêtement, je me suis étonné. Je ne sais pas si c’est une qualité ou un défaut mais chaque année, dès que je joue, je me surprends. J’ai énormément gagné en confiance là-bas. Je me retrouve starter en demi-finale des playoffs, c’était incroyable. Je n’étais pas dans l’état d’esprit de prouver à certains qu’ils avaient eu tort. Au contraire, je voulais jouer et prouver à Alain Thinet qu’il avait bien fait de me tendre la main. » Pour une belle relation nouée entre les deux hommes en l’espace de dix mois, en témoigne le SMS envoyé récemment par le technicien pour féliciter son ex-apprenti de sa sélection en équipe de France. « Il est arrivé par la petite porte, sans être repéré, mais il n’a pas brulé les étapes. Il n’y a qui remplace le jeu et c’est là-dessus qu’il a progressé avec nous. S’être épanoui en Pro B lui a permis de franchir des paliers. »
Acte 4 : L’affirmation à Fos-Provence
Logiquement courtisé de toutes parts, Bodian Massa retourne au bercail en 2019 à la faveur de la descente en Pro B de Fos-Provence. Mais l’exercice de la confirmation prend d’abord un mauvais coton. « Le début était compliqué », raconte-t-il. « Je me suis mis beaucoup de pression et vu que la saison a mal démarré, je me suis mis dans une spirale négative. » Soit tout ce qu’il convient d’éviter avec lui tant il fonctionne à la confiance. « Il pouvait plonger beaucoup trop rapidement dans le doute et sortir d’un match s’il ratait un tir ou si l’arbitre lui sifflait une mauvaise faute », se souvient Rémi Giuitta. « Bodian a besoin de se sentir aimé, de se sentir valorisé. Comme c’est un garçon intelligent, il se pose beaucoup de questions, il y a toujours une réflexion dans tout ce qu’il fait. » L’ancien entraîneur des BYers avait d’ailleurs pris l’habitude d’appeler le premier système de la rencontre pour son pivot afin de le mettre sur des bons rails. « La Pro B, c’était beaucoup de travail mental », retrace Massa, qui a notamment bénéficié de l’accompagnement de la structure d’Édouard Choquet pour progresser sur ce plan. « Je suis un hargneux, je suis un haineux, je suis un boudeur et à l’époque, j’avais complètement besoin d’être en confiance dans le match. Ça pouvait passer par juste le fait de prendre un rebond défensif sur la première action. Si mon adversaire me prenait un rebond offensif sur la tête dès le début, il me tirait une balle dans le pied. J’ai beaucoup progressé là-dessus. Aujourd’hui, je sais que même si je rate mes trois premières actions, je peux quand même réussir une bonne prestation. »
Il est plus facile, aussi, de s’en rendre compte en accumulant autant d’accomplissements en deux saisons : entre 2020 et 2022, Bodian Massa a remporté la Leaders Cup Pro B et le championnat de France Pro B, est devenu All-Star puis a joué un rôle capital dans le maintien miraculeux de Fos-Provence en Betclic ÉLITE (9,5 points à 56%, 7,2 rebonds et 1,5 passe décisive pour 14 d’évaluation). « Je ne sais pas combien de fois Jamar Diggs, Lasan Kromah ou Deishuan Booker sont venus me voir pour me dire de remettre Bodian sur le terrain », glisse Rémi Giuitta. « Les joueurs avaient besoin de lui, de sentir son assise défensive sur le parquet. » Ce qui n’était pourtant pas forcément gagné d’avance tant les interrogations pouvaient être permis sur sa capacité à tenir les chocs physiques, lui qui, avant de s’épaissir, avait encore tendance à trop se faire bouger par séquence à l’étage inférieur. « Au vu de tout ce que les gens me disaient, j’avais énormément d’appréhension avant de démarrer », reconnait-il. « Mais l’une de mes qualités est l’adaptation. » Une semaine avant le coup d’envoi de la saison, il reçoit aussi un coup de boost énorme avec les encouragements de Giannis Antetokounmpo, en tribunes lors d’un match amical contre l’ASVEL à Feurs. Le champion NBA l’interroge sur ses origines, lui affirme qu’il a aimé les minutes qu’il avait donné, lui dit qu’il a fait un bon match.« Au final, ma première saison en Betclic ÉLITE est super prometteuse. Cela m’a permis de gagner en expérience et de progresser. »
Mais après un cycle de huit ans à Parsemain, c’était aussi le timing idéal pour partir tenter sa chance ailleurs. « Je lui ai toujours répété que je voulais qu’il parte de Fos avec un vrai rôle, un vrai statut, pas pour faire le 10e homme », clame Rémi Giuitta. « Là, je lui ai dit que c’était le moment pour lui. Bo a été intelligent dans sa gestion de carrière. Il a été patient, il a travaillé et il m’a fait confiance. Il a vraiment été déterminant dans notre maintien : il ne s’est jamais comporté comme quelqu’un qui voulait juste se montrer pour partir. Il est toujours resté focus sur la victoire. » De quoi embellir la fin de l’histoire, avec un sauvetage décroché de façon homérique au Portel, au bout de la dernière seconde du dernier match de la saison… « Il y a des moments dans la saison où je n’y croyais plus », avoue Bodian Massa. « Et même quand Devin Davis égalise à 0,5 seconde du buzzer, je me dis qu’on va descendre en Pro B. J’ai mis longtemps à prendre conscience que j’allais quitter Fos. C’est l’endroit où j’ai grandi, où j’ai eu mon permis, mon bac, mes premiers flirts… » Sa première entreprise aussi, avec La Cuisine de Bo, où sa tante cuisinait des plats africains, pendant que lui était lui dans l’organisation et la gestion des commandes et les livraisons, avec parfois même un coup de main d’Allan Dokossi pour la livraison. « Fos, c’est presque l’histoire parfaite. C‘est vraiment incroyable d’être passé du centre de formation au maintien en Betclic ÉLITE, c’est la plus belle des choses. »
Acte 5 : La confirmation à Strasbourg
L’été dernier, le clan Bodian Massa établit une short-list des destinations potentielles. L’ASVEL et Monaco sont mis de côté, les clubs de bas de tableau aussi. Le Mans, Nanterre et l’Élan Béarnais sont très intéressés mais parmi les prétendants, c’est Strasbourg qui coche toutes les cases. « C’est un super bon tremplin en France », disait-il en juin. Des propos confirmés quelques mois plus tard par son appel dans le groupe France comme sparring-partner, alors qu’il avait joué à peine quatre matchs avec la SIG.
En Alsace, après le confort du bercail provençal, l’ancien adolescent de la cité Gavotte-Peyret (à Septèmes-les-Vallons) a presque découvert le vrai monde professionnel avec la crise automnale, le renvoi de Lassi Tuovi, le mécontentement des supporters… « J’ai vraiment l’impression d’avoir changé de monde », confirme-t-il. « Cela se ressent au travers de la Coupe d’Europe ou des structures du club. Et je vois ce qu’est le vrai sport business : un coach qui se fait virer ou le fait d’être mis sous pression quotidiennement. C’est nouveau pour moi. » Comme l’ensemble de l’équipe, l’ancien ligérien a clairement profité de l’effet Luca Banchi. Offensivement, il touche plus de ballons qu’avant et surtout, il a été érigé comme l’ancre de la défense alsacienne, replacé au centre absolu du système. « Je trouve ça malin de la part de Luca d’avoir adapté notre défense sur les capacités de Bodian », applaudit son coéquipier Paul Lacombe. « On utilise plus ses facultés qu’avant. Et quand il fait des fautes sur un match aussi important qu’Holon, on l’a directement ressenti. Sans lui, on a pris beaucoup de points bêtement. Grâce à Bodian, on arrive à masquer beaucoup de lacunes défensives individuelles. Sa capacité à sortir sur les écrans est remarquable, il est capable de protéger la moitié de l’équipe sur les pick and roll. »
Engagé dans la première saison d’un contrat de trois ans, Bodian Massa devra ensuite passer un cap offensif pour définitivement faire l’unanimité au Rhénus. Sa réticence, sur certaines situations, a regarder le cercle a tendance à frustrer les supporters locaux. « Je trouve qu’il est trop studieux en attaque », approuve Paul Lacombe. « Le coach lui demande beaucoup de transférer la balle de l’autre côté et des fois, il s’oublie offensivement. J’essaye de lui dire d’être plus agressif, de regarder le cercle. » Surtout que sa régularité au tir périphérique est largement sous-estimée pour son niveau de fiabilité : il n’y a qu’à regarder son adresse aux lancers-francs (86,1%) pour s’en rendre compte. Sans même parler de sa capacité à prendre des floaters à mi-distance… Toujours est-il que la première impression laissée dans le Bas-Rhin est très engageante. « Il a fallu un temps d’adaptation mais ça se passe pour le mieux maintenant », synthétise-t-il.
Acte 6 : Quel avenir ?
« Ni moi, ni personne ne peut dire jusqu’à quel niveau je vais aller », assène Bodian Massa. « Certains on peut le savoir à l’avance, moi non. » Mais puisque rien n’interdit d’essayer, tentons le coup… À 16 ans, le Marseillais ne savait pas faire un double-pas. À 25 ans, il est le poste 5 titulaire d’une bonne équipe de Betclic ÉLITE et de Champions League. Au vu de sa courbe de progression, dans un poste à maturité tardive qui plus est, il y a fort à parier que d’autres paliers devraient être franchis à l’avenir. Celui de cette saison est déjà presque réussi. « Quand on passe dans un club plus relevé, avec plus d’attentes, le plus dur est de confirmer et il le fait plutôt bien », insiste Paul Lacombe. En un an et demi, Massa est devenu un bon joueur de Betclic ÉLITE. La prochaine étape sera de rentrer dans la caste des joueurs dominants. « Il n’est pas encore à 100% », répète son formateur Marc Tholozan. « Je pense qu’il pourrait être encore plus performant. Je vois toujours des lacunes dans son jeu, il a encore des choses à apprendre et à travailler. »
Resté très proche de son ancien protégé, Rémi Giuitta en est persuadé : son avenir sera en Coupe d’Europe. « Il va avoir un parcours évolutif. Bo, c’est de la pâte à modeler ! Au fur et à mesure que les coachs vont découvrir ses qualités, ils vont lui demander de plus en plus de choses et il va prendre de l’épaisseur. En début de saison, quand la SIG n’allait pas fort, il aurait pu sombrer avec l’équipe. J’ai eu peur de cela. Mais non, il continue de performer dans un club d’une autre envergure. » L’ancien entraîneur méridional tente même une comparaison : Mouhammadou Jaiteh. « Un joueur très intelligent, discipliné, super à l’écoute, avec une vraie capacité d’évolution. » De là à dire qu’il faudra s’exiler pour prendre une autre dimension ? Le Strasbourgeois ne cache pas qu’une aventure à l’étranger est ce qui l’attire le plus à moyen terme. « Ce qui me fait envie, c’est l’Espagne ! Je sais que j’ai un jeu qui peut correspondre à la Liga Endesa. J’ai affronté Sylvain Francisco et Chima Moneke en Pro B par exemple, et ce qu’ils ont réalisé avec Manresa l’année dernière, c’est inspirant. »
Mais avant d’y songer, il y a encore deux ans et demi à passer sur les bords de l’Ill, pour continuer à progresser tout en redonnant son lustre d’antan à la SIG. « Il est heureux d’être à Strasbourg pour l’instant », remarque Paul Lacombe. « Il ne se met pas la pression. Il prend cela comme si c’était l’étape la plus importante de sa carrière et c’est peut-être ça qui l’emmènera loin ! » Car l’histoire est déjà belle. « Si l’on m’avait dit cela il y a huit ans ? », s’interroge le principal intéressé. « Jamais de la vie je n’y aurais cru ! Ou alors si, en étant Community Manager du club… Maintenant, la suite, ça dépend de moi, et vraiment que de moi. »
Acte 7 : L’international français (ou presque)
C’est Bodian Massa, lui-même, qui le rappelle. Pendant le confinement, dans une première interview accordée à BeBasket, il avait ouvert la porte à la sélection… sénégalaise, pays des origines familiales. Mais moins de trois ans plus tard, il pourrait honorer cette semaine sa première sélection en équipe de France ! Convoqué en novembre en tant que sparring-partner, il a convaincu, au point d’être rappelé cette fois en tant que joueur à part entière. « Il n’était vraiment pas loin d’intégrer l’effectif cet automne », rapporte Paul Lacombe. « Mais les coachs n’ont pas voulu changer l’équipe établie pour ne pas créer de problèmes. Mais si le groupe est passé à 14, je pense vraiment que c’est à cause de Bo car il a été très fort aux entraînements ! » La version du principal intéressé est, évidemment, plus sobre. « Je n’ai pas été mauvais », sourit-il. « C’était incroyable ! Je suis parti sans pression et ça s’est super bien passé. »
Sauf qu’à l’époque, de son propre aveu, « ce n’était que du bonus ». Cette semaine, les choses sont différentes : il y a une place à aller chercher.« Oui, j’ai un peu plus la pression », admet-il. « Mais ce n’est pas de la mauvaise pression. Que Vincent Collet m’ait appelé pour être dans son équipe change énormément de choses pour moi en terme de prise de confiance. Si je suis sélectionné, c’est que le coach sait ce que je peux faire donc je ne vais pas révolutionner mon jeu pour gagner ma place. » Ils seront 14 pour 12 spots dans les rosters des deux rencontres avec sûrement 4 tickets pour 5 dans la raquette (Inglis, Makoundou, Pelos, Kamagate, Massa), derrière l’intouchable Wembanyama. « Je ne suis pas surpris de le voir en équipe de France », avance Rémi Giuitta, avant d’analyser l’état des forces en présence. « Sans vouloir les opposer, on parle beaucoup de Kamagate mais je ne trouve pas Bodian en dessous. Il est dans un profil différent, sans sa dimension athlétique, mais il a les deux mains, peut jouer des deux côtés du terrain avec un gros savoir-faire défensif et une vraie culture du jeu collectif. Dans son état d’esprit, c’est un compétiteur et il a tout ce qu’il faut pour gagner sa place à terme. »
Qu’il honore, ou non, sa première sélection avec les Bleus cette semaine, l’histoire est déjà fabuleuse pour Bodian Massa, passé de la Nationale 3 au groupe France en moins de cinq ans ! « Je ne vais pas dire que je suis ému mais c’est une grande joie. Quand j’ai démarré le basket, ça ne m’a jamais traversé l’esprit d’être un jour appelé en équipe de France. Ma mère est grave fière ! C’est ma première fan, elle suit tous mes matchs, jamais je n’aurais pensé qu’elle suivrait aussi intensément. » Car il y a des années, Florence Massa n’était pas spécialement encline à le voir partir en centre de formation. Elle aurait préféré qu’il s’exile aux États-Unis, afin d’allier basket et études, et a même menacé de l’enlever de Fos-sur-Mer s’il arrêtait l’école. « Maintenant, j’ai envie de lui dire : tu vois, j’ai bien fait », se marre-t-il. Mais la fierté maternelle ne date pas que de la réussite professionnelle de son fils… Lorsqu’il jouait à Nanterre et s’apprêtait à embarquer à Roissy pour un match de Coupe d’Europe, Lahaou Konaté avait été interpellé par une agente de sûreté.. C’était Florence Massa. « Elle m’a demandé si l’on était une équipe de basket et je réponds que oui », se souvient le Francilien. « Elle me dit que son fils joue au centre de formation de Fos-sur-Mer, qu’il s’appelle Bodian Massa. Elle était très gentille et très fière de son fils car elle m’a directement parlé de lui. J’ai noté son nom dans le cas où je me retrouverais un jour à l’affronter. » Sur la grande scène du All-Star Game l’an dernier, l’arrière des Metropolitans 92 a ressorti cette anecdote à son coéquipier d’un soir. Et désormais, quand Florence Massa reverra passer une équipe de basket à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, elle pourra dire, avec encore plus de fierté, que son fils joue en équipe de France !
Commentaires