[L’œil de coach Soares] Comment expliquer l’effondrement des Bleus contre la Lettonie ?
Alors que le match était globalement maîtrisé avec des Bleus qui ont fait la course en tête pendant 39 minutes et 23 secondes, l’équipe de France n’a pourtant jamais donné l’impression de dominer la Lettonie. Tout d’abord, que retenir au niveau des statistiques ?
- Ce qui aurait dû nous faire gagner
La France a réalisé une grande performance au niveau du tir à trois points, avec un exceptionnel 14 sur 27, soit presque 52% de réussite. Elle a également dominé le rebond (31 à 27), les passes décisives (23 contre 20), les contres (3 à 2), le nombre et le pourcentage aux lancers-francs (20 lancers à 83% contre 16 à seulement 62,5% pour les Lettons).
- Ce qui nous a fait perdre
Le problème des balles perdues est connu depuis l’année dernière. Il n’a toujours pas été réglé. Avec 20 balles perdues sur 78 possessions, le constat est cruel : les Bleus n’ont pas shooté plus d’un ballon sur quatre. C’est beaucoup, beaucoup trop : les Lettons en ont profité pour marquer 26 points ! Vainqueur de la bataille à trois points, les tricolores ont également complètement sombré dans la défense de leur raquette, abandonnant un incroyable 69,2% de réussite (18/26). Et comment ne pas parler du rebond défensif ? Les Français ont concédé 12 rebonds offensifs (soit 36% des disponibles), contre 10 à leur adversaire, mais qui ont apporté 22 points à leur adversaire (seulement 13 pour la France).
- Faillite offensive ou défensive ?
Avec 86 points marqués, 23 passes décisives et 20 lancers francs tirés, difficile de pointer l’attaque. Pourtant, il semble important de souligner le manque de cohérence et surtout d’identité dans le jeu des Bleus. Et cela semble créer beaucoup de frustration. Ce que j’appelle l’identité, ce sont des principes clairs :
- Veut-on vraiment jouer le jeu rapide ? La transition ?
- Au niveau du pick and roll : milieu ? Isolé ?
- Sur la défense de step out en première mi-temps, que recherche-t-on ? Du short roll ? Le joueur à 2 passes ? Shifter la balle ? (Le shift est le changement de safety lors d’un pick and roll : lorsque la balle est vite libérée puis renversée à l’opposé, le défenseur en charge du Roller (qu’on appele « safety ») change, ce qui crée souvent un avantage en attaque)
- Sur les switchs, veux-ton jouer les mismatchs avec les petits ou les grands ?
- Que fait-on lorsque l’adversaire passe en box sur Fournier (1 joueur interdit à Fournier d’avoir le ballon pendant que les 4 autres défenseurs sont en zone) ?
- On a pu voir quelques situations intéressantes dans le post-up. Mais quelle est notre mobilité autour ? Il semblerait que le staff ait opté pour une coupe du joueur à 45 de l’opposé et un pick repick sur le non porteur coté balle (image 1). Mais pourquoi est-ce à chaque fois différent ? (image 2)
Très difficile de répondre à toutes ces questions… Lorsque j’évoque la cohérence, je sous-entends la consistance tout au long du match et l’utilisation des joueurs sur le terrain. On a pu voir un vrai bon passage de Yabusele sur le post-up au cours du troisième quart-temps, mais pourquoi ne pas le faire régulièrement lorsqu’il est sur le terrain ? Parmi nos arrières, quelle est la hiérarchie ? Tout le monde a vu la mésentente entre Francisco et Fournier à la fin du 3ème quart temps. Bien que l’attaque ne soit pas la principale cause de la défaite, elle crée des frustrations individuelles fortes qui auront un impact important sur l’investissement défensif.
- Le vrai chantier : la défense
69,2% d’adresse à 2 points. Comment est-ce possible ? Voici la répartition des paniers à deux points lettons :
- Rebond offensif : 1
- Switch sur pick and roll : 7
- Back-door : 1
- Spanish pick and roll : 2
- Défense de protection sur pick and roll : 2
- Repli défensif : 2
- 1 vs 1 : 3
Ce qui est encore plus grave que le nombre et le pourcentage ? Il n’y a aucun pull-up (tir après dribble qui nécessite un travail technique individuel) parmi tous ces paniers et seulement 2 floaters. Ce qui fait 16 lay-ups….
La constante est donc une défense de pick and roll aux abonnés absents. Le staff des Bleus a opté pour beaucoup de switch (avec une orientation à gauche des meneurs) afin d’éviter les tirs. Les arrières, beaucoup trop loin du porteur ou trop orientés, ont laissé les deux meneurs lettons prendre de la vitesse bien trop facilement, et les intérieurs, isolés dans les mismatchs, n’ont pas réussi à tenir les duels avec les extérieurs lettons.
Ajoutez à cela, au moins, trois erreurs de communication (doit-on switcher ?) qui coûtent des paniers faciles, comme ce tir de Zoriks à la fin du troisième quart-temps alors que les Français étaient dans leur meilleur passage défensif de la soirée (10 points encaissés seulement au cours des huit premières minutes).
Nous avions évoqué avant le match du Canada l’importance de la pression sur la balle lors des mains à mains. Celle-ci est d’autant plus importante en défense de pick and roll, surtout lorsque l’on change (pour empêcher le meneur de prendre de la vitesse) ou que l’on utilise la protection (pour ne pas rester bloqué dans l’écran et laisser l’intérieur dans une situation de 2 contre 1). Ce travail me semble être la priorité.
- Et le reste alors ?
Sans se dédouaner de sa responsabilité et de celle de son staff, Vincent Collet a beaucoup pointé un manque d’humilité et d’engagement individuel défensif de la part de son équipe. Et on ne peut que le rejoindre lorsque l’on voit le nombre d’oublis, de mauvaise communication, de déconcentration et de manque de combativité. Un back-door avec une mauvaise orientation au départ, des un-contre-un abandonnés facilement, des box-out non effectués qui coûtent entre autres un lay-up de Smits pour lancer son match et le panier à trois points en toute fin de match de Bertans.
- À qui la faute ? Au staff ou aux joueurs ?
Sans rentrer dans les considérations et les débats qui animeront sans doute le basketfrançais dans les prochains jours, notamment concernant les joueurs absents, cette Coupe du Monde semble avoir mis en lumière un manque d’unité criant au sein de cette équipe. La faute est alors partagée entre le staff, qui ne semble plus avoir l’approbation et la confiance des joueurs, et à qui incombe la responsabilité de la cohérence et de l’identité (on en revient à la création de la frustration), et les joueurs qui n’ont pas mis les ingrédients nécessaires et se sont laissés submerger par les émotions. Car au-delà des erreurs techniques ou d’engagement, il ne faudra pas oublier l’importance de l’exclusion de Nando De Colo, pour avoir eu une réaction inutile à l’égard de Kurucs, ou les deux fautes loin du ballon de Rudy Gobert dans les deux dernières minutes qui ont offert quatre points sur un plateau aux Baltes.
Les précédentes chroniques tactiques de Guillaume Soares :
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