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Youssou Ndoye, un MVP peut en cacher un autre

Les mamans ont toujours raison. Sûrement que Youssou Ndoye le sait mieux que quiconque dorénavant. Toute sa jeunesse, sa mère – Penda, ancienne internationale sénégalaise et championne d’Afrique à de multiples reprises – l’a imploré de se mettre au basket. « Mais j’aimais trop le foot », sourit l’actuel pivot de la JL Bourg qui, lors de ses jeunes années à Dakar, avait pris l’habitude de faire croire à ses parents qu’il allait à l’entraînement de basket avant, en réalité, de filer sur les terrains de terre rouge pour jouer au foot avec ses amis et de se doucher chez l’un d’entre eux afin de ne pas éveiller les soupçons. Ce n’est qu’à 17 ans que le virus de la balle orange ne lui a été inoculé lorsque, inscrit à la Seeds Academy pour s’éloigner de son quartier d’enfance, il n’avait plus d’autre choix que de s’y mettre sérieusement afin de rattraper le retard accumulé sur les autres.


2009 : première année de basket, les conseils de Dirk Nowitzki lors d’un camp en Afrique du Sud
(photo : Basketball Without Borders)

Une décennie plus tard, le chantier semble plutôt réussi. Avec à peine dix ans de basket derrière lui, Youssoupha Ndoye (2,13 m, 27 ans) est devenu un candidat crédible au trophée de MVP de Jeep ÉLITE (même si Mickey McConnell…), meilleur joueur du championnat à l’évaluation, également n°1 aux rebonds et aux contres. « Il fait partie du Top 3 en France », observe son coéquipier Zack Wright. « C’est un excellent joueur. Il a tout en magasin : il peut jouer en post-up, shooter à mi-distance… Il fait un boulot exceptionnel pour nous, on a du mal sans lui. »  Une évolution remarquable, mais de quoi lui laisser quelques regrets quant à ce qu’aurait pu être sa carrière s’il avait commencé avant ? « Non car je n’aurais peut-être pas eu le même amour de la compétition pour devenir le meilleur », balaye-t-il. « En l’occurrence, c’est cette mentalité qui m’a amené ici. À la Seeds Academy, quand j’ai vu que tout le monde jouait bien, j’ai voulu coûte que coûte les dépasser. Et c’est là où j’ai commencé à m’entraîner tout le temps : j’allais courir le matin avant d’aller en cours, je faisais une demi-heure d’entraînement en solo au moment du déjeuner et on avait les vraies séances le soir. »

À la piscine avec Tim Duncan

Pour en arriver là, Youssou Ndoye a dû passer par des milliers d’heures d’entraînement et de vrais sacrifices comme le déracinement, de Dakar vers le Maine, après quelques mois de basket, à peine. Mais il a aussi pu bénéficier du soutien marquant de quelques professeurs particuliers. À l’instar d’un certain… Tim Duncan, lors de ses quelques mois passés avec les San Antonio Spurs en 2015. À l’aube de la dernière saison de son immense carrière, le double MVP de la NBA avait pris le jeune Sénégalais, tout juste dîplômé de St. Bonaventure University, sous son aile : « Avec Tim, on s’entrainait souvent ensemble avant les séances collectives », se souvient Ndoye. « On venait tôt et il me montrait tous ses petits trucs. Une fois, on est même allé à la piscine ensemble pour faire des courses. Il était très gentil avec moi. » Les quelques semaines passées aux côtés de Gregg Popovich, Ettore Messina, Tony Parker, Manu Ginobili, Kawhi Leonard, Tim Duncan et compagnie seront bénéfiques au rookie mais il ne parvient pas à décrocher la dernière place du roster, finalement arrachée par l’expérimenté Rasual Butler. Resté dans le giron des Spurs, le Bressan va mettre les conseils du meilleur ailier-fort de l’histoire en application en D-League puisqu’il partagera la raquette avec le géant Edy Tavares (2,21 m), l’actuel pivot du Real Madrid, se retrouvant de fait obligé d’évoluer sur le poste 4. « Ce n’était pas un problème pour moi car je suis assez mobile pour courir et défendre sur les 4 », sourit-il à l’évocation de son association avec le champion d’Europe. « Ça me donnait même un peu l’avantage en attaque car j’étais beaucoup plus grand et costaud que mes défenseurs. »

Pourtant, en 2016, c’est bien un pivot que la JL Bourg recherche quand elle contacte Youssou Ndoye, désireux de quitter Austin pour l’Europe. Conseillé par l’ancien Burgien Stéphane Dumas – à l’époque adjoint de Porfirio Fisac auprès de la sélection sénégalaise -, poussé par sa mère qui souhaitait absolument le voir débarquer dans l’Ain, désireux de se rapprocher de son frère – installé à Bordeaux – qu’il n’avait pas vu depuis une quinzaine d’années, le joueur accepte la proposition burgienne, quand bien même il s’agissait de la seule offre d’un club de seconde division à son égard. Une riche idée lorsque l’on considère que son statut a évolué de recrue anonyme d’un club de Pro B à pivot dominant de Jeep ÉLITE en deux ans et demi. « Bourg est vraiment un bon endroit pour lui », souligne Zack Wright. « Il est en train de prendre de la maturité avec la JL. » Le principal intéressé en convient lui-même. « C’est une grande évolution pour moi ici. Je remercie vraiment le club et mes coéquipiers pour cela. Chaque année, je vois que le coach me fait de plus en plus confiance et il sait que cela me permet d’évoluer à mon meilleur niveau. »


Savo Vucevic – Youssou Ndoye, un duo qui roule depuis 2016
(photo : Vincent Janiaud)

Un meilleur niveau dont on peine encore à percevoir les limites réelles. « Il est très talentueux et encore jeune », fait remarquer Zack Wright. Le Youssoupha Ndoye de ce début d’année 2019 n’a plus grand chose avec celui de l’automne 2016, découvrant le basket européen, certes dominant en Pro B grâce à ses attributs physiques (athlétique, délié, rapide…) mais tellement frustre techniquement, fébrile du bas du corps, presque naïf défensivement. « Beaucoup de choses ont changé », se réjouit-il. « Depuis cette époque, dans tous les domaines, je ne suis plus le même joueur. » Témoin privilégié de cette mutation, son alter-ego de la raquette burgienne, Zachery Peacock. Le MVP en titre de Jeep ÉLITE nous livre une autre facette de la progression de son complice : « Ce qui me marque particulièrement est son évolution mentale depuis son arrivée ici en 2016. Son intelligence de jeu a considérablement augmenté, je peux le dire au vu des décisions qu’il prend sur le terrain. C’est l’une des meilleures choses qui peut arriver à un joueur de basket : on peut tous courir, shooter, dunker – certains plus que d’autres, comme lui ! -. Mais le plus important est son QI basket. Il a les capacités pour devenir le meilleur pivot du championnat maintenant Il travaille beaucoup son jump shot, il se déplace très bien, il s’est amélioré défensivement et tout cela renvoie à son intelligence de jeu. » Et une éthique de travail qu’il convient aussi de mettre en avant, lui qui est réputé facile à coacher. Toutes les personnes interrogées ont mentionné les séances individuelles avec Slobodan Savovic comme un élément déterminant de son changement de dimension.

Après Bourg, quelles perspectives ?

Revenu à Bourg-en-Bresse l’été dernier en tant que second assistant de Savo Vucevic et chargé du développement individuel des joueurs, le héros de la Semaine des As 2006 a trouvé un cas d’école avec Ndoye. « Il est déjà très performant et va devenir encore meilleur », prévoit le Monténégrin. « Il est athlétique, rapide et doté d’une grande envergure. Maintenant, nous travaillons beaucoup sur le poste bas, sur ses mouvements latéraux. Nous essayons de le rendre plus agressif, qu’il devienne une menace dès qu’il reçoit le ballon. Il reste beaucoup de choses à améliorer chez lui : il doit gagner en puissance, avoir encore un peu plus de force. Nous avons de grandes attentes à son égard mais il progresse quotidiennement. » Notamment sur son tir à mi-distance, qu’il « travaille énormément » selon les propres mots de Boban Savovic. « Je veux juste m’améliorer sur tous les plans », embraye Youssou Ndoye. « J’aimerais devenir un meilleur rebondeur et être encore plus dangereux à mi-distance. Dans le basket moderne, si tu ne peux pas shooter, ça pénalise ton équipe car tu n’étires pas la défense adverse. Donc c’est ce shoot à mi-distance que je travaille vraiment. Je le développe chaque année et je suis beaucoup plus à l’aise qu’avant. »

Après s’être battu au cours de l’intersaison pour le conserver alors que le joueur hésitait à aller voir ailleurs si l’herbe pouvait y être plus verte, la JL Bourg est actuellement en train de cueillir les fruits de son investissement puisque son joueur compile des moyennes impressionnantes de 15,1 points à 64%, 8,8 rebonds et 1,7 contre pour 20,3 d’évaluation par match. « Je veux juste être le meilleur Youssou possible cette saison », sourit-il, gourmand. Et après observé, tout en soignant un genou en vrac, Zachery Peacock s’attribuer tous les honneurs l’an dernier, pourrait-il ambitionner de lui succéder ? « Non, je ne pense pas au trophée de MVP, vraiment pas », balaye-t-il, avant de concéder. « Mais si ça arrivait, ce serait bien, évidemment À vrai dire, je préfèrerais gagner le trophée de meilleur défenseur de l’année plutôt que le MVP. Si je devais définir un objectif individuel, ce serait celui-là. » S’il part de loin face à quelques références bien établies du championnat, le All-Star a pourtant bien quelques arguments à faire valoir, en premier lieu une dissuasion hors du commun sous le cercle. Combien de fois cette saison a-t-on entendu Savo Vucevic répéter en conférence de presse que son pivot avait été exceptionnel défensivement ?


C’est défensivement que Youssou Ndoye s’attelle surtout à donner sa pleine mesure
(photo : Sébastien Grasset)

Mais, qu’il y ait une récompense individuelle au mois de mai ou non, peu importe finalement : Youssou Ndoye est appelé à évoluer dans des sphères bien supérieures à celles de la JL Bourg. « Tout dépendra de ce que sa future équipe attendra de lui mais à mon avis, il peut jouer en NBA ou dans un grand club d’EuroLeague », martèle Zack Wright. Si lui préfère ne pas s’épancher sur son avenir, préférant « rester concentré sur la saison en cours », son agent Bouna Ndiaye avait esquissé un plan dans les colonnes du Progrès en décembre : « Il a déjà passé un grand palier. Il faut continuer à gagner et disputer les playoffs, ce sera une étape supplémentaire pour lui. Mais on voit déjà que c’est un joueur plus mûr, solide. Il répète ses performances tous les week-ends. Tous les joueurs du monde rêvent de la même chose : la NBA. Youssou devient dominant en Pro A, et les joueurs dominants en Pro A vont ensuite dans un fort club européen. Avec lui, on fera un point sur sa carrière après la Leaders Cup. On ne parle pas encore de ses orientations futures, mais de la saison en cours, de gagner des matchs. »

Néanmoins, où que son parcours le mène ensuite, tous nos intervenants s’accordent sur un point : « Je vois beaucoup de potentiel en lui, il peut devenir extrêmement bon », dit Zack Wright. « Il n’a pas de limites. S’il continue à travailler et à progresser comme cela, il a les moyens de devenir un très grand joueur », ajoute Zachery Peacock. « Son futur s’annonce brillant », synthétise Slobodan Savovic. Mais avant de songer à l’avenir, Youssou Ndoye a des moyens physiques à recouvrer, une saison à terminer avec la JL Bourg et, idéalement, des playoffs à découvrir. Et encore, il subsiste un immense objectif avant toutes ces considérations : la Coupe du Monde 2019. International sénégalais depuis trois ans – « le plus grand honneur qui [lui] soit arrivé jusque-là dans le basket, quelque chose d’inexpliquable » – celui qui a fait le tour de la planète orange en 2017 en cassant un panier à l’AfroBasket partira à Abidjan fin février afin de décrocher, contre le Rwanda ou le Mali, la dernière victoire qui manque au Sénégal afin de composter son billet pour la Chine. « Pour moi, ce serait exceptionnel d’y être », en salive-t-il d’avance. « Ce serait un vrai test pour voir mon niveau, d’essayer de rivaliser avec les meilleurs pivots de la planète. » Moins de dix ans après, Youssoupha Ndoye potentiellement confronté à Anthony Davis, Nikola Jokic, Rudy Gobert, aux frères Gasol… Non vraiment, même quand on ne le veut pas forcément, il faut toujours écouter sa maman.


Avec Gorgui Dieng, Ndoye espère ramener son pays, sevré de titre depuis 1997, sur le toit du basket africain
(photo : FIBA)

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