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Conversation avec Edwin Jackson : « Je continuerai à jouer à 50 ans si je peux »

Avant son retour à Nanterre, nous avons rencontré Edwin Jackson chez lui, à côté de Malaga. L'occasion de revenir sur sa carrière, ses choix, son retour, ses envies pour la suite...
Conversation avec Edwin Jackson : « Je continuerai à jouer à 50 ans si je peux »
Crédit photo : Nanterre 92

Avant son retour à Nanterre fin août, c’est à Alhaurin de la Torre en Andalousie que nous avons retrouvé Edwin Jackson (1,90 m, 32 ans) début juillet. L’international français vit là-bas à l’intersaison, non loin de Malaga où il a évolué plus tôt dans sa carrière. Le Lyonnais s’y sent chez lui. « Il y a beaucoup de choses que j’apprécie en Espagne. La qualité de vie d’abord. C’est un pays que j’ai adopté et qui m’a adopté. Je parle aussi la langue. J’appréciais la vie à Malaga et ce qui explique pourquoi je reste en Espagne. » De plus, ses proches se font désormais rares dans l’Hexagone. « Je n’ai pas d’attaches comme ma famille en France. Mes sœurs sont aux Etats-Unis, elles habitent toutes les deux en Floride. Mon père habite encore à Lyon et ma mère en Guadeloupe. Je veux habiter là où je me sens le mieux et c’est l’Espagne actuellement. J’adore toute la saison, tu es à fond à cette période et puis tu es tranquille à la maison l’été. » Mais s’il y a quelque chose qui ne change pas, c’est que c’est proche d’un terrain que nous avons pu discuter avec Edwin Jackson. Le membre de la célèbre génération 88/89, championne d’Europe U16 2004 – sans Edwin Jackson – et U18 2006, médaillée de bronze à la Coupe du Monde 2007, s’est fait très présent dans les travées du Pabellón El Limón puis du Palacio de Deportes José María Martín Carpena. De quoi se remémorer « de très bons souvenirs. (C’est) Le début de tout. Je disais à Florent Piétrus (père d’Illan, également présent dans les tribunes, NDLR), c’est les mêmes têtes. Maintenant, je comprends qui c’est. Il  ya des GM connus et des décideurs dans des clubs. Quand tu as 17 ans, tu ne comprends pas qu’il y a des enjeux à chaque match. Il y a une forme d’insouciance et c’est magnifique. A l’âge adulte, il y a une partie politique dans le sport. Tu dois respecter ton contrat, t’entendre avec le coach et gérer tout un tas de choses en dehors du basket. Le sport devient vraiment un business. » Un business qu’il n’est pas prêt de quitter. Car après trois saisons difficiles, marquées par un départ de l’ASVEL, deux fractures du poignet à l’Estudiantes, Edwin Jackson a faim. « Quand tu te blesses, tu te rends compte à quel point tu aimes jouer au basket en général. » Avant même de signer à Nanterre […], on sentait que le natif de Pau fourmillait à l’idée de revenir sur les parquets et de montrer à tout le monde, et d’abord à lui même, qu’il pouvait revenir au plus haut. Entretien.

Edwin, on se retrouve à Alhaurin de la Torre, chez toi, avant un match de l’équipe de France U17 masculine. Cette compétition te ramène 15 ans avant, avec la génération 88/89, quand le basketball n’était qu’une source de plaisir et pas de revenus.

Edwin Jackson
Edwin Jackson en équipe de France jeune (photo : Olivier Fusy)

Quand tu es jeune, tu as beaucoup plus d’insouciance et c’est magnifique. Tu es en vacances avec tes potes et on te demande de gagner des matchs de basket. Quand tu vois la génération (88/89), c’est pour moi la meilleure génération de l’histoire du basket au vu du nombre de joueurs qui sont sortis. Par rapport à la génération (82) de Tony (Parker) – Boris était dans un autre monde par rapport à tous les autres joueurs. À mon sens, Boris était le plus gros talent français. – tu regardes la génération 88-89 et le nombre de joueurs qui sont sortis. On est capable de s’amuser tout en travaillant dur mais c’est vrai que le côté insouciant, le fait qu’il n’y a pas de côté business, il est encore là.

Tu dois avoir un nombre incalculable de souvenirs en tête… mais si tu ne devais en garder qu’un de cette époque là ?

Il y a plein de choses qui m’ont marquées. Avec les équipes de France jeunes, on a eu du succès – vice champion d’Europe U16 en 2005, champion d’Europe U18 en 2006 et médaille de bronze aux championnats du monde U19 en 2007 – et j’ai vu à quel point c’était agréable de faire des résultats et de vivre dans un groupe. Mais si je dois me rappeler d’une scène qui m’a vraiment marqué, c’est lorsque nous étions l’équipe préférée des Serbes en Serbie (aux championnats du monde U19). Ils nous ont acclamés et fait leur salut à trois doigts. C’est un souvenir inoubliable. Je voulais jouer au basket pour vivre ce genre d’émotions. Grâce à l’équipe de France, j’ai pu nouer des amitiés. Je suis toujours en contact avec Benoît Mangin (Le Portel) qui effectue une grande carrière sur le circuit professionnel en France, bien qu’il ne fasse pas partie des sélections. Quand je l’ai affronté avec l’ASVEL, on a parlé pendant 20 minutes de nos années jeunes ensembles en équipe de France. Je suis toujours en contact avec Olivier Romain et Jessie Begarin, Abdoulaye M’Baye et Lamine Sambe (Champagne Basket). On se donne des nouvelles régulièrement et on est toujours content de se revoir.

« Je ne me suis jamais fourvoyé »

A l’heure où on fait des prédictions pour savoir jusqu’où les membres de la génération 2005 iront, penses-tu que des joueurs de la génération 88-89 auraient pu avoir une meilleure carrière ? Certains ont joué en NBA (Batum, Ajinça), d’autres en EuroLeague (Moerman, Diot, Jackson) et d’autres en championnat de France…

Il est difficile de se prononcer là-dessus. Abdoulaye M’Baye était excellent au niveau du scoring mais il a été gêné par les blessures. Nous avions le même profil. Si j’ai pu réussir dans le championnat de France et d’Espagne, je sais très bien qu’il aurait pu le faire. Nous (la génération 88-89) sommes une génération qui a répondu aux attentes par rapport au talent qu’il nous a été attribué. Antoine (Diot) a aussi eu des blessures mais il reste un très gros joueur d’EuroLeague. C’est dommage qu’il n’ait pas été épargné par des pépins physiques car connaissant Antoine, ce n’est pas à cause de son manque de travail. Il y a certaines choses comme les blessures que nous ne pouvons pas contrôler. Où serait Tracy McGrady s’il n’avait pas ses problèmes de dos ? Pendant mes treize premières années au niveau professionnel, j’étais épargné par les blessures et cela n’a rien à voir avec mon style de vie ou autre chose. Je me suis blessé deux fois et j’ai appris à shooter normalement au bout de deux ans. Je suis tombé puis un tendon s’est pété. Depuis, je ne me suis jamais blessé dans ma carrière.

Sur ces 13 saisons de carrière, as-tu toi même des regrets ?

Edwin Jackson
Edwin Jackson avec Nanterre en Pro B, en 2008-2009 (photo : Olivier Fusy)

Non. J’ai toujours été moi-même. C’est important de l’être. Par rapport à la personne que je suis, je pense avoir fait les bons choix. Je ne me suis jamais “fourvoyé“. Si j’ai quelque chose à dire, je prends la parole. Je ne referai rien de différemment car cela va me servir dans la vie de tous les jours et après le basket. Si j’avais mieux géré des moments de ma carrière, j’aurais pu m’inscrire dans le long terme sur le top joueur d’EuroLeague. C’est le sentiment que j’ai. J’ai peut-être effectivement fait des choix qui m’ont desservi.

Tu as donc écouté ton cœur pour le meilleur et le pire ?

Comme je l’ai dit, je ne me suis jamais fourvoyé. Je m’étais plaint de certaines choses que je ne trouvais anormales pour des gens qui s’appellent une famille au sein de l’équipe de France. La communication était mal gérée. Je n’appréciais pas d’apprendre ma non-sélection sur Internet. Au final, il y a eu un vrai pas en avant depuis. Si les joueurs ne poussent pas des coups de gueule, les choses ne changent pas. On me disait aussi de me taire parce que je trouvais aberrant qu’il y ait deux MVP (En 2013, Edwin Jackson a été élu MVP français et Dwight Buycks MVP étranger). On a donc essayé de nous dire que nous qu’en tant que basketteurs français, nous n’étions pas aussi bons que les Américains. Je me fiche d’être le meilleur basketteur français. Je veux être le meilleur joueur du championnat. Aujourd’hui, il n’y a qu’un MVP en France !

Paradoxalement, tu as fait ce genre de choses mais quand l’équipe de France
t’a rappelé, on a l’impression que tu t’es mué en soldat pour épouser le rôle que le staff t’avait attribué.

Oui. J’étais vexé mais ce n’est pas à cause de ma non sélection. Bien sûr que j’étais déçu de ne pas représenter la France alors que mes amis étaient sélectionnés. Que ce soit Paul (Lacombe), Charles (Kahudi), Axel Toupane, j’étais le premier devant ma télévision à les encourager et à être content pour eux lorsqu’ils réalisaient des bons matchs. Le problème se situe au niveau de la communication. J’ai eu la rage quand j’ai appris la liste des joueurs sélectionnés sur Twitter. Après, ma communication a été mauvaise…

C’est comme en 2019 quand tu reviens à l’ASVEL. Il y avait tout pour que ça marche : c’est ton club de cœur, t’es en pleine ascension après une énorme saison à l’Estudiantes (meilleur marqueur de Liga Endesa) puis la découverte de l’EuroLeague, tu as l’occasion grâce à un rôle important de t’installer à ce niveau, tu retrouves Antoine Diot, des proches sont aux commandes du club…

Edwin Jackson ASVEL
Efficace en Jeep ELITE, Edwin Jackson a peiné à être aussi adroit en EuroLeague en 2019-2020. Son utilisation par son coach Zvezdan Mitrovic ne lui convenait pas (photo : Infinity Nine Media Alexia Leduc)

Encore une fois, je ne peux pas me fourvoyer. On me dit d’être patient et que T.J. (Parker) va devenir le coach de l’équipe. Je ne veux pas rentrer dans la polémique mais je n’appréciais pas les agissements du coach (Zvezdan Mitrovic). J’ai tiré une sonnette d’alarme. Qu’est ce qui s’est passé dernière ? Il a attaqué le club en justice et ensuite, il est allé à Monaco. Avec d’autres joueurs confirmés d’EuroLeague, cela a été au clash. Je ne suis pas là pour inventer des choses. Je n’étais pas prêt à me fourvoyer, à rester et à travailler avec quelqu’un qui avait peu de respect pour ces joueurs.

Tu disais ne pas avoir de regret mais n’es-tu quand même pas déçu de ne pas avoir effectué une saison sur place.

Non. En revanche, j’ai placé Tony (Parker) dans une situation difficile alors qu’il a toujours été incroyable avec moi. C’est sûr que j’ai des regrets de l’avoir mis dans cette situation. On en a parlé et je me suis platement excusé. Ce n’était pas cool et je sais le reconnaître.

Aujourd’hui, c’est du passé entre vous et lui ?

Bien sûr, on sait faire la part des choses. Ça reste une situation professionnelle. Au pire, j’ai fait ça à Tony Parker, le président de l’ASVEL, pas Tony Parker, mon ami. Je suis toujours son ami et il me demande toujours si je vais bien, etc… Il est passé à autre chose depuis que l’ASVEL a gagné deux titres (trois sans l’arrêt du championnat en 2020) titres consécutifs de champion. En tant que président de l’ASVEL, il se moque si Edwin Jackson ne reste pas au club. Il vient de signer Nando De Colo, il reste sur trois titres de suite.

« Il faut être objectif et humble par rapport à qui on veut être, à qui on a été et qui on est à ce moment là »

Dans la foulée de cette histoire, tu quittes l’ASVEL et tu reviens à l’Estudiantes en début d’année 2020. Mais tu n’as pas de chance avec l’arrêt de la saison à cause de la COVID. Puis en 2020-2021, tu es victime d’une fracture du poignet. Tu as une rechute en cours de saison. L’équipe finit par être reléguée en deuxième division l’année dernière. Comment as-tu vécu tout ça et comment veux-tu rebondir derrière ?

Edwin Jackson Estudiantes
Edwin Jackson avec l’Estudiantes en 2020-2021 (photo : Movistar Estudiantes)

J’ai commencé à me sentir bien avec ma main cette année. Quand j’ai signé en début d’année, elle me faisait encore mal et je n’étais donc pas prêt à reprendre un autre challenge. L’Estudiantes me devait de l’argent de l’année précédente. J’étais bien payé pour jouer en deuxième division, sûrement plus que si j’avais accepté de jouer en première division quelque part. Surtout que l’Estudiantes comprenait le contexte, mon histoire, alors qu’un nouveau club n’aurait peut-être pas été conciliant sur mon rendement. En signant avec un club qui participait à une Coupe d’Europe, je serais rentré à la maison au bout de deux mois. Il faut être objectif et humble par rapport à qui on veut être, à qui on a été et qui on est à ce moment là. Après deux années difficiles, j’ai envie de retrouver du haut-niveau. Je suis sûr que la page de l’Estudiantes est tournée. Je dois désormais prouver qu’à 32 ans, bientôt 33, je suis encore capable de bien de choses.

C’est ça qui t’anime aujourd’hui ? Tu veux montrer que, malgré les difficultés, tu es resté le même joueur. Ou tu veux de te tourner vers un nouveau projet, à plus haut-niveau ?

On me donnera ce qu’on me donnera mais je serai toujours en train de jouer pour dominer. Il n’y aura aucun moment dans ma carrière où je serai content de rester dans le corner et faire des dribbles, sauf si je joue pour un top club. Dans mon état d’esprit actuel, je voudrais continuer à être compétitif. Je ne vais jamais me satisfaire du minimum. Même si à 40 ans j’ai encore les jambes pour jouer, j’irai challenger les petits jeunes de 18 ans à l’entrainement. Si je suis assez bon pour faire de la Pro B, ou de la NM1, je le ferai, mais le mieux possible.

La même version de toi même dans un collectif, c’est d’avoir des responsabilités ? En début de carrière, tu nous avais dit que tu étais un « volume shooteur ».

En jeunes, j’avais un rôle de dynamiteur en sortie de banc. Après, quand je suis resté longtemps à l’ASVEL, je me suis ancré dans un rôle différent (de leader offensif) et même quand je suis arrivé à Malaga (2015-2016) jusqu’à ce que j’arrête de jouer, j’avais ce rôle, à l’Estudiantes et en Chine, j’avais ce rôle. Il est difficile de se réinventer. D’ailleurs, j’ai fait ce compliment à Fabien (Causeur) il y a deux jours au téléphone. Il est toujours performant malgré un temps de jeu irrégulier. Des fois il joue 25 minutes, des fois 4, et on dirait qu’il est toujours bon. C’est une qualité énorme à haut-niveau. C’est une qualité nécessaire pour se rapprocher des grandes équipes. C’est vrai que c’est quelque chose que je n’ai pas toujours eu. Je pensais l’avoir avec l’équipe de France pendant les championnats d’Europe en 2017. Je ne sais pas si c’est à cause de notre résultat (éliminé en huitièmes de finale contre l’Allemagne) mais je suis déçu de ne pas avoir été rappelé par le staff après cette compétition. Je sortais d’une saison à 10 points de moyenne – bien sûr en ayant perdu beaucoup de matches – avec Buducnost en EuroLeague. Cette décision de ne pas avoir été rappelé – au moins pour la prépa – est difficilement compréhensible.

« En 2019, j’ai été surpris de ne pas avoir été dans le groupe élargi »

En 2017-2018, après le championnat d’Europe, tu as participé aux qualifications pour la
Coupe du Monde 2019 en Chine.

A l’Euro 2017, Edwin Jackson s’est mué en energizer/défenseur en sortie de banc, au point d’être complimenté par Vincent Collet (photo : FIBA)

Quand je suis revenu en Équipe de France, l’équipe avait fait trois matchs intéressants et j’avais même été élu MVP contre la Bosnie-Herzégovine. Quand j’ai été rappelé en équipe de France, j’ai fourni ce qu’on m’a demandé de fournir, dans des cadres différents. J’étais frustré de ne pas avoir été rappelé pour la liste des joueurs présélectionnés pour participer à la Coupe du monde en 2019. Quand on t’a fait des éloges sur mon investissement défensif, en que tu as l’impression d’avoir trouvé un rôle, c’est vrai que ne pas avoir été rappelé c’est un point d’interrogation. (A Buducnost en 2018-2019) J’ai accompli des matchs références – comme contre Baskonia – en club même si ça a été irrégulier car on avait une équipe dysfonctionnelle et qu’on a changé de coach. J’ai été surpris de ne pas avoir été dans le groupe élargi.

Tu penses toujours à l’équipe de France dans un coin de ta tête ?

Quand tu te blesses, tu te rends compte à quel point tu aimes jouer au basket en général. Moi vraiment j’aime jouer, j’aime m’entraîner, je pourrais aller shooter sur un playground… Plus je pourrais jouer au basket… Je répondrai présent si l’équipe de France m’appelle si je suis apte à jouer.

Cette étincelle en toi concernant l’équipe de France, elle n’a jamais faibli ?

Non ! Je sais qu’il y a eu des incompréhensions entre moi et le staff, des choses pas toujours bien gérées… Mais j’ai beaucoup de respect et d’amour pour les personnes qui construisent l’équipe de France. Il n’y a aucun mauvais sang. Je pense qu’on est une famille. Mon investissement pour gagner des matchs a toujours été sincère. Porter ce maillot, c’est pouvoir jouer au plus haut-niveau tout en passant des moments de ouf avec ses meilleurs amis que l’on ne voit pas forcément pendant l’année. Si un jour, on m’appelle, je serai hyper content de jouer en équipe de France. Même pour des fenêtres internationales, même si je ne dois pas participer au tournoi final, même s’il y a une nouvelle génération qui monte…

[Entretien réalisé début juillet] Tu es en fin de contrat avec l’Estudiantes Madrid et tu cherches la meilleure situation possible. C’est quoi dont tu as vraiment envie ?

Je fais les choses méthodiquement. Je ne peux pas sauter les étapes. Si je veux revenir au haut niveau, je dois prouver que je peux encore jouer et dominer à ce niveau. Je cherche une situation où une équipe aura besoin de mes talents de scoreur, peut-être dans un plus petit marché, où je vais pouvoir prouver que je suis toujours un joueur qui offensivement a un niveau au-dessus des autres.

Tu n’as donc pas envie de rester en Liga Endesa, un championnat référencé ?

Je n’ai aucun problème à partir. J’ai prouvé dans ma carrière que je pouvais m’adapter. Je suis allé dans le championnat rugueux en Ligue adriatique. J’ai joué en Espagne, dans un basket plus léché où il faut avoir un QI basket avancé. Je suis allé en Chine où c’était le chaos total puis dans le championnat de France où tu peux rencontrer un peu des deux, un peu de chaos et du très haut-niveau, voire de l’entre-deux. Je peux aller n’importe où. Je n’ai plus le luxe de choisir. Je pense qu’il faut être lucide par rapport à sa situation, sinon c’est dur d’être content par rapport à ce qui t’arrives. Je suis dans l’optique de vouloir donner le meilleur de moi-même à ma future équipe, mais ne pas être blessé. Je me remets d’abord de ma blessure aux ischio-jambiers pour être à 100% physiquement. Je n’ai pas envie de me retrouver dans une situation similaire à l’ASVEL. Quand je vois ce que certains JFL (joueurs formés localement) fournissent et qu’on était sur mon dos alors que j’avais une entorse du genou…  On a commencé la saison (2019-2020) par 13 ou 14 victoires jusqu’à notre défaite au Mans et je tournais à 12-13 points de moyenne. Des fois ça me fait doucement rire. Forcément quand tu as la gueule ouverte, t’as moins le droit à l’erreur que les autres. C’est quelque chose dont je suis conscient. Mais quand même, la façon dont on parlait de moi, « ouais, il est surpayé » etc… Quand je vois les salaires (de certains) et les productions, ça me fait doucement rire.

« À 32, 33 ans maintenant, sur le circuit on n’est plus vieux« 

Est-ce que dans ta carrière tu t’es souvent concentré sur ces retours et le sentiment de la part du public ou au contraire tu as réussi à faire fi de ça ?

J’aurais arrêté de haranguer le public si je faisais une fixette sur ça. Mes choix ont toujours été assumés. Par exemple cette année, oui je suis allé en deuxième division, je ne pense pas que j’étais prêt. J’avais ni le niveau physique ni le rythme pour être en première division quelque part. Je n’ai pas de mal à accepter qui je suis. Je pense quand même qu’il y a un narratif inexact bien des fois.

Renaître et montrer à tout le monde que tu es de retour, ça peut aussi entraîner un retour positif rapide de la part du public.

En vrai je veux me le prouver à moi. Les gens… Je m’en fous. A part si je décide d’aller sur Twitter, l’avis des Français je ne l’entends pas. Ici personne ne me connaît. Si demain je ne réussis pas mon retour à la compétition, je ne vais pas rencontrer des choses qui me vont me rappeler que j’ai échoué. Moi j’ai envie de revenir au plus haut-niveau, moi J’ai envie d’être performant. Ce n’est pas quelque chose de négatif qui va me driver. « Ouais je vais vous prouver que vous avez tord » ! Non, je vais vous prouver que j’ai raison. Je me concentre sur moi et non pas l’avis des gens.

Donc en résumé, ta passion du jeu est toujours existante…

(Il coupe) Elle a été décuplée !

Tu te vois jouer encore longtemps donc ?

Tant que je peux. Je continuerai à jouer à 50 ans si je peux. Il y a des moments dans ta carrière où tu as beaucoup de succès. D’autres, c’est plus difficile pour des situations x ou y : des blessures, un changement de coach, ça ne se passe pas bien pour toi ou tes coéquipiers, des histoires personnelles dans ta vie… J’ai passé une année très difficile sur le plan personnel. Ce qui peut arriver dans la vie de tous les jours. Je prends l’exemple de Boris (Diaw) a été champion NBA avec les Spurs, limite MVP des finales, alors qu’il sortait d’une saison compliquée avec Charlotte. Il suffit d’un changement dans ta carrière pour que la perception de toi change auprès du public. Si je reviens dans le championnat de France et que j’inscris 20 points par match sur les 10 premiers matches, tout le monde dira que je peux encore jouer au bout d’un mois. Même chose pour Nicolas (Batum) qui a joué pour les Hornets. Je l’ai vu jouer (aux Los Angeles Clippers) et j’ai vu le Nicolas que je connais : un joueur complet qui met dedans et qui va prendre les missions défensives. Je sais qu’à Charlotte, il devait être moribond, t’es perdu dans un marasme, on ne te fait plus jouer, tu sors de la rotation… Et aux JO l’année dernière, il a été excellent. Ça m’a fait trop plaisir. A 32, 33 ans maintenant, sur le circuit on n’est plus vieux. On commence à l’être à 36-37 ans. Tous les mecs qui sont les plus forts, ils sont dans ces eaux-là (32-33 ans). A l’ASVEL avec T.J. (Parker), Nando (De Colo) va reprouver qu’il est toujours l’un des meilleurs joueurs en Europe à sa position (arrière/meneur). Il a connu une saison compliquée avec Fenerbahçe à cause des pépins physiques et la succession de plusieurs coachs à la tête de l’équipe en peu de temps. Construire un projet autour de lui, ça va être le bordel…

Au fond de toi, si tu avais connu un tel contexte favorable dans ta carrière, tu penses que tu aurais pu être ce fameux top joueur d’EuroLeague.

Ouais.

Mais ça ne te laisse pas de regrets ?

Edwin Jackson Malaga
Edwin Jackson a joué à Malaga en 2015-2016

Ce sont des choix. Il y avait des clubs d’Euroleague qui voulaient me signer sur deux années après ma grosse saison à l’Estudiantes (21,4 points de moyenne en 2016-2017). Peut-être que j’aurais pu être performant. Mais j’ai préféré assurer mon avenir en signant en Chine. Il y a peu de fois où on m’a donné l’opportunité de performer et où je n’ai pas performé. Quand j’étais à l’ASVEL et au début à Malaga – on avait gagné six matches sur six, j’avais marqué 24 points lors d’une victoire chez le CSKA Moscou. Quand j’ai joué pour l’Estudiantes, j’étais le meilleur scoreur, dans le top 10 à la passe et mon équipe était à une victoire de faire les playoffs. J’ai mis régulièrement des 25-30 points contre des équipes d’Eurocup et d’Euroleague. Je sais très bien que j’aurais pu être performant en EuroLeague. Je ne parle pas de jouer pour le Fenerbahçe, au CSKA Moscou ou au Real Madrid. Mais être un joueur régulier dans une équipe d’Euroleague oui. Et être dans les 10 premiers noms qui sortent quand tu cherches un scoreur en Europe, oui.

« Je veux que quand je passe dans la rue, les gens me disent que j’ai transmis une émotion« 

Il y a un aspect dans ta carrière, c’est que tu as gagné des médailles en équipe de France jeunes, une en A (le bronze à la Coupe du Monde 2014), mais tu as peu de trophée en club : une Coupe de France avec l’ASVEL en 2008 et une Copa del Rey avec le FC Barcelone. Qu’est ce que tu voudrais faire pour garnir ton palmarès, tout en gardant l’impact d’Edwin Jackson, c’est à dire aider ton équipe dans le rôle du scoreur ?

Je joue tous les matchs pour gagner. Je suis un gros bosseur, je ne pourrais pas beaucoup bosser et jouer 5 minutes le week-end. Je préfère être dans une équipe du milieu de tableau et faire une saison au-delà de nos espérances plutôt que de jouer 6 minutes par match et remporter des titres. Si c’est le choix de carrière d’un joueur, pas de problème. Moi ce n’est pas mon choix de carrière. Si c’est ça que t’as kiffé, OK. Mais moi je veux laisser une marque, je veux que quand je passe dans la rue, les gens me disent que j’ai transmis une émotion. A part les vrais passionnés de basket, dans 25 ans on te dira : qui a gagné le titre en 2012 ? Si tu ne prends pas ton téléphone, tu ne sauras pas. Quand tu gagnes un titre, on ne se rappelle des joueurs qui étaient sur le terrain. Les mecs des Chicago Bulls qui jouaient moins de 10 minutes par match, personne ne pouvait les citer. C’est un choix personnel. Après mon année avec (Svetislav) Pesic, Barcelone m’a proposé de prolonger une deuxième saison (en 2018) mais c’était pour deux fois moins qu’à Buducnost et j’allais prendre le rôle de Jaka Blazic. Ca ne m’intéresse pas. Je vais être avec Pesic, qui va me mettre des cartons tous les jours – je vais accepter hein -, on va s’entraîner hyper dur tous les jours, je vais venir à la salle en plus… Dans les grandes équipes, on ne peut toujours pas prouver notre valeur sur un terrain. Je le remarque avec Fabien (Causeur), il a un temps de jeu limité. Tu ne vas jouer plus que le mec qui est payé trois plus que toi. Si un mec gagne quatre fois plus que toi, il va jouer plus que toi.

Tu penses qu’on exagère avec les legacy ? En NBA, on compte les bagues de chaque joueur alors que certains n’en ont pas et ont une immense carrière.

Edwin Jackson Nanterre
Après y avoir véritablement lancé sa carrière en 2008-2009, Edwin Jackson espère se relancer à Nanterre (photo : Nanterre 92)

Ça dépend à qui tu donnes du poids. Si tu es d’accord avec tes choix, tu t’en fous que les gens disent que tu as une bague ou non. De toute façon, on fait quelque chose de subjectif. Avant on disait qu’Elgin Baylor était le meilleur joueur de l’histoire, après Wilt Chamberlain, Magic, après Michael Jordan, après on disait que Shaq était plus dominant, après Kobe… On dira toujours qu’un mec est meilleur. C’est sub-jec-tif. Le plus important c’est d’être content de toi, ta carrière. Si c’est plus important pour un joueur de gagner des titres, de rester 10 ans en NBA ou de gagner beaucoup d’argent sans jouer, c’est tes choix personnels. Kevin Durant en est un parfait exemple avec sa signature aux Golden State Warriors. S’il souhaite gagner un titre NBA, pourquoi irait-il se compliquer la tâche parce que le public veut un challenge plus difficile ? Ça n’a aucun sens. Il ne faut pas se laisser influencer par le public,tu ne fais jamais tes propres choix. Regarde, Jordan a six titres, moins que Robert Horry. Socialement, LeBron fait beaucoup plus que Michael Jordan. On peut regarder les choses de façon bien différentes.

En résumé, aujourd’hui tu fais tout pour revenir, pour être content de toi même.

Imagine si je retourne dans le championnat de France pour rejoindre un promu, et que t’arrives à arracher une finale de Coupe de France, tu vas à la Leaders Cup et que tu accèdes au premier tour des playoffs… Eh bien tu auras fait une meilleure saison que l’ASVEL si elle s’incline en finale l’année prochaine. J’aurai le sentiment d’avoir rendu le public plus heureux que chez un favori qui au final échoue dans son objectif. C’est pour ça que je dis que le basket est un art, parce que c’est subjectif. Moi je cherche un endroit où je peux être moi même.

Propos recueillis à Alhaurin de la Torre,

Avec Alexis Decorme,

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