Rueil, entre miracle sportif et danger de mort
« On pensait clairement être en vacances cette semaine », se marre Elian Benitez, le meneur du Rueil Athlétic Club. Pessimistes, les Rueillois ? Non, plutôt réalistes… La formule des playoffs de Nationale 1 est telle qu’elle ne laisse pas vraiment la place à l’erreur pour le moins bien classé, avec un match à domicile pour commencer et deux rencontres à l’extérieur ensuite. Or, le RAC, 18e du championnat au scratch (15v-21d), a été corrigé par Quimper, qui affiche le même bilan que le champion Hyères-Toulon (26v-10d), en ouverture des 1/8e de finale (74-87).
Ce soir-là, le 26 avril, après le buzzer final, la présidente Hélène Héloise s’est avancée dans le rond central. « Vous venez d’assister au dernier match de NM1 au Stadium », a-t-elle annoncé, devant une assemblée prise de court. Stupéfaction dans le public, quelques larmes coulent. « Il y avait beaucoup d’émotions, de tristesse, de frustration », se souvient le coach Nenad Papic. Et pourtant, le club des Hauts-de-Seine se produira de nouveau dans son antre ce vendredi soir, en quart de finale aller face à Mulhouse. « C’est souvent quand on est au pied de la falaise qu’il y a des choses sympas qui peuvent arriver », image le technicien.
« Ce club, c’est leur vie pour certains »
En l’occurrence, la falaise était infiniment haute, surplombant un vide immense : la disparition de l’un des clubs doyens de la Nationale 1, pensionnaire de troisième division depuis 2011. Mais il s’est passé quelque chose d’irrationnel à Quimper durant le week-end. Un supplément d’âme ? Certainement… « Ça nous transcende, ou du moins, nous donne envie de le faire », répond Steven Ricard, le plus ancien du groupe, déjà présent en 2011/12 puis depuis 2018. « Ça nous rajoute une motivation en plus sur le fait de rien lâcher », poursuit Élian Benitez, ému face aux pleurs de certains supporters lors de l’annonce. « Ce club, c’est leur vie pour certains. La moindre des choses, c’est de tout donner pour eux. »
Habitués aux déplacements express sur une seule journée, les Franciliens ont vécu un moment un peu hors du temps dans le Finistère. « On a passé du jeudi au dimanche tous ensemble, ça a peut-être joué », relève Jean-Frédéric Morency. « Les dirigeants sont venus avec nous le vendredi, il y a un petit truc qui s’est créé, des liens plus forts que pendant la saison. Et après, on a gardé notre identité de malades mentaux qui ne lâchent pas pendant les efforts ! » Soit tout l’inverse des Béliers, portés disparus de la manche retour, certainement persuadés qu’ils allaient plier l’affaire en deux matchs. Or, à la 16e minute, l’écart était déjà de +25 pour Rueil (21-46). Après la logique révolte quimpéroise, Élian Benitez pliera l’affaire (75-82).
La belle est autrement différente. Aux abords de la mi-temps, c’est le RAC qui est largué (42-22). Moment choisi par le coach Nenad Papic pour sortir l’un des coups tactiques gagnants de la saison : une improbable zone 1-3-1. « C’était assez lunaire », se marre Jean-Frédéric Morency. « On ne l’avait jamais travaillé de la saison, il l’a juste dessiné au temps-mort et on l’a exécuté. » Sorti de nulle part, ou presque… « Si ça partait en vrille, je l’avais un peu prévu en amont », raconte l’ancien entraîneur de Gennevilliers. « Lors du match retour, j’avais fait de la 3-2, de la 2-1-2, de la box and one, de la double boîte. Je me suis demandé ce que je pourrais faire pour les surprendre, quelque chose qu’ils n’ont jamais eu depuis le début de l’année, et j’ai sorti la 1-3-1. » Incapables d’en trouver la clef, les Bretons y abandonneront dessus leurs ambitions de Pro B (83-86).
Le couperet de la mairie : 275 400 euros en moins
Un immense exploit pour le plus petit budget du championnat, à hauteur de 540 000 euros, en baisse de 30% par rapport à l’an dernier. De quoi forcer le GM Julien Hervy à composer avec deux bouts de ficelle. Le coach est un pari à bas coût issu du championnat de Nationale 2, l’équipe une filiale d’anciens Espoirs. « On avait tous quelque chose à prouver », retrace Nenad Papic. « C’est un projet commun qui nous a fédérés. » Même si le club avertit très tôt les joueurs des ennuis financiers… « Ils nous en ont parlé dès le mois de novembre », se souvient Élian Benitez, le futur meneur de Nantes. « C’est d’ailleurs là où l’on a enchaîné nos cinq victoires d’affilée. »
Sur le parquet, au vu des finances exsangues, l’équipe est exemplaire mais en coulisses, les choses se tendent progressivement au fil des mois. En novembre, après avoir déjà enlevé 100 000 euros l’année d’avant, la mairie décide de couper les vivres au club, en supprimant la subvention qui représente 51% du budget : soit 275 400 euros. « Ce sont des choix qui sont difficiles, mais nécessaires », explique-t-elle à Actu Paris. « Chaque année, on doit faire trois millions d’euros d’économies. Et on ne peut pas réduire les places en crèche, le nombre de centres de loisirs ou la sécurité. » Des arguments qui passent un peu moins bien au sein du club quand ils sont mis en face du passage de la flamme olympique dans la ville, labellisée Terre de Jeux, pour un coût total de 180 000 euros. « Il y a beaucoup d’émotions et un peu d’incompréhension sur le contexte : les résultats sportifs sont là, l’engouement aussi, ça sort un peu de nulle part », regrette Jean-Frédéric Morency.
Encore de l’espoir ?
Une annoncée inopinée, qui a pris les dirigeants de court. « On aurait aimé que la mairie se désengage progressivement », regrette la présidente Hélène Héloïse. Un projet sur trois ans avait ainsi été mis en place, le club travaillait également sur des appels aux dons et la recherche de partenaires privés, forcément plus difficile en région parisienne qu’en province. La fermeté de la mairie anéantit pratiquement tous les espoirs, même si Hélène Héloïse confiait en milieu de semaine conserver une note de confiance. « Il faut bien être un peu optimiste non ? »
Son annonce a créé une vraie vague de soutien autour du club, à l’image de la pétition en ligne regroupant pratiquement 1 000 signatures désormais. Mais le RAC est désormais engagé dans une course contre-la-montre, avec l’obligation de trouver presque 300 000 euros en un mois. « On travaille toujours », souffle la présidente. « C’est comme les joueurs nous l’ont montré à Quimper : tant que le coup de sifflet final n’est pas donné… On a eu des retours, on voit qu’on existe, qu’on ne travaille pas pour rien. »
Dans ce contexte de lutte pour la survie, l’équipe a endossé un rôle d’ambassadrice. « On espère que nos résultats sportifs pourront agir comme un moteur », assène Nenad Papic. « Tant qu’on est encore dans la course, on espère que quelque chose va se passer. C’est une force supplémentaire pour les joueurs afin d’essayer de rendre la pareille au club qui leur a donné la chance de se faire voir. » Une motivation qui jouera encore à plein face à Mulhouse en quart de finale, lors d’une série plutôt ouverte. « C’est un club emblématique en Ile-de-France, qui sort toujours de jeunes joueurs », souligne le capitaine Steven Ricard. « Je suis particulièrement attaché au RAC, il n’y a que des belles personnes. C’est la première année où je sens autant d’émotion, autant d’engouement. La situation m’attriste mais il y a encore un peu d’espoir. Et nous, on se dit que gagner des matchs ne fera qu’aider le club… » Mais le club a un match encore plus important à disputer loin du terrain. Pour que l’exploit de Quimper ne reste pas éternellement la dernière victoire du Rueil Athlétic Club…
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