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Basket, transidentité et résilience, le témoignage d’Aurore Pautou

Victorieuse de l'Open de France 3x3 avec Rennes, la future joueuse de La Tronche Meylan (LF2) Aurore Pautou nous livre son témoignage. Un témoignage fort qui pourra contribuer à faire évoluer les mentalités sur la transidentité.
Crédit photo : Chloé Courquin

Les points serrés, la gorge déployée, Aurore Pautou exulte, avant d’enlasser ses coéquipières. Rennes, son équipe, vient de remporter l’Open de France 3×3 2021, à Lille. Pas favorite sur le papier, la formation bretonne a enchaîné les semaines d’entraînements et les tournois pour soulever ce trophée de championne de France. Ce titre, elle le doit à son collectif, à son âme, à ses individualités aussi. En première ligne celle de la MVP de cet Open de France, Aurore Pautou. Inconnue du circuit avant 2020, elle est devenue dominante à force de travail et de volonté. Si ses belles performances ont logiquement fait parler d’elle, son parcours de vie ne passe pas inaperçu. En signant un contrat à La Tronche Meylan, pour évoluer en Ligue 2 Féminine, Aurore Pautou est devenue la première femme trans à devenir joueuse professionnelle de basketball. Si l’intention n’était pas pour elle d’être une précurseur ou encore moins de se mettre en avant, son histoire va peut-être permettre à des hommes et des femmes, sans forcément aspirer à devenir professionnel, d’oser participer à des compétitions organisées par la Fédération française de basket (FFBB), afin de s’épanouir, comme elle, sur un terrain de basket, tout simplement. Son témoignage, Aurore Pautou a accepté de nous le partager. Le voici.

Vous revenez de Lille, où vous avez remporté l’Open de France 3×3, on imagine votre immense joie après cet accomplissement, l’aboutissement de mois de travail, individuel et collectif…

Au niveau des émotions c’est assez fou tout ce qui se passe actuellement dans ma tête et dans mon coeur… Ce titre, c’est beaucoup de choses, c’est un aboutissement, un rêve qui se réalise, une formidable aventure sportive et surtout humaine. J’ai beaucoup de reconnaissance pour toutes les personnes qui ont participé, de près ou de loin, à Rennes 3×3, mes fantastiques coéquipières, nos deux coachs/GM, les gars, les jeunes, les blessées, nos supporteurs… et tous les gens qui, tout au long des tournois et très spontanément, nous ont donné tant de marques de sympathie. Enfin, j’ai une pensée pour toutes nos adversaires, car si nous n’avions pas eu face à nous de si grandes joueuses, nous n’aurions jamais pu aller au bout de nous-même à chaque match. C’est une évidence pour moi qui vis le sport de compétition comme un dépassement de soi.

J’espère que l’Histoire retiendra que le coeur et le courage permettent de surmonter bien des déficits – physiques, techniques, tactiques – et que cette équipe rennaise n’était peut-être pas celle qui jouait le mieux au basket (c’est tout à fait discutable), mais qu’elle était la plus déterminée (c’est indiscutable).

La saison de 3×3 terminée, vous allez vous attaquer à une nouveau challenge. En effet, vous vous êtes engagée au sein du Basket Club La Tronche Meylan, afin d’évoluer en Ligue 2 Féminine. Après plusieurs années d’arrêt du basketball, vous avez repris une licence au niveau départemental féminine avant d’évoluer furtivement en NF3 tout en participant à des tournois de 3×3. Pouvez-vous nous expliquer votre parcours de ces dernières années, avant votre arrivée au BCTM ?

Cela fait 31 ans que j’ai un ballon de basket dans les mains. Je pense en avoir passé à peu près la moitié en club et j’ai fait un break d’au moins 4 ans sans toucher un ballon, pause lié à ma transition. En-dehors de ça j’ai le sentiment d’avoir passé ma vie sur les playgrounds, sur l’agglomération grenobloise dans un premier temps, puis à Rennes par la suite.

Alors que je ne pensais pas pouvoir rejouer un jour, un soir d’octobre 2019 j’ai eu un déclic, quelques recherches sur Internet plus tard je me suis rendue dans une salle proche de chez moi où des séniors filles s’entraînaient. J’ai demandé au coach si je pouvais jouer sur un panier et là… je ne vous raconte pas les sensations… le bonheur… j’étais dans un état second. Ce fut un nouveau départ mais c’est le covid (et peut-être aussi le célibat !) qui m’a véritablement relancée dans le basket, car depuis le début du premier confinement (il y a 15 mois maintenant) j’ai pu m’entraîner – seule dans un premier temps – comme jamais et parvenir au niveau physique et technique où je suis aujourd’hui.

Un événement marquant pour moi fut l’Open de France de 3×3, à Nantes en août 2020, durant lequel j’ai pu me jauger, me montrer et prendre des contacts avec des acteurs du milieu professionnel. Une équipe novice, le tournoi de qualif’ la veille, un quart de finale… Tellement grandiose !

Puis le projet de signer un contrat professionnel a muri en vous, n’est ce pas ? Comment vous êtes-vous entraînée toute la saison passée pour atteindre cet objectif ?

Dans un premier temps, suite à l’Open de France 2020, j’ai eu le sentiment que c’était possible, que j’étais capable d’évoluer à haut niveau dans le basket féminin. Puis, à la fin de l’été, j’ai acquis la certitude que je voulais vivre cette expérience et que j’étais faite pour ça, suite à un essai dans un gros club de LF2. Cet essai fut sportivement concluant mais je n’ai finalement pas pu me libérer de mon travail d’enseignante pour que l’aventure débute. Dès lors j’ai tout mis en oeuvre durant la saison écoulée pour y parvenir.

Voyant que je n’y arriverai pas seule, j’ai pris un agent, comme me l’ont conseillé plusieurs coachs. J’ai eu plusieurs contacts avec des agents et ce fut pour moi une évidence de faire confiance et de travailler avec Christelle Mijoule. Nous avons immédiatement eu un très bon feeling et je ne la remercierai jamais assez pour son engagement dans mon entreprise. Sans elle, je ne serai pas là aujourd’hui.

Aboutir, pour moi qui n’ai pas d’historique basket à haut niveau, cela passait forcément par des essais, il fallait donc me maintenir au top et cela n’a pas été facile de travailler en extérieur de novembre à avril – l’hiver a été très très humide en Bretagne cette année – mais quelque part cela forge le caractère. Il faut voir le positif en toutes choses mais, en toute honnêteté, j’espère ne jamais revivre une telle période, entre l’angoisse de ne pas y arriver et les conditions d’entraînement… apocalyptiques.

Plus concrètement, physiquement j’ai beaucoup travaillé sur la piste d’athlétisme – j’ai toujours aimé cela – et je passe des heures chaque semaine à m’étirer. Cette année, j’ai commencé à travailler avec un ancien champion de France de saut en hauteur, les résultats sont assez spectaculaires. Je ne développerai pas l’aspect hygiène et mode de vie, il me faudrait des pages et des pages. Pour la partie technique, avec mes potes toute l’année on est allées défier tous les mecs qu’on croisait sur les playgrounds, à la moindre occasion, au moindre rayon de soleil. Je profite de l’occasion pour leur (re)dire à quel point je les aime, mes amies, elles se reconnaîtront.

Les retrouvailles avec Mickaël Cortay

Comment se sont passés les contacts avec La Tronche Meylan et les essais sur place, vous avez pu rencontrer/affronter les filles ?

Christelle a pris contact avec le BCTM, comme j’ai de la famille en Isère cela permettait au club de ne pas investir d’argent pour me voir à l’entraînement. Ils ont répondu positivement et j’e m’y suis rendue durant les vacances scolaires d’hiver. Et en arrivant le mercredi soir j’ai retrouvé Mickaël Cortay…

Ce n’était pas ma volonté initialement, je ne souhaitais pas spécialement retourner jouer du côté de Grenoble. Mais les choses se sont faites ainsi et au final je me dis que, dans la folle aventure qu’est ma vie, c’est une magnifique boucle qui s’opère. C’est à dire que, quand j’avais 16 ans, j’ai rencontré un coach qui a complètement modifié ma trajectoire basket. Ce fut pour moi la découverte du basket moderne, d’un personnage, un modèle, quelqu’un qui a beaucoup compté dans ma vie à cette époque. C’est de Mickaël dont je parle. Alors que ce soit lui qui me donne ma chance aujourd’hui… j’en suis très heureuse et je trouve l’histoire très belle. Maintenant j’ai conscience que dans le sport professionnel il n’y a pas de sentiments, et que si je suis là c’est pour être performante, et rien d’autre. Fin du conte de fées !

En mars je me suis entraînée deux fois, j’ai le sentiment que ça s’est bien passé même si j’étais en galère à jouer tout terrain, plus l’habitude de tels efforts. Le vendredi soir les filles m’ont invitée direct à leur petite soirée après l’entraînement, j’étais très touchée, elles ne jouaient pas ce week-end là. Le club a pris le temps de réfléchir à la situation et on est tombés d’accord quelque temps après. En mai j’ai pu revenir m’entraîner 5 fois, à ma demande, la saison était terminée. De ce fait j’ai déjà pas mal de repères, la salle, le staff, les joueuses, je me sens un peu chez moi, déjà. Peut-être aussi le fait de revenir à Grenoble, ma famille…

« Le basket pour moi n’est pas un moyen (je ne joue pas au basket pour atteindre des objectifs) mais une finalité (mon objectif est d’être sur un terrain de basket) »

Quelles perspectives avez-vous pour votre saison 2021-2022 en LF2. A quel rôle pensez-vous que l’équipe sera en mesure de jouer ? Avez-vous une idée du rôle et de l’impact que vous pouvez avoir à ce niveau sachant que vous passez de la NF3 à la LF2 ? Que vous a dit le coach Michaël Cortay ?

À ce jour, je me suis entraînée une dizaine de fois avec des groupes de LF2, j’ai joué contre des joueuses de LFB et LF2 en 3×3. Ce sont mes seuls repères par rapport au haut niveau, alors… je pars un peu dans l’inconnu sportivement parlant. Je sais que le BCTM est redouté par pas mal d’équipes, c’est une formation qui a du coeur et qui défend très fort. Je pense m’inscrire dans cette perspective et j’espère pouvoir apporter un plus offensivement par rapport à la saison écoulée. J’ai une grande, une immense confiance en moi, maintenant est-ce que ça va le faire… Il n’y a que la vérité du terrain qui compte, c’est le mot du coach et je crois que je vais m’en tenir à ça. Rendez-vous en septembre pour obtenir une réponse à cette question !

A plus long terme, avez-vous des objectifs en tête ? Intégrer la LFB est-il dans un coin de votre tête si vos performances vous le permettent ?

Je n’ai pas d’objectifs. C’est le plaisir et le bien-être qui me guident, pas la gloire, j’ai compris récemment que sur un terrain de basket, j’étais épanouie, alors je veux y passer le plus de temps possible ! Maintenant, j’ai des rêves basket et je vais tout faire pour les réaliser, mais il faut bien comprendre que le basket pour moi n’est pas un moyen (je ne joue pas au basket pour atteindre des objectifs) mais une finalité (mon objectif est d’être sur un terrain de basket). Alors jouer en LFB ça me ferait kiffer et je vais tout donner à l’entraînement pour y parvenir – je rêverais d’y emmener le BCTM – mais si je n’y arrive pas je ne m’en rendrai pas malade, je serai heureuse quoi qu’il arrive.

Vous êtes enseignante depuis 15 ans. Vous vous êtes mise en disponibilité afin d’épouser cette carrière à haut niveau ou vous comptez pouvoir réaliser les deux, à mi-temps peut-être?

J’ai obtenu une disponibilité de la fonction publique pour le 1 septembre 2021, pour une durée d’un an renouvelable. J’ai signé un contrat de travail avec le BCTM pour un an. Autrement dit, si l’aventure basket s’achève à la fin de la saison je réintègre une salle de classe en septembre 2022, même si je ne sais pas où ce sera en Bretagne. Cette sécurité m’est très importante, j’aurai du travail quoi qu’il arrive, je n’ai pas à m’en soucier et je peux jouer libérée, sans crainte par rapport à mon avenir professionnel. J’étais prête à démissionner en septembre dernier mais un coach bienveillant m’a fait prendre conscience de la grande précarité du statut de sportive professionnelle. Merci Xavier, vraiment.

Je n’ai pas souhaité faire autrement car d’une part je veux le vivre en grand et d’autre part je pense que cela aurait été au final trop compliqué. J’ai été très heureuse dans ma salle de classe durant ces dernières années, je porte mes étudiants et mon ancien lycée dans mon coeur – c’est difficile pour vous de vous rendre compte à quel point mon travail d’enseignante à Vitré a été salvateur dans ma vie – et j’aurais voulu pouvoir me couper en deux pour ne pas le quitter. Mais je m’en serais voulu toute ma vie d’être restée, de ne pas avoir eu le courage de partir. Des remords plutôt que des regrets…

Revenons quelques années en arrière. Quand vous avez décidé de reprendre le basketball en compétition, vous avez du contacter le service juridique de la FFBB suite à votre transition de genre. Le processus a-t-il été long et complexe ou au contraire cela s’est fait assez facilement puisque vous étiez reconnue par la France en tant que femme ?

J’ai su durant le confinement que ma nouvelle licence était problématique car jaune (restrictive pour les clubs) : n’ayant pas d’historique basket je ne pouvais justifier d’avoir été formée en France. Or je l’avais été et de ce fait obtenir une licence verte (sans restrictions) était un droit pour moi, ce dont m’informa le Défenseur des Droits. C’est avec cet argument en poche que j’ai contacté le service juridique de la FFBB, leur exposant ma situation. La FFBB étant à l’oeuvre pour lutter contre les discriminations et notamment le racisme, il était logique qu’elle accède à ma demande : elle ne peut lutter contre les discriminations d’un côté et discriminer de l’autre.

Je ne sais ce qu’il s’est dit dans les bureaux mais toujours est-il que quelques mois de télétravail plus tard, en septembre 2020, ma situation était régularisée. J’ignore si mon cas a été débattu en conseil d’administration ou s’il est resté confiné au sein du service juridique, car j’avais demandé à ce que tout cela reste confidentiel. Je ne sais ce que la FFBB pense des athlètes trans – peut-être qu’elle n’en pense rien, tout simplement – et je ne sais si elle va communiquer un jour à ce sujet, ou bien si elle pense que ce n’est pas nécessaire, puisqu’il suffit de les contacter pour régler les éventuels problèmes administratifs et juridiques.

Au final je dirais que le processus a été relativement court (4 mois pour traiter une situation qui était peut-être inédite) et aisé. J’ai beaucoup apprécié le professionnalisme de mon interlocutrice au service juridique.

« Je suis là, je suis visible, je ne me cache pas, je suis fière de moi et de mon parcours et je regarde tout le monde les yeux dans les yeux, je ne m’excuse pas d’exister »

La Fédération française de rugby (FFR) a officiellement reconnu en début d’année le fait que les femmes et hommes transgenres pouvaient s’inscrire en compétition professionnelle avec le cas d’Alexia Cérénys, joueuse de Lons en première division. Même si là n’est sans doute pas votre but, avez-vous conscience que votre cas puisse ouvrir la voie à d’autres femmes et hommes transgenres qui, comme vous, pensaient peut-être qu’il était impossible de s’engager en compétition, qui plus est à haut-niveau ?

Je ne reviens pas dans le basket pour des raisons militantes, je le fais pour moi. Maintenant il faut bien avoir conscience qu’aujourd’hui pour les personnes trans, rien que le fait d’exister est en soi un acte militant. Je suis là, je suis visible, je ne me cache pas, je suis fière de moi et de mon parcours et je regarde tout le monde les yeux dans les yeux, je ne m’excuse pas d’exister. À partir de là cela me semble évident que ma vie puisse servir d’exemple, de déclic, de catalyseur pour beaucoup de monde – et pas forcément que pour des personnes trans – de la même manière que moi-même j’ai été influencée par d’autres vécus en mon temps. Je ne connais pas personnellement Alexia mais j’ai le sentiment que nous abordons les choses avec la même simplicité, et que notre propos porte bien au-delà du monde du sport, car nous contribuons à promouvoir la liberté d’être (et la liberté d’aimer).

Pour en revenir au sport, je sais qu’il existe aujourd’hui le fantasme de voir déferler toutes les femmes trans de la planète dans le sport professionnel féminin. Soutenir cela, c’est ignorer la réalité de ce qu’est la transidentité en terme de parcours de vie – ce n’est bien évidemment pas la performance sportive qui nous guide – et en nombre de personnes concernées : nous sommes très très peu à l’échelle de la population. Relayer ce fantasme cela revient donc à parler d’un sujet sans le connaître. De plus il suppose que n’importe quelle femme trans qui arriverait dans le sport féminin pourrait parvenir au plus haut niveau, ce qui est insultant pour toutes celles qui s’entraînent quotidiennement. C’est méconnaître le sport de haut niveau.

Pour atteindre les sommets il faut s’entraîner, qualitativement et quantitativement. Il faut de l’intelligence, faire les bonnes rencontres, être bien conseillée, déterminée, et tant d’autres qualités. Il ne suffit pas d’être une femme trans. Nous resterons marginales en nombre sur le long terme même si je pense que nous serons un peu plus visibles à court terme, dans les années qui viennent, et que nous deviendrons invisibles – on ne parlera plus de nous – à moyen terme, d’ici quelques années. Le travail réalisé par la Fédération Française de Rugby, qui a abouti au communiqué du 17 mai 2021, est fantastique. Les valeurs portées par le rugby sont exemplaires et chacun devrait s’en inspirer.

« Je pense que la planète basket en sortira grandie »

Redoutez-vous cette mise en avant, pour votre histoire personnelle, plutôt que pour vos qualités de basketteuse et votre travail quotidien, ou au contraire pensez-vous que la portée de votre parcours et vos performances en 5×5 et 3×3 puissent être bénéfiques pour défendre la cause LGBT ?

Il se peut que je sois le flop de l’année en LF2, il se peut également que je sois la révélation de la saison. Dans les deux cas, du fait de ma visibilité, la cause LGBT – au sens large – y gagnera. Je pense également que la planète basket en sortira grandie, et que le BCTM sera reconnu comme le club qui m’a donné ma chance, un club courageux et engagé sur les valeurs humaines.

Je ne redoute pas d’être mise en avant, même si je n’aime pas ça car cela ne me correspond pas. Je n’ai rien à cacher mais faire en sorte que l’on parle de moi ou que l’on dorlotte mon égo… cela ne fait pas partie de mes valeurs, cela ne me fait pas plaisir et parfois même cela me gène. J’ai compris que quoi que j’en pense on allait parler de moi et de ma vie privée et intime – on en parle déjà beaucoup à ce que j’ai cru comprendre – alors plutôt que de laisser d’autres raconter n’importe quoi à mon sujet j’ai préféré prendre la parole via cette interview afin de livrer ma vérité et mes points de vue.

J’espère que rapidement ceci ne sera plus un sujet de discussion – une fois que vous l’aurez dit à tous vos amis, qu’aurez-vous à en dire de plus ? – et qu’alors on pourra m’interroger sur la technique, la préparation physique, mes qualités mentales, mon QI basket et tout le reste. J’espère que rapidement chacun comprendra que la transidentité est un concept à la fois public – tout le monde peut être amené à le savoir, même contre notre volonté – mais que c’est avant tout pour les individus concernés quelque chose d’extrêmement intime, dont il n’est pas nécessaire de nous parler car c’est le plus souvent très désagréable. Qui apprécirait que l’on vienne lui parler de son intimité, comme ça, comme si c’était un sujet de discussion ? Dans le milieu du basket – notamment à Rennes – les gens autour de moi ont eu beaucoup d’intelligence et de savoir-vivre en ne mentionnant jamais le passé ni même le sujet, et j’espère que cela continuera. C’est très important pour moi.

Il est temps de conclure.

Au final, que dit mon parcours de vie, quelle lecture puis-je en faire ? Le sport – et le basket particulièrement – sont des éléments structurants de ma vie. Durant mes années, mes décennies de dépression j’ai souvenir que le basket était chaque jour une parenthèse de laquelle mon mal-être était exclu. Et maintenant que j’existe pleinement, que je me sens à ma place et bien dans ma peau, c’est tout naturellement sur un terrain de basket que je suis totalement épanouie. J’ai aujourd’hui 38 ans, j’ai le sentiment d’être dans une forme étincelante – je fais tout pour, on n’a rien sans rien – et je pense sincèrement qu’à 60 ans je serai encore en train de jouer, tellement le basket est nécessaire à mon équilibre.

Mon parcours me dit également qu’il ne faut jamais baisser les bras, ne pas rester seul avec ses problèmes et savoir saisir les mains tendues, qu’il faut garder la tête haute, savoir s’entourer des bonnes personnes et que le travail finit toujours par payer. C’est valable pour pour mener une transition de genre, ça l’est également pour réussir dans le sport de haut niveau. Aurais-je réussi ou même débuté ma transition si je n’avais pas eu en moi la force et les qualités mentales que le basket m’a apporté ? Ferais-je partie d’un effectif professionnel si j’étais encore en dépression ? Le basket et ma transition ont contribué à mon émancipation et à me faire telle que je suis aujourd’hui : forte et en paix.

J’ai eu la chance, le bonheur de pouvoir revenir – revenir à la vie, revenir au basket – alors que nombre de personnes trans se suicident, sont en dépression, et que plus de 300 ont été assassinées en 2020 de par le monde, pour la simple raison qu’elles étaient trans. Sans vouloir tomber dans le misérabilisme je mesure ma chance et par cette interview j’espère apporter ma contribution à l’évolution des mentalités, à diffuser ces idées que chacun est libre d’être lui-même, que nos corps nous appartiennent et qu’il ne faut jamais laisser les autres et leurs regards décider à notre place. J’aurais préféré ne jamais avoir à réaliser cette interview, j’aurais préféré que d’autres la fassent à ma place – c’est tellement plus confortable – mais je pense à celles et ceux qui vivent des choses comparables à ce que j’ai vécu – comprendre ce que l’on vit, l’accepter, l’assumer, s’affirmer, se lancer – et alors je me dit c’est un devoir moral pour moi que de faire cela.

Enfin je voulais te remercier Gabriel d’avoir respecté mes volontés et d’avoir pris le temps de traiter ce sujet – mon sujet – avec intelligence et bienveillance. Et à vous tous, merci de m’avoir lue…

Aurore Pautou, juin/juillet 2021

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