« Clairement un aboutissement » : Yakuba Ouattara, l’invité surprise, privé de vacances !
Où seraient-ils partis sans ce coup de fil ? En Italie, dans les Caraïbes ou peut-être en Grèce ? Fin juin, après avoir décroché son tout premier titre de champion de France avec l’AS Monaco, Yakuba Ouattara était censé trouver sa destination estivale. « Avec ma femme, on s’était dit : Vas-y, ce soir, on se pose et on fixe nos vacances. » Et le jour-même, le téléphone a sonné avec, de l’autre côté de la ligne, une suggestion voyage signée Ruddy Nelhomme : un billet pour l’Indonésie, plutôt que des congés à Bali. La plage attendra. « J’étais un peu surpris d’être appelé mais c’était une très bonne surprise », souriait-il dans les coursives de la Sud de France Arena mercredi, une fois la victoire validée contre le Monténégro (80-69). « Je suis super content, c’est une opportunité incroyable que de pouvoir représenter la France lors d’une Coupe du Monde. »
« Il shootait comme un joueur de foot ferait une touche »
Certainement le plus grand bénéficiaire du forfait de Victor Wembanyama, dont le refus de venir a orienté Vincent Collet vers un nouveau profil d’équipe, Yakuba Ouattara était auparavant jusque-là un joueur de fenêtres, avec six convocations pour des rendez-vous qualificatifs aux compétitions internationales. Le triple All-Star avait déjà effleuré le grand monde en 2017, lorsqu’il avait été l’avant-dernier coupé de la préparation avant l’EuroBasket. Cet été-là, il était devenu papa d’une petite fille (qui fêtera ses 6 ans ce samedi), mais avait prouvé son implication envers la sélection en revenant très rapidement en stage à Orléans. « L’équipe de France a été un objectif tout au long de ma carrière, ça a toujours été une fierté et un grand honneur que de porter le maillot bleu. »
Surtout que cela n’avait rien d’évident à l’origine. Né au Ghana, arrivé à Lyon à l’âge de trois ans, Yakuba Ouattara s’est d’abord mis au foot, avant de tomber amoureux du basket à l’âge de 13 ans sur le playground de la place de l’Europe, situé dans le 6e arrondissement. « C’était son fief », avait expliqué son ami Fabio Andriano dans les colonnes de 20 Minutes. « J’avais l’impression qu’il dormait là-bas. Il y jouait même avec des gants quand il neigeait. Il démarrait de zéro et personne ne voulait jouer dans son équipe à l’époque. » Parallèlement, le futur international se lance dans un petit club, le Clar Lyon, en minimes départementaux. « Il shootait comme un joueur de foot ferait une touche et savait à peine dribbler », se rappelle son premier coach Victor Joatton. Mais ses qualités athlétiques hors du commun et son éthique de travail séduisent d’abord la CRO Lyon, où il goûte sporadiquement à la Nationale 3, et surtout plusieurs centres de formation (ASVEL, Roanne, Vichy, Bourg, Chalon), malgré son immense retard technique. C’est finalement l’Élan qui emporte la timbale. « La CTS de l’époque m’avait appelé pour me parler d’un garçon aux qualités athlétiques extraordinaires », retrace son formateur bourguignon, Romain Chenaud. « On ne l’a vu qu’une fois et il nous a tapé dans l’œil. Il nous a très vite conforté dans notre choix : il s’entraînait tellement bien, était tellement déterminé que cela collait parfaitement au type de garçon qu’on souhaitait avoir. Mais il lui a fallu du temps pour affiner son jeu. »
L’incarnation du 3&D
À tel point que ses deux qualités majeures d’aujourd’hui étaient presque ses deux points faibles de l’époque. « Il ne shootait vraiment pas très bien de loin. Et défensivement, il était moyen, non pas par manque d’investissement mais à cause d’une technique défensive approximative. Il avait du mal à dompter ses qualités athlétiques : il n’était pas très souple des hanches, ce qui le mettait parfois en difficulté sur les duels. » Une évolution stupéfiante lorsqu’on sait que Yakuba Ouattara doit désormais uniquement sa place à la Coupe du Monde à son profil très spécifique de 3&D (un spécialiste de la défense et du tir à trois points, ndlr). « On a vu cette année, de façon magnifique, que Yakuba cassait souvent la figure du meneur adverse pendant 6-7 minutes en début de match, il le fait en club et pourra très bien le faire en sélection », justifiait ainsi Vincent Collet le soir de l’annonce de la liste des 12.
Depuis le début de son mandat, le sélectionneur national a également régulièrement martelé qu’une liste n’était pas un assemblage des meilleurs joueurs mais un savant mélange de profils bien spécifiques. Or, Yakuba Ouattara a prouvé ces dernières années, avec l’AS Monaco, sa capacité à tenir un rôle très précis : imprimer le tempo défensif et shooter avec efficacité en bout de chaîne dans le corner. « Il n’a pas besoin d’avoir la balle entre les mains et il faut des joueurs de rôle dans une grosse équipe », rappelle Sasa Obradovic, son entraîneur en Principauté, qui devrait continuer à travailler avec lui à la rentrée, la prolongation de contrat de l’ailier ne tenant plus qu’à quelques détails. « Quand il était sur le terrain, nous étions souvent productifs. Avec son état d’esprit positif et sa capacité à accepter un rôle plus petit, il nous a énormément aidé. » Avec l’exemple, cité par le Serbe, de la série de playoffs contre le Maccabi Tel-Aviv : un premier match passé intégralement sur le banc, pour une défaite de la Roca Team, puis le costume du facteur X deux jours plus tard (12 points à 5/7 en 12 minutes). « Je suis un peu dans le même était d’esprit qu’à Monaco », clame le joueur. « Je sais que je vais être appelé sur de courtes séquences, je dois rester prêt pour apporter tout ce que je peux faire sur quelques instants. Je vais prendre ce qu’il y a à prendre. J’arrive avec les dents longues, prêt à tout donner. » Certes muet face au Monténégro, il avait brillé avec ce costume d’energizer lundi contre la Tunisie (12 points à 4/4 en 16 minutes). « Mister 99% », a d’ailleurs lâché Sylvain Francisco à ce sujet, à la fin de l’entraînement mardi soir à Pérols, en nous voyant discuter avec Ouattara.
De la positivité au bout du banc
Certainement cantonné à un rôle de 11e – 12e homme, alors qu’on peut certes s’interroger sur la superposition de son profil avec celui de Terry Tarpey, le capitaine de la Roca Team a aussi été appelé pour une autre raison importante : ses qualités humaines. « C’est l’un des mecs les plus adorables de l’équipe », ne cache pas Sasa Obradovic. « C’est une personnalité appréciable et très appréciée », renchérit Romain Chenaud. Peu importe son temps de jeu à Jakarta et Manille, il y a fort à parier que l’ancien denaisien restera positif, impliqué, au soutien de ses leaders. Pas anodin lorsqu’on se souvient que les Bleus avaient souffert de l’insatisfaction des joueurs du bout du banc l’année dernière en Allemagne. « Les 11e – 12e hommes sont tellement importants », pose l’entraîneur monégasque. « S’ils sont frustrés, malheureux, leur négativité peut se transférer aux joueurs majeurs. Il faut une mentalité de : ‘On va gagner ensemble’ et je sais que Yakuba l’aura. »
La mentalité, aussi, de quelqu’un qui a su dépasser ses limites, « défier la logique » (dixit Romain Chenaud) en se hissant sur le tard jusqu’à un Final Four d’EuroLeague et une Coupe du Monde. « C’est mérité », applaudit le formateur chalonnais. « Yakuba reste l’exemple que je prends toujours auprès de mes jeunes. Je veux qu’ils arrivent à comprendre le cheminement qu’il a dû entreprendre pour en arriver ici, le niveau de détermination que cela exige. C’est ce qu’il cherchait depuis ses 15 ans. » Presque un aboutissement, en somme ? « Clairement, oui, ça l’est », souffle l’homme aux 20 sélections. « Cela prouve que rien n’est impossible. J’ai travaillé dur et aujourd’hui, c’est un peu la récompense. » Même si cela implique de se priver de vacances…
À Montpellier,
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