Le projet d’un championnat Espoirs à 36 clubs divise les formateurs
La JL Bourg et l’AS Monaco dimanche avant la finale du Trophée du Futur 2024
A en croire le support présenté par la Ligue Nationale de Basket (LNB), c’est une petite révolution que nos centres de formation s’apprêtent à vivre à la rentrée prochaine. La LNB n’y est pas allée par quatre chemins pour dépoussiérer un championnat Espoirs qui a traversé les époques et les salles vides sans vraiment se remettre en question, pour proposer une nouvelle formule ambitieuse.
L’objectif ? Créer un championnat indépendant de celui des professionnels, regroupant les centres de formation des clubs de Betclic ÉLITE et de Pro B au sein de poules régionales, disputé en trois temps. Ainsi succèderait à une première phase par groupe géographique (10 rencontres) s’étalant de mi-septembre à mi-novembre, une seconde phase de niveau (16 ou 22 matches, selon l’option retenue), suivi d’une phase finale qualifiant les 8 meilleures équipes au Trophée du Futur.
« Nous les coachs, on a été mis devant le fait accompli »
Jordan Bernard, coach des Espoirs du Mans
Un modèle qui permettrait aux clubs et selon la LNB, de réduire leurs déplacements et les dépenses associées, et qui mettrait sur un même pied d’égalité sportive l’ensemble des centres de formation, qu’ils appartiennent à un club de l’élite ou de l’antichambre. Une initiative intéressante qui ne manque pourtant pas de diviser les coachs et responsables de centres de formation interrogés sur le sujet.
Si Christophe Denis, responsable de la formation du Paris Basketball, reconnaissait « avoir discuté du sujet toute l’année » avec la Ligue, le son de cloche est tout autre du côté des techniciens interrogés. Ainsi Jordan Bernard, entraîneur des espoirs du Mans, était plus amer. « Nous les coachs, on a été mis devant le fait accompli […]. On commence simplement à être consultés, par l’intermédiaire de José Ruiz, du syndicat des coachs, qui nous a permis de faire entendre notre voix lors du dernier comité directeur de la Ligue. Donc ils (la LNB) ont ajourné le projet pour pouvoir nous écouter, mais jusqu’à présent on n’avait pas du tout été consultés. » Un constat repris par son homologue choletais Régis Boissié, en charge de l’Académie Gautier dans les Mauges. « On est tombés des nues […]. J’aurais aimé que les responsables de centres de formation et les gens qui sont au quotidien avec les gamins, qui connaissent les contraintes de ce poste et de ce rôle-là puissent donner leur avis quand on réfléchit à une réforme du championnat espoirs. Mais personne ne l’a été a priori. C’est en tout cas ce que me disent mes collègues. »
Une indépendance du championnat Espoirs qui divise
Mais au-delà du travail préparatoire, le projet, dans son contenu, ne semble pas faire l’unanimité. A commencer par la volonté avouée de la LNB de dissocier le championnat Espoirs du championnat professionnel. Ainsi pour Regis Boissié toujours, à la tête du fleuron de la formation française de ces 30 dernières années et où l’objectif est de faire jouer les meilleurs espoirs « sur les deux tableaux », la tâche serait « plus compliquée ». Le patron de l’Académie Gautier, rappelant au passage le timing du projet, prévu pour entrer en vigueur dès le mois de septembre prochain, déplorait ainsi : « Dans notre organisation quotidienne, tout est fait pour que les jeunes puissent avoir ce double projet : faire partie du groupe pro tout en évoluant dans le championnat Espoirs […]. Là, il n’y aurait plus de continuité entre le championnat Espoirs ELITE et la Betclic ELITE. Donc inévitablement, il y aurait une incidence sur le recrutement et les effectifs espoirs et pro. »
Une séparation entre les deux championnats, qui pour Jordan Bernard, raisonne comme un non-sens. « Notre équipe pro emmène systématiquement 2 espoirs en déplacement. Sachant qu’ils s’entraînent sur le lieu du match dès la veille. Si les deux jeunes en question ne jouent pas sur le même lieu ce week-end là, ils ne joueront pas en espoirs. Il ne faut pas croire que le coach pro va renoncer au fait d’être 12 et de pouvoir produire un dernier entraînement de qualité (avant le match) pour les beaux yeux des espoirs. » Un discours repris par son homologue choletais presque mot pour mot, soulignant que les pros ne feront pas « l’impasse sur les meilleurs espoirs », quitte à les « priver de championnat U21 ».
« Donner leur chance aux clubs de Pro B qui font du bon travail »
Pour Christophe Denis en revanche, l’idée d’un championnat indépendant paraît pertinente d’un point de vue éthique. L’ex-coach du Paris-Levallois, regrettant une programmation télévisuelle « ne laissant jamais l’opportunité de jouer en lever de rideau des pros et vous imposant de traverser la France pour aller jouer Monaco un samedi après-midi alors que les pros jouent le dimanche », s’empressait de souligner. « Il y a des structures en Pro B, comme Blois l’année prochaine, Châlons-Reims, Orléans ou Rouen, qui ont la volonté de faire du très très bon travail sur la formation des jeunes. Et ces structures je ne comprends pas pourquoi on ne leur donnerait pas la possibilité d’être sportivement sur un pied d’égalité avec les centres de formation de Betclic ÉLITE. » Un modèle jugé intéressant par l’Isérois de naissance, à une seule condition : jouer sur un autre calendrier que celui des professionnels. « En jouant le mercredi, on tord le coup à ce problème (l’indisponibilité pour certains espoirs de jouer en U21 car pris sur le match des pros) et on évite de faire jouer les gamins le samedi et le dimanche. Ils arrivent épuisés à l’école le lundi et ce n’est tout simplement pas souhaitable. Il faut arrêter avec ça. Il faut que les U21 jouent le mercredi et que les U18 jouent le week-end, pour qu’ils aient a minima un jour off. »
Mohammed Aoun (à l’image ci-dessus), futur entraîneur des Espoirs de l’ADA Blois et champion de France Espoirs Pro B en 2023 avec Champagne Basket (Châlons-Reims), voit, outre l’équité sportive, la possibilité d’une saine concurrence entre les centres de formation, basée sur la nature même du « projet » proposé par ces derniers. « Cette refonte va permettre aux jeunes de choisir un projet indépendamment du niveau auquel joue l’équipe professionnelle. Parce qu’un gamin qui ne viendrait pas chez nous juste pour jouer en Espoirs Elite, ça n’a pas de sens. L’enjeu pour eux c’est: quel est le meilleur projet pour moi pour progresser ? »
« On va favoriser la fuite des talents »
Et sur le plan de la performance des jeunes justement, les avis sont une nouvelle fois très partagés. Ainsi pour Jordan Bernard comme pour Régis Boissié, le passage de 16 à 36 clubs devrait globalement tirer le niveau du championnat vers le bas. « On n’a pas un réservoir suffisant de joueurs capables de devenir professionnels pour alimenter l’ensemble de nos centres de formation », déplorait le coach manceau avant d’ajouter. « Si on augmente le nombre d’équipes, on va diluer le talent et le niveau global va baisser. »
Une réflexion nourrie par la conviction que l’actuel championnat Espoirs Pro B serait moins relevé que celui de l’élite, comme le soulignait le coach de Cholet Basket. « Il y a une différence de niveau entre le championnat Espoirs Pro B et les Espoirs Elite. Il y a des équipes de Pro B qui auraient leur place à l’échelon supérieur. Mais il y a un gouffre avec les équipes de bas de tableau Pro B. Il faut en être conscient. » Un jugement repris avec force par Jordan Bernard, très inquiet quant à l’avenir de nos meilleurs prospects. « L’écart de niveau entre le championnat Espoirs Pro B et celui de Betclic ELITE est monstrueux. Pour preuve, le premier de Pro B, qualifié chaque année pour le Trophée du Futur, est systématiquement défait […]. Nos meilleurs joueurs vont avoir le choix entre aller faire le banc des pros avec peu de chances qu’ils jouent, où jouer dans un championnat Espoirs qu’ils dominent. On va donc, pour moi, favoriser la fuite des talents à l’étranger. »
« Tout le monde aura sa chance »
Pour Mohammed Aoun, oublié lui aussi par la LNB pour la préparation de ce projet d’envergure, la question du niveau n’est pas liée à la division mais à la « dynamique du club sur la formation ». Louant le travail réalisé dans nombre de clubs de Pro B, le jeune technicien est persuadé que le niveau général du championnat n’en sera pas altéré à moyen terme, arguant que les cartes seront rebattues. « Les effectifs étant déjà en place, on aura une baisse de niveau (du futur championnat unique par rapport au championnat Espoirs ELITE actuel) sur un ou deux ans maximum. Car les gamins n’auront plus besoin de traverser la France pour aller chercher un club de Betclic ELITE à tout prix. Ils iront vers la structure proche de chez eux proposant quelque chose de cohérent avec leur projet. Tout le monde aura sa chance. Et c’est là où la structuration, les moyens mis en place pour la formation, etc feront la différence. »
QUE LA WIN 🏆
La @JLBourgBasket remporte le #TrophéeDuFutur 2024 🌟 pic.twitter.com/F5dhcUa3Qv
— LNB (@LNBofficiel) May 26, 2024
Sur l’objectif de rationalisation des coûts du projet, illustré notamment par la mise en place d’une première phase géographique pour limiter les déplacements, les avis divergeaient là-aussi. Si pour Christophe Denis, « le coût est le nerf de la guerre » des centres de formation, le sujet ne constitue pas pour Régis Boissié un argument suffisant pour entamer une telle transformation. « Je ne pense pas qu’avec cette nouvelle formule tu fasses des économies importantes. Et je ne pense pas non plus que la volonté de réduire les coûts de fonctionnement des centres de formation constitue une raison valable pour tout changer. »
Un projet à l’issue incertaine
Au final, seule la perspective de jouer davantage de matches dans l’année pour les joueurs semblait mettre tout le monde d’accord. Et ce même si là encore, pour l’entraîneur choletais, l’objectif ne nécessitait pas forcément une telle transformation du championnat. « Pourquoi ne pas réintégrer les équipes U21 à la coupe de France ? C’est très intéressant d’affronter des clubs de N3 ou de N2. Pourquoi ne pas créer une coupe de France U21 ? Pourquoi ne pas ajouter un 1/8e de finale en aller-retour au Trophée du Futur ? »
De toute évidence, le projet de refonte du championnat Espoirs n’est pas encore adopté qu’il suscite déjà des avis très contrastés au sein de la profession. A tel point que l’issue du vote des présidents de clubs à venir courant juin apparaît très incertaine. Une chose est sûre, la formation française, illustrée par l’éclosion de pépites tels que Victor Wembanyama (2,23 m, 20 ans), Bilal Coulibaly (2,03 m, 19 ans), Zaccharie Risacher (2,05 m, 19 ans) ou Tidjane Salaun (2,05 m, 18 ans), toutes formées dans les centres de formation de LNB, n’a jamais semblée aussi performante. Souhaitons que le projet retenu, quelque soit sa forme et sa nature définitive, ne vienne pas enrayer notre machine à champions.
*Jérémy Meynard, chargé des opérations sportives de la LNB, n’a pas répondu à notre sollicitation
Commentaires