À un an des Jeux Olympiques, la nécessaire professionnalisation du 3×3 Français
L’image reste ancrée au plus profond de leurs mémoires collectives : Kelsey Plum qui effleure la passe de Marie-Eve Paget à 47 secondes de la fin de la demi-finale des Jeux Olympiques (16-16), les arbitres qui vont regarder la vidéo et rendent inexplicablement la balle à Team USA, privant de fait l’équipe de France d’une médaille. « Je peux vous assurer que Laetitia Guapo ou Marie-Eve Paget l’ont encore en travers de la gorge », certifie Yann Julien, le sélectionneur national, absent à l’époque. C’est bien pour exorciser les démons tokyoïtes que la fédération a décidé de changer son fusil d’épaule à l’approche des JO de Paris, dont le tournoi 3×3 démarrera le 30 juillet 2024, soit dans un an tout pile. Finie la préparation centrée seulement sur un temps estival, place à un vrai pool de joueuses professionnelles uniquement dédiées au 3×3 à partir du 1er septembre. « Beaucoup de nations sont en train de se préparer avec des joueuses qui ne font plus que ça et on a bien vu lors de la dernière Coupe du Monde que le niveau monte de partout », explique Alain Contensoux, le Directeur Technique National, qui a contribué à faire du 3×3 une priorité stratégique de la FFBB. « C’est une discipline olympique, au même titre que le 5×5 : il faut se préparer avec le même sérieux, afin d’aller chercher la médaille. »
Jusque-là, pourtant, la recette utilisée s’était souvent avérée payante. Sans des joueuses dédiées à 100% au 3×3, l’équipe de France a déjà été trois fois championne d’Europe (2018, 2019, 2022) et reste sur quatre podiums d’affilée à la Coupe du Monde, dont le titre suprême décroché à Anvers en 2022. Mais cela ne serait pas placer tous les atouts dans sa manche. « Si on se tape sur le ventre en se disant que c’est très bien d’avoir de bons résultats, en continuant à fonctionner de la même façon, on ne mettrait pas toutes les chances de notre côté », plaide Yann Julien, également responsable du haut niveau à la fédération. « On a tiré les enseignements de Tokyo, où ça n’a pas fonctionné comme on l’aurait voulu, car la préparation n’avait tout simplement pas été assez longue. »
« On a tiré les enseignements de Tokyo »
Il a aussi été compris que le 5×5 ne pouvait pas constituer une solution viable pour le perfectionnement du 3×3. Pire, qu’il contribuait même à brouiller les réflexes. « La transition est souvent difficile et nécessite toujours un temps d’adaptation, qu’on n’aura pas aux Jeux », acquiesce Alain Contensoux. « Qu’on le veuille ou non, cela reste deux disciplines complètement différentes », embraye Yann Julien. Dont les subtilités ont été parfaitement explicitées par Dominique Gentil, le joueur de Jeddah, qui comparait cela à l’athlétisme, indiquant qu’on n’allait pas demander à un marathonien de courir un 100 mètres et inversement.
Reste que la démarche n’a pas fait que des heureux. Certains clubs de LFB se sont vus priver d’une joueuse cadre de leur effectif, en ayant été prévenu tardivement, à partir du mois de mars. Tous ont compris la démarche, mais tous regrettaient aussi la façon de faire. « Par rapport à la préparation des clubs, à l’anticipation des contrats, des rôles dans l’équipe, le timing est catastrophique », pestait Olivier Lafargue, le coach de Bourges qui avait auparavant prolongé le contrat de Laëtitia Guapo jusqu’en 2026. « C’est ne pas connaître le basket féminin, ou alors ne pas le respecter, de dire qu’on ne sait pas que ces joueuses sont en train de signer des contrats de travail à partir de décembre », disait-il au micro du Berry Républicain. Au début, le projet fédéral prévoyait une libération des internationales au 1er janvier 2024 mais les écuries du championnat ont finalement poussé pour le mois de septembre, afin de ne pas partir sur une saison à deux vitesses. En échange de la mise à disposition de leur joueuse, les clubs ont reçu une compensation financière et l’autorisation exceptionnelle de recruter une étrangère. « C’est difficile de faire des heureux de partout », consent Yann Julien. « Je comprends la frustration des clubs et des supporters qui vont être privés d’une joueuse cadre, mais tout le monde est conscient des enjeux. J’espère que tout le monde aura la sagesse de se réunir autour de l’équipe de France parce qu’elle en vaut la peine. »
Justement, les Bleues essaiment de belles promesses depuis le début de l’été. Alors qu’Eve Wembanyama a remplacé Marie-Michelle Milapie dans la liste de huit joueuses (Laëtitia Guapo, Marie-Eve Paget, Hortense Limouzin, Anna Ngo-Ndjock, Myriam Djekoundade, Jodie Cornelie, Marie Mané) d’où seront, « très certainement » dixit Alain Contensoux, tirées in fine les quatre olympiennes, les tricolores ont déjà remporté trois étapes des Women’s Series cet été à Clermont-Ferrand, Marseille et Bordeaux, en plus de leur titre de vice-championne du monde. Soit autant de points précieux pour la course à la qualification olympique, certes bien engagée, avec une deuxième place mondiale, mais pas encore complètement assurée : pour voir Paris à coup sûr, l’équipe de France devra rester dans le Top 3 avant le 1er novembre. À ce titre, on pourra souligner l’effort patriotique discret de Maud Stervinou, partie jouer au sein de l’équipe professionnelle chinoise du SC Yuanda, à la demande de Yann Julien, et qui engrange elle aussi des points pour le basket français.
Chez les hommes, Team Paris ou équipe de France ?
Chez les hommes, alors que la qualification pour Paris se gagnera sûrement lors d’un TQO, le système fédéral reste différent, sans la même mise à disposition de plusieurs joueurs LNB. On pense là à Antoine Eïto ou Léopold Cavalière, les deux pensionnaires de Betclic ÉLITE que l’on imagine volontiers se produire sur la place de la Concorde l’été prochain. « Les enjeux financiers sont encore au-dessus », pose Karim Souchu, le sélectionneur masculin. « Il est compliqué de couvrir les salaires de Betclic ÉLITE qui sont très élevés. On est encore en train de jongler entre le 5×5 et le 3×3, entre ceux qui sont professionnels et ceux qui nous amènent une vraie valeur ajoutée l’été. On essaye de voir ce que l’on peut faire. » En clair, est-il encore possible d’imaginer Eïto, Cavalière ou d’autres être sortis de Chalon, Strasbourg et compagnie ? « On verra », évacue Alain Contensoux dans un sourire.
Si le DTN se défend de tout retard à l’allumage, insistant sur le fait « qu’aucune autre fédération n’a fait ce qui a déjà été fait en France », le consensus général est pourtant inverse, celui d’un train du professionnalisme qui a été long à se mettre sur les rails en France. Pionnier tricolore du 3×3, Kevin Corre nous avait ainsi reparlé de la première finale de la Coupe du Monde, en 2012, entre l’équipe de France (lui, Karim Souchu, JBAM et Mérédis Houmounou) et la Serbie de Dusan Bulut. Après cette édition athénienne, le Serbe s’était immédiatement spécialisé dans le 3×3 et est devenu une star absolue de la discipline, une référence mondiale. Aucun autre Français n’en a fait de même, retournant tous sagement dans le 5×5. « On a mis du temps à se professionnaliser », reconnait Karim Souchu. « Ce n’était pas facile de sortir les joueurs du 5×5, il fallait trouver les fonds. En revanche, là, on est bien lancé dedans. »
Un projet incarné par la Team Paris, lancée en 2022. « Vu qu’ils avaient un peu de retard vis-à-vis des filles, on s’est dit qu’il fallait professionnaliser les garçons d’abord », se rappelle Alain Contensoux. « Quand on les professionnalise, on était 17e mondial, nous sommes 7e maintenant (5e même, avec deux places gagnées depuis l’interview fin juin, ndlr). Je trouve qu’ils progressent vraiment beaucoup et j’espère que nous finirons très proches de la place qualificative, si ce n’est dedans. » Longtemps embêtée par les blessures, souvent contrainte de jouer sans remplaçant en août, l’équipe parisienne a vécu un week-end inoubliable la semaine dernière à Bordeaux en remportant sa toute première victoire historique sur le World Tour. « Ça a des intérêts énormes de ne faire plus que du 5×5 », nous disait Franck Séguela, l’un des membres de Paris, avant même le succès en terre girondine. « On voit réellement la différence depuis qu’on s’est spécialisé. Nos résultats sont de mieux en mieux. »
« Paris 2024, une opportunité extraordinaire »
Bien aidé par la Team Marseille, sorte d’équipe de France Espoirs officieuse, qui a même fait mieux que ses aînés lors du Masters phocéen le mois dernier, et par les expatriés de Jeddah, l’objectif de Paris est d’accumuler les points au ranking mondial, tout en se « donnant les moyens de rivaliser avec les meilleurs », ajoute Karim Souchu. « Le niveau ne cesse de monter et nos joueurs commencent à l’atteindre. Le bilan est plutôt positif : on figure sur les Masters, on est dans le Top 20 mondial, c’est ce que l’on voulait. On voit qu’on commence à exister sur les plus grandes compétitions. On est dans les objectifs fixés depuis la création de l’équipe. » Et même s’il y a une forte suspicion sur le fait que les membres de Paris constitueront la colonne vertébrale de l’équipe de France aux Jeux Olympiques, il s’agit bien de deux entités différentes. « En tant que Paris, nous sommes uniquement focalisés sur le World Tour », confirme Franck Seguela. « Pour les sélections nationales, chacun doit tirer son épingle du jeu pour être pris et la liste est loin d’être arrêtée. » Dans les six qui seront annoncés pour les JO, quatre devront être issus du Top 10 Français. « Paris, c’est l’équipe professionnelle de la fédération ; pour les Jeux Olympiques, ce sera l’équipe de France et ce n’est pas du tout la même chose », insiste Karim Souchu.
Alors que le premier check sera donné le 30 juillet 2024 sur la place de la Concorde, le programme est relativement similaire pour l’équipe de France féminine et Paris : une succession de stages, de tournois, de voyages aux quatre coins du monde. « On va tout de même devoir résoudre une problématique majeure », annonce Yann Julien. « Entre octobre et avril, il n’y a pas de compétition internationale de haut-niveau et c’est quelque chose qui nous a longtemps bloqué. On espère que l’on pourra participer au circuit pro français, Madness. Il va falloir que l’on arrive à aménager des compétitions : peut-être en faisant des tournois contre des masculins, peut-être en organisant des tournées en Asie ou en Amérique du Nord afin d’aller rencontrer d’autres sélections. »
Autant d’entraînements et de matchs, parfois dans l’anonymat le plus complet, parfois aux confins de la planète comme en Mongolie, avec une seule idée en tête : ne pas se rater dans un an, où les équipes de France joueront leur destin et la réussite d’une politique fédérale en moins d’une dizaine de rencontres. « Paris est une opportunité extraordinaire », souligne Yann Julien. « Les Jeux à la maison, c’est une fois tous les 100 ans. Nous avons vraiment à cœur de réussir nos JO. Ce qu’on essaye de mettre en place, ce pourquoi on se bat tous les jours, c’est pour monter sur la plus belle marche du podium à Paris. C’est beaucoup de pression, surtout quand on le dit ouvertement et qu’on ne se cache pas derrière son petit doigt. Mais c’est une chance unique, que l’on veut transformer en quelque chose de grandiose. » Pour définitivement, aussi, propulser le 3×3 dans les mœurs du sport français à la faveur du fameux héritage olympique…
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