Austin Hollins, les années Denain : d’un siège éjectable en Pro B aux playoffs de l’EuroLeague
2,3 points à 31% et 0,3 d’évaluation lors de la Leaders Cup Pro B. Sacrés débuts professionnels, non ? Soit presque l’assurance d’un billet retour express vers les États-Unis, surtout lorsqu’on est un rookie. Et c’est bel et bien la trajectoire qu’Austin Hollins, désormais à l’Étoile Rouge de Belgrade, aurait pu emprunter il y a sept ans du côté de Denain… « Il s’est blessé très vite dans la saison (un arrachement osseux au pied le contraignant à six semaines d’arrêt fin octobre, ndlr) et mon président Alain Place est venu me voir », raconte son ex-entraîneur, Jean-Christophe Prat. « Il me dit : « Bon ben, cette blessure est l’occasion parfaite pour le renvoyer vers lui. » Mais je lui ai répondu que s’il faisait ça, il pouvait aussi prendre mon contrat et le déchirer en deux. On ne touche pas à Austin Hollins. »
Drôle d’abnégation en faveur d’un joueur « ne mettant pas un pied devant l’autre »… Spécialement venant d’un entraîneur ayant tout à prouver, n’ayant lui-même jamais entraîné à ce niveau. Mais il faut croire que l’actuel technicien parisien avait de suite perçu quelque chose en Austin Hollins, âgé de 22 ans lors de son arrivée à Voltaire. Un coup de foudre, presque, selon ses mots. « J’ai immédiatement eu un crush sur lui en le voyant en vidéo. »
À l’essai avec un contrat de 25 000 dollars la saison
À cette époque, le natif de l’Arizona avait été la dernière pièce du puzzle nordiste, recruté tout début août alors que la préparation démarrait. « Je me souviens d’un coup de fil de mon agent me disant que j’avais une possibilité en deuxième division française », se remémore le principal intéressé, trentenaire depuis lundi. « Je ne connaissais rien au basket européen mais j’ai décidé de tenter ma chance. » Joliment référencé en NCAA où son cursus universitaire avec les Minnesota Gophers avait marqué les esprits, Austin Hollins débarque alors dans un tout nouveau monde, au cœur du bassin minier, lui qui n’avait jamais mis les pieds en dehors des États-Unis jusque-là. « Tout devient compliqué », sourit-il a posteriori, attablé dans un café d’un centre commercial flambant neuf à Belgrade. « Rien qu’un truc tout bête comme aller au supermarché par exemple… Vous avez beau lire les étiquettes, vous ne comprenez rien. Et vous ne pouvez pas non plus demander à quelqu’un puisque vous ne parlez pas la langue. J’ai éprouvé tellement de difficultés au début. »
Ici en décembre 2015 à Toulon, Hollins a disputé 79 matchs de Pro B avec Denain
(photo : Sébastien Grasset)
Nouveau pays, nouvelle culture, nouvelle langue, nouveau style de jeu, découverte des exigences du professionnalisme… Être un rookie requiert une forte capacité d’adaptation. « Il faut s’ajuster à tout, à la fois sur le terrain et en dehors », acquiesce-t-il. « Sportivement, je me rappelle que la transition avec la NCAA avait été compliqué, le jeu ne ressemblait en rien à ce que j’avais connu. » Après la Leaders Cup, et juste avant sa blessure, ses deux premières sorties officielles en saison régulière avaient d’ailleurs presque viré au fiasco. 2 points à 1/5 contre Saint-Quentin puis 2 points à 1/4 à Boulazac, 1 d’évaluation au total. « Quand on arrive à l’étranger pour la première fois et que l’on ne joue pas bien au début, c’est difficile de garder la tête froide. Dans ce contexte, j’ai été très chanceux que coach Prat m’ait toujours défendu et ait continué à croire en moi malgré mes difficultés initiales. »
En réalité, à ce moment-là, Jean-Christophe Prat avait déjà pris sa décision depuis longtemps concernant son nouveau protégé. Non sans avoir préalablement pris soin d’ajouter une période d’essai à son contrat afin de l’observer humainement, « et pas pour des considérations basket car j’étais convaincu », l’ancien entraîneur des Dragons était allé voir Hollins quinze jours après pour lui certifier qu’il finirait la saison avec l’ASCDVPH. « Humainement, c’est un super mec, charmant, bien éduqué, presque un peu timide et introverti. » Et s’il était « perdu », l’ex-assistant d’Orléans « [voyait] qu’il avait un potentiel de malade. », persuadé « qu’il ne s’agissait que d’une question de temps » avant que l’Américain ne donne sa pleine mesure, en raison de tout « ce qu’il devait emmagasiner hors basket. »
« Qu’il aille jusqu’en EuroLeague, je n’imaginais pas cette carrière-là »
Sept ans après, Austin Hollins est donc devenu un solide pensionnaire d’EuroLeague et Jean-Christophe Prat, qui avait tenté de le faire venir à Paris en 2018, ferait presque… amende honorable. « J’étais persuadé qu’il ferait une très belle carrière en Europe mais pour être très honnête, je n’imaginais pas cette carrière là. » Tout a commencé lors de son retour de blessure en décembre 2014, où le fils de Lionel Hollins a progressivement trouvé son rythme de croisière, au point de s’imposer comme un élément déterminant de l’incroyable run de Denain jusqu’en finale des playoffs. « Il a eu une énorme importance dans notre parcours, je garde le souvenir d’un garçon ayant su prendre une vraie place dans le collectif. C’est une sorte de leader silencieux : un mec posé, toujours positif, mais intense des deux côtés du terrain. » Et s’il a récemment goûté à la saveur des playoffs d’EuroLeague, via une série contre le FC Barcelone, le joueur continue lui de chérir le souvenir de cette aventure. « C’étaient de super moments. Totalement inattendu aussi car tout le monde nous voyait en bas de tableau. Mais notre équipe était bien constituée avec un mix intéressant entre de jeunes talents et l’expérience de quelques vétérans comme Sacha Giffa, qui était très respecté. »
De 8 points et 0,6 passe décisive à 12,5 points et 1,7 passe décisive,
ses statistiques ont considérablement augmenté entre 2014/15 et 2015/16 (photo : Vincent Janiaud)
Facteur X lors de la belle de la demi-finale à Boulazac (14 points, 2 passes décisives et 2 interceptions), meilleur Denaisien de la finale contre Antibes (14 points à 79% et 2,5 interceptions), Austin Hollins joue ensuite la carte de la continuité, prolonge et est nommé co-capitaine de l’équipe. « Rester n’était pas forcément une décision évidente mais Denain me semblait le meilleur endroit pour continuer à progresser. Je voulais aller plus haut mais je savais qu’il y avait des étapes à respecter. » Pari réussi puisqu’après une deuxième saison en Pro B réussie, le natif de Chandler part en Finlande, « un premier tournant » qui lui ouvre les portes du championnat allemand, à Giessen puis Vechta. Devenu l’un des meilleurs ailiers de BBL, il tape alors dans l’œil du Zénith Saint-Pétersbourg, pensionnaire d’EuroLeague, qui l’engage en juillet 2019. « Je ne m’y attendais pas du tout. Quand j’ai reçu ce coup de téléphone, je n’en revenais pas… »
Howard, Ouattara, Boutsiele et Hollins :
quatre représentants Denaisiens en EuroLeague
De rookie contesté en Pro B à maillon essentiel d’une équipe aux portes du Final Four l’an dernier, l’odyssée d’Austin Hollins est un modèle du genre. « Cela demande beaucoup de force mentale et de détermination », indique-t-il. « Aller de pays en pays, changer de coachs ou de coéquipier chaque année, c’est difficile mais au fur et à mesure, on trouve le rythme et l’acclimatation est sans cesse plus facile. » Elle ne sera certainement désormais jamais plus difficile qu’à Denain, où l’ex-rookie avait toutefois eu beaucoup de chance de tomber sur le tandem Jeb Ivey – Erroyl Bing, deux vieux routiers du circuit européen. « Ils m’ont pris sous leurs ailes et ont une grande part de mérite dans mon adaptation. Ils ont tout fait pour me mettre à l’aise dans une situation qui n’était pas forcément confortable » Ainsi, la famille de Jeb Ivey l’invitait souvent à dîner tandis qu’Erroyl Bing, bilingue, prenait de son temps pour lui faciliter certaines démarches quotidiennes comme aller à la banque ou autre. Installé à Valenciennes lors de son passage nordiste, le meilleur intercepteur de Bundesliga 2019 tient également à souligner « la gentillesse » des locaux. « Ce n’est peut-être pas l’endroit où il y a le plus de choses à faire mais j’y ai rencontré énormément de belles personnes », glisse-t-il.
Ce jeudi, au moment de retrouver son ex-coéquipier William Howard, Austin Hollins discutera ainsi sûrement de cette épopée denaisienne, tel qu’il l’avait fait à Monaco il y a deux semaines en compagnie de Yakuba Ouattara et Jerry Boutsiele. Quatre joueurs d’EuroLeague réunis dans la même équipe de Pro B, cela relève du domaine de l’exceptionnel. « Et encore, il faut ajouter Isaia Cordinier aussi », sourit-il. De même que Yannis Morin et Vafessa Fofana, tous devenus des joueurs confirmés. « Je suis très heureux du succès connu par tous les gars de cette équipe, c’est super de voir comme tout le monde a grandi depuis Denain. » De quoi réduire a posteriori le sentiment de surprise créé par le statut de finaliste des Dragons à l’époque…
Serviette sur les épaules, Hollins à l’écoute de son ancien coach Jean-Christophe Prat
(photo : Sébastien Grasset)
Et lorsque l’Étoile Rouge accueillera l’ASVEL au cœur de la fureur du Pionir, Jean-Christophe Prat sera sûrement devant sa télévision, prêt à observer l’évolution de ses anciens minots. « Aujourd’hui, Austin est plus utilisé dans un rôle de slasheur. À l’époque, je voulais le développer en deuxième arrière. On a fait énormément de travail de ball-handling, on le faisait également jouer quelques pick and rolls. Désormais, il ne touche pas beaucoup de ballons, il est surtout utilisé en bout de chaîne. » Des qualités perfectionnées au fil des années qui ont permis à Hollins de se constituer une solide réputation de 3-and-D (shooteur lointain et défenseur, ndlr). « C’est important d’accepter un rôle et de savoir l’accomplir à un haut-niveau », pose-t-il.
« Denain fut probablement l’étape la plus importante de ma carrière »
La progression sportive s’est aussi logiquement accompagnée d’une explosion des revenus. En 2014, Denain avait réussi à s’attacher les services d’Austin Hollins pour 25 000 dollars, plus 5 000 de bonus s’il réussissait l’essai. « C’est ce qu’il doit gagner en quinze jours maintenant », rigole Jean-Christophe Prat. Une autre manière de symboliser à quel point ces deux saisons passées à Jean-Degros semblent désormais bien lointaines. « En effet, ce n’est plus tout proche mais je continue de repenser à ces années et au chemin qui m’a mené en EuroLeague. », indique l’ailier du Red Star. « Je ne peux pas l’oublier. Si cela arrive un jour, cela voudrait dire que je serais ingrat à l’égard de toutes ces opportunités qui m’ont permis d’avoir le privilège de me retrouver en EuroLeague. »
Contesté à l’Étoile Rouge fin octobre, au terme notamment d’une semaine délicate entre Monaco et Milan (9 points à 2/15), Austin Hollins semble actuellement être en pleine phase de montée en puissance. Auteur de 11 points à 4/10, 5 rebonds et 3 interceptions lors de la démonstration contre le Panathinaïkos jeudi dernier (81-48), puis d’une nouvelle sortie intéressante à Zadar en Ligue Adriatique dimanche (10 points à 4/9 et 5 rebonds), l’Arizonien voudra confirmer face à Lyon-Villeurbanne. Tout en s’appuyant toujours, même des années après, sur son expérience à Voltaire. « Denain fut probablement l’étape la plus importante de ma carrière », avoue-t-il. « Là-bas, j’ai appris la perséverance dans la difficulté, car cette saison rookie fut une vraie souffrance par moments. Être capable de la dépasser et de quand même connaître du succès dans ce moment difficile m’a montré que je pouvais surmonter n’importe quoi. Après coup, j’avais l’impresison que je pouvais réussir n’importe où. À Denain, j’ai grandi en tant que joueur et surtout en tant qu’homme. » De Bologne à Belgrade, en passant par Villeurbanne et Monaco, les rives de l’Escaut ont constitué une formidable pépinière pour nombre de jeunes pousses talentueuses. S’il n’est pas le seul, Hollins en est maintenant l’un des exemples les plus éclatants.
À Belgrade,
Commentaires