Ali Traoré, le magicien controversé : au panthéon des meilleurs attaquants
Pour la seconde fois d’affilée, le Benetton Trévise vient de battre Krasnodar, malgré tous les efforts d’Ali Traoré (26 points à 11/16 et 9 rebonds, une semaine après avoir compilé 22 points à 10/15 et 8 rebonds). De quoi impressionner le légendaire Sasha Djordjevic, alors à la tête du club vénétien. « J’ai vu un grand Traoré, l’un des meilleurs intérieurs au monde », souffle-t-il alors, le 7 février 2012. Exagéré ? Pas tant. Au sommet de son art, Ali Traoré était au moins l’un des pivots les plus inarrêtables d’Europe. C’était « Mandrake le Magicien » : donnez-lui le ballon et il le fera disparaître jusqu’à ce qu’il transperce le filet. Ali Traoré, c’était une arme de destruction massive dans le jeu en mouvement : un toucher exceptionnel, des doigts de fée et des mains − au pluriel, oui ! − en or. Un poste 5 ambidextre, une rareté, certes permissif défensivement mais capable de trouver le chemin du cercle dans n’importe quelles circonstances. Un exemple ? L’infâme première mi-temps de France – Lettonie lors de l’EuroBasket 2009. À la mi-temps, les Bleus sont scotchés à 16 points. L’enfant d’Aulnay-sous-Bois en avait compilé 11 à lui tout seul…
L’impact de Vincent Collet
2009, ou le début de l’âge d’or pour Ali Traoré. Après avoir été formé entre Poissy, l’ASVEL − où il glanera un premier titre de champion de France en 2002 à l’issue d’une saison où il fut parrainé par Nikola Vujcic − et un Junior College de Twin Falls (Idaho), le natif d’Abidjan démarre sa carrière professionnelle en 2004. Une première saison « d’affamé » à Quimper (Pro B) derrière J.K. Edwards, puis des points à la pelle avec la Chorale de Roanne (8,6 en 15 minutes de moyenne) pour se faire un nom à l’étage supérieur. Promesses ensuite confirmées pendant deux ans avec Le Havre, avant de revenir dans la maison-mère, l’Astroballe. Ou la signature qui change tout…
Un hook main gauche, le mouvement signature, et ce même en mars 2008 !
(photo : Olivier Fusy)
En 2008, Ali Traoré est déjà All-Star. Il est aussi déjà l’un des pivots les plus efficaces de Pro A (11 points à 57% et 5,1 rebonds en 20 minutes avec le STB). Mais il n’est pas encore un joueur de haut-niveau. Mais ça, c’était avant de croiser la route de Vincent Collet dans le Rhône… « C’est lui qui m’a appris le basket », se plaira-t-il ensuite à répéter pendant tout le reste de la carrière. Pendant longtemps, il peine à assimiler ce que le maître tacticien s’évertue à lui rabâcher mais l’obstination du sélectionneur porte ses fruits : avec lui, le Francilien développe son sens tactique, exploite son potentiel et décroche tout en même temps : le titre de champion de France (en 2009) dans un rôle majeur, sa première sélection avec les Bleus (le 26 juillet 2009 contre la République tchèque à Strasbourg), une pointe à 29 points en EuroLeague (contre le Fenerbahçe), le titre de MVP tricolore de Pro A (en 2010) et une signature à l’étranger (avec la Virtus Rome).
Les montagnes russes
Bomayé a pris son envol. L’enseignement de Vincent Collet porte ses fruits : malgré quelques cartons en Italie (43 d’évaluation contre Sassari), cela permettra surtout à Traoré de s’épanouir à Krasnodar, tant la saison dans la ville éternelle fut folklorique. Mais sous les couleurs du Lokomotiv Kuban, il atteint son zénith. Coaché par Bozidar Maljkovic, il atteint cette fameuse caste des « meilleurs intérieurs du monde », empilant les cartons en EuroCup (15,3 points à 60% et 7,1 rebonds). Entre-temps, avec Vincent Collet toujours, il devient un habitué de la sélection : l’EuroBasket 2009, le Mondial 2010, une médaille d’argent lors du championnat d’Europe 2011 puis les Jeux Olympiques 2012. À la fois l’aboutissement d’un rêve et le début du cauchemar.
Entre 2008 et 2010, Ali Traoré a fait le bonheur de son club formateur
(photo : Olivier Fusy)
Pour être à Londres, pour accomplir le but d’une carrière, Ali Traoré tire sur son genou droit endolori. Trop, malheureusement. Il lui faudra plusieurs années pour s’en remettre. Son ascension fut fulgurante, sa dégringolade aussi. « Une carrière un peu chaotique avec des hauts très haut et des bas très bas », synthétise-t-il. Krasnodar le remercie après deux petits matchs post-JO, son passage à Berlin est gâché par ses pépins physiques, il cire le banc à Nanterre et se retrouve exilé au Liban, Strasbourg le remet ensuite en selle mais il se perd dans le « nid de crabes » de Limoges, il est inoffensif à l’Estudiantes Madrid, etc… Le spleen est total. Plusieurs mois plus tard, l’international (56 sélections) parviendra à verbaliser ce qu’il ressentit à ce moment-là : une dépression.
Maître conteur
Nous sommes en 2017 et Ali Traoré est alors au fond du trou. Et s’il songe à arrêter le basket, la balle orange continuera toutefois à rebondir autour de lui pendant quatre années supplémentaires. Une pige à Antibes lui remettra le pied à l’étrier, avant qu’il ne renaisse vraiment sous le soleil monégasque. Un retour à la SIG lui offrira le huitième et dernier trophée de sa carrière (Leaders Cup 2019), ainsi qu’une nouvelle distinction individuelle (élu meilleur sixième homme de Jeep ÉLITE), mais renforcera également une image devenue plus sulfureuse au fil des années. Comptant pourtant parmi les personnalités les plus intéressantes du basket français, affable, drôle, curieux, maître-conteur (au point de devenir l’une des premières références du Twitter sportif, après avoir tenu un blog passionnant sur BasketSession), il peut aussi se révéler boudeur ou vindicatif. Surtout, doté d’un caractère particulièrement émotif, il peine à se taire sur ce qu’il voit. Cela lui jouera régulièrement des tours, tant au CSP, à la SIG (qui mettra prématurément un terme à son contrat en 2020) qu’ailleurs. Trop entier pour un milieu assez lisse, sa réputation en pâtira, lui qui fut l’une des personnalités les plus appréciées du milieu il y a une dizaine d’années.
Qu’importe au fond, il restera les images de ces milliers de hooks main gauche, d’une carrière haut de gamme et d’un homme parmi les plus agréables à côtoyer dans ce petit monde, particulièrement pour nous autres, médias. Pas étonnant donc qu’il ait entamé sa reconversion, fort de son verbe si haut, au micro des matchs d’EuroLeague de l’AS Monaco. Où ses premiers pas en tant que consultant sont déjà plutôt prometteurs. Près du Rocher, Ali Traoré a surtout trouvé une maison. Sa dernière saison en Pro B avec les Sharks fut largement oubliable mais il s’est installé à Antibes avec sa famille : sa femme, Delphine − à créditer d’une prise de parole très courageuse récemment pour sensibiliser le grand public au sujet de l’endométriose − et sa fille, Imany. Qui ne semble pas partie pour devenir basketteuse puisqu’elle a choisi la natation comme sport. Mais pas de panique : si elle choisit de revenir vers la balle orange et si les gênes ont suivi, trouver le chemin du cercle main gauche ou main droit ne devrait pas lui poser de problème…
En costard au bord du terrain, Ali Traoré devrait continuer à fréquenter les salles de basket
(photo : Sébastien Grasset)
Son parcours :
- 2001/03 : ASVEL (centre de formation)
- 2003/04 : Southern Idaho (Junior College, USA)
- 2004/05 : UJAP Quimper (Pro B)
- 2005/06 : Chorale de Roanne
- 2006/08 : STB Le Havre
- 2008/10 : ASVEL
- 2010/11 : Virtus Rome (Italie)
- 2011/12 : Lokomotiv Kuban Krasnodar (Russie)
- 2013 : ALBA Berlin (Allemagne)
- 2013 : JSF Nanterre
- 2014 : Amchit Club (Liban)
- 2014/15 : SIG Strasbourg
- 2015/16 : Limoges CSP
- 2016/17 : Estudiantes Madrid (Espagne)
- 2017 : Byblos (Liban)
- 2017 : Antibes
- 2018 : AS Monaco
- 2018/20 : SIG Strasbourg
- 2020/21 : Antibes (Pro B)
Son palmarès :
- Double champion de France (2002 et 2009)
- Vainqueur de la Semaine des As 2010
- Vice-champion d’Europe 2011
- Vainqueur de la Coupe d’Allemagne 2013
- Vainqueur de la Coupe de France 2015
- Triple vainqueur de la Leaders Cup (2015, 2018 et 2019)
- MVP Français de Pro A en 2010
- Quintuple All-Star de Pro A (2006, 2009, 2014, 2015 et 2018)
- Meilleur sixième homme de Betclic ÉLITE en 2019
- International français (56 sélections)
La finale de l’EuroBasket 2011, sommet sportif d’un riche parcours
(photo : FFBB)
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