Les mille et une vies du bâtisseur Savo Vucevic : « Mon bonheur a été d’aider mes clubs à se construire »
Ça y est. En ce jeudi 1er juillet au matin, Savo Vucevic (64 ans) n’est officiellement plus l’entraîneur de la JL Bourg. La fin d’un cycle long de cinq ans, de la Pro B au Top 16 de l’EuroCup, qui aura considérablement marqué les esprits, dans l’Ain et ailleurs. « Je voudrais saluer le coach de Bourg, Savo Vucevic », a par exemple déclaré le technicien strasbourgeois Lassi Tuovi, au soir de sa visite à Ékinox, le 14 juin dernier. « Depuis que je suis arrivé en France, j’ai suivi ce qu’il a réalisé ici, les projets qu’il a construit et surtout la façon dont son équipe évolue saison après saison. C’était un plaisir de coacher contre lui et je voulais lui rendre hommage. »
De jolis mots qui résument bien l’impact laissé par Savo Vucevic en Jeep ÉLITE, dans un championnat où il n’avait pourtant plus coaché depuis… 2002, année de son élection en tant que meilleur coach de Pro A. Entre-temps, il ne s’était cependant pas perdu dans l’anonymat, s’attachant à divers projets : redonner ses lettres de noblesse au Spirou Charleroi, sauver le soldat Antibes, redorer le blason de l’AS Monaco… Les histoires furent plus ou moins belles, plus ou moins fluides, mais partout, il a réussi. Sous ses ordres, tous ses clubs sont allés de l’avant, que ce soit au cours des dix ans passés à Bondy ou des six semaines à Saint-Quentin. Son palmarès en est peut-être la plus belle preuve écrite : triple champion de NM1 (1998, 2009 et 2014), champion de Pro B 2017, double champion de Belgique (2003 et 2004), également vainqueur de la Supercoupe (2002) et de la Coupe (2003) en Belgique. Seulement pourra-t-il peut-être regretter la non-obtention d’un titre majeur dans l’élite française, à l’image de cette Leaders Cup 2019 qui échappa à la JL Bourg pour un petit panier…
Manager humain avant d’être un réel tacticien, entraîneur adepte d’un « basket panache » selon ses mots, soit spontané et simple, Savo Vucevic a obtenu ses résultats avec une philosophie à l’opposée de l’image que l’on peut avoir d’un coach yougoslave. Par exemple, un Dusko Ivanovic a presque tout gagné en liguant pratiquement ses équipes contre lui. Le natif de Bar aurait été incapable d’adopter une telle méthode, lui qui a toujours voulu travailler en harmonie avec ses joueurs cadres, leur laissant un grand cadre d’expression sur le parquet. À Bourg, ceux-ci n’ont jamais trouvé de mots assez forts pour lui rendre hommage. Particulièrement taiseux, Zachery Peacock s’était ainsi laissé emporter à notre micro en décembre 2017 dans une déclaration d’amour longue de trois minutes pour son entraîneur, ainsi synthétisable : « Beaucoup de joueurs disent que leur coach actuel est l’un des meilleurs qu’ils aient jamais eu mais là, croyez-moi, c’est le cas. Je n’ai jamais eu un entraîneur comme lui, qui se soucie de ce que tu penses, qui fait attention à toi. Savo m’aide à jouer à haut niveau en pensant plus à mon état physique que je ne le fais moi-même. C’est génial de jouer pour lui. Je peux l’avouer : j’aime Savo ! ». Et une réponse médiatique de trois minutes de Zack Peacock, de mémoire de suiveurs, ce n’était jamais arrivé dans d’autres circonstances.
De la médaille de la ville de Bourg-en-Bresse remise par le maire Jean-François Debat à l’hommage public orchestré par le président Julien Desbottes, avec fresque géant et siège à son nom, Savo Vucevic a été honoré de toutes parts. Tous ont parlé de lui, l’ont désigné comme le meilleur entraîneur de l’histoire de la JL Bourg. Un qualificatif qui gênait le Monénégrin, pas toujours enclin à se mettre en avant lors des succès. « Je n’aime pas vraiment parler de moi », a-t-il ainsi récemment déclaré lors d’une conférence de presse. Pourtant, pour retracer son parcours, il a accepté de le faire en notre compagnie. Pour presque trois heures passées à raconter ses vies de joueur et d’arbitre en Yougoslavie, avant d’embrayer sur sa carrière de coach, à travers la France et la Belgique. 51 années de passion basket, embarquez dans le long voyage de Savo Vucevic.
Bar, des paniers bricolés dans la rue à la deuxième division :
Qui était le joueur Savo Vucevic ?
« Je suis né à Bar, en Yougoslavie, en janvier 1957. J’ai eu une très belle jeunesse, on passait notre temps dehors, au bord de la mer. J’étais un grand fan de sport. Quand j’étais petit, vers 8 ans, mes parents me donnaient de l’argent pour acheter un petit-déjeuner et à la place, je prenais le journal équivalent à L’Équipe. Je lisais tout jusqu’à la dernière page. Même la pétanque, je savais qui était champion du monde (il rit). Je pourrais encore vous citer la composition de l’équipe du Brésil championne du monde de foot en 1970 au Mexique par exemple !
J’ai commencé par faire du foot et du water-polo, j’étais aussi un bon petit joueur de tennis de table. Le basket est arrivé dans ma vie en 1970 pour une simple raison : la Yougoslavie est devenue championne du monde à Ljubljana. J’avais treize ans à ce moment-là et je n’avais encore jamais touché un ballon. Après le titre, on a construit des panneaux un peu n’importe comment pour pouvoir jouer dans la rue. À cette époque, en Yougoslavie, il n’y avait pas beaucoup de moyens ni d’infrastructures donc il y avait assez peu de licenciés. On faisait du sport l’après-midi à l’école et les profs de gym poussaient ceux qu’ils trouvaient doués vers les clubs. Il y avait beaucoup de tournois entre les écoles, les meilleurs pouvaient se faire repérer comme cela.
J’ai joué en deuxième division, à Bar, pendant sept – huit ans. Ça reste une belle période de ma vie. Nous étions une équipe de copains sortis de l’école. Quand j’avais 18 ans, j’étais le plus âgé de l’équipe ! On avait une génération incroyable : mon frère, Borislav, qui avait 17 ans et qui a été international yougoslave, les deux frères Pavicevic (Mihailo et Djordje) qui sont maintenant coach et président de Mornar Bar, le père de Sasha Pavlovic, finaliste NBA en 2007 avec les Cavaliers de LeBron James… Pendant quelques mois, j’ai même eu la chance de jouer pour Bozidar Maljkovic qui est venu nous coacher en 1979. Je jouais poste 3. J’étais un bon défenseur, c’était la honte si on me battait en un-contre-un. J’étais un joueur physique, collectif, qui travaillait dans l’ombre, très bon driveur mais pas très adroit de loin. Je savais exactement ce que je pouvais faire et je me cantonnais à cela. Aussi, j’étais quelqu’un avec du caractère et surtout un grand compétiteur. Quand il y avait match, je ne lâchais rien.
Malheureusement, je me suis rompu les ligaments croisés à 26 ans et j’ai arrêté ma carrière là-dessus. Cela faisait quelques temps que je m’interrogeais sur la suite. En 1978, mon frère est parti à Sarajevo et il a immédiatement remporté l’EuroLeague. Moi, j’avais 22 ans, toujours à Bar, et je ne voulais pas rester dans la médiocrité, me contenter d’être un joueur moyen. Alors je me suis demandé ce que j’allais accomplir comme joueur ? Je me suis dit qu’au maximum, je serais un petit joueur de première division. Du coup, j’ai décidé de changer de voie et de m’orienter vers le coaching tant tout le monde me disait depuis des années que c’était ma vocation. Et je ne me suis jamais fait opérer des croisés ! »
Arbitre en D1 et apprenti-coach en D3 :
Au sifflet face à Radja, Kukoc, Divac, Djordjevic et compagnie !
« J’ai démarré ma carrière d’entraîneur à 27 ans avec Ulcinj, un club qui émergeait, en troisième division. Ils m’ont proposé de venir en décembre avec comme mission de maintenir l’équipe et on n’a perdu qu’un seul match jusqu’à la fin. Je suis resté trois ans supplémentaires avec eux.
Parallèlement, j’étais un très bon arbitre. On m’avait poussé à passer les examens suite à un match amical que j’avais arbitré à Podgorica pour dépanner et en trois ans, je me suis retrouvé à officier en première division. Je passais mes journées dans les salles de basket : je faisais du travail individuel avec les joueurs de Bar le matin, l’entraînement à Ulcinj l’après-midi, j’arbitrais en première division le samedi et je coachais le dimanche en troisième division. Pendant mon expérience à Ulcinj, j’ai refusé un grand club, le Buducnost Podgorica, car je pensais que je n’étais pas encore prêt. Je voulais continuer à travailler dans les divisions inférieures et à cumuler avec l’arbitrage. Quand j’étais au sifflet, je regardais les coachs, leurs réactions, etc. Ça a été un grand apprentissage.
Mon dernier match en tant qu’arbitre a été Jugoplastika Split – Partizan Belgrade le 20 janvier 1989. Avec Dino Radja, Toni Kukoc, Zoran Sretenovic, Dusko Ivanovic d’un côté ; Vlade Divac, Zarko Paspalj, Sasha Djordjevic, Sasha Danilovic de l’autre. Boja Maljkovic sur le banc de Split, Dusko Vujosevic sur celui du Partizan. Il y avait des salles tellement difficiles à l’époque en Yougoslavie : Zadar, Split, Belgrade… Peu d’arbitres parvenaient à résister à la pression du public ou des joueurs et je pense que j’y arrivais plutôt bien. J’ai même été reconnu comme l’un des dix meilleurs arbitres du pays lors de ma dernière année avec Goran Radonjic. Quand on a vécu tout cela si jeune, on est tellement riche en terme d’expérience, on est blindé. »
Bondy (1991/01), les premiers pas en France :
De la NM3 à la Pro B… pour rien
« À la base, je ne suis venu en France que pour quelques mois. C’était en février 1989. Je suivais ma femme, Ljiljana, championne olympique de handball, qui avait reçu une belle proposition de Gagny, une place forte du hand français. J’ai tout stoppé pour l’accompagner et prendre un peu de temps sabbatique. Nous étions jeunes mariés et dans ma tête, la France représentait quelque chose. J’avais lu Victor Hugo ou Balzac à l’école, je connaissais toute la littérature, l’histoire, la musique, le cinéma français… Mais je ne savais dire que « bonjour, merci, au revoir ». On a appris la langue en quelques mois à l’Alliance française. Après les six mois à Gagny, je pensais revenir en Yougoslavie et vraiment me lancer dans le coaching mais le club lui a proposé une prolongation de deux ans. La condition était de me trouver un emploi, ils m’ont mis en contact avec Bondy.
J’ai commencé avec l’équipe féminine avant de prendre les garçons lors de ma deuxième année. Quand j’ai vu l’équipe masculine, avec minimum cinq joueurs entre 2 m et 2,10 m, j’ai trouvé ça incroyable ! Nous, en Yougoslavie, on se battait pour un grand. Si tu faisais 2,05 m, tu avais cinq clubs sur toi ! Je suis resté dix ans à Bondy, de la NM3 à la Pro B. En tant que jeune coach enthousiaste, je m’occupais de tout : la prépa physique, le travail individuel… Ils ne s’entraînaient que deux fois par semaine quand je suis arrivé alors j’ai augmenté progressivement la cadence des entraînements, jusqu’à un par jour. Les dirigeants m’ont donné carte blanche dès le début, même avec mon Français limité. Nous sommes devenus un bastion du basket dans la région parisienne, car les filles sont aussi montées en seconde division, j’en étais très fier. Mais il n’y avait pas de structures, tout était financé à 100% par les collectivités locales. J’ai cru pendant des années qu’on pourrait faire quelque chose de grand mais quand j’ai compris qu’il serait en réalité impossible de faire évoluer le club, j’ai décidé de partir. Aujourd’hui, Bondy n’existe plus. C’est comme si dix années avaient été évaporées. J’ai les boules de voir ça alors que c’est à Bondy que j’ai investi le plus d’envie et d’énergie. »
Coach de l’année à Cholet Basket (2001/02) :
« Scooter Barry a changé ma carrière »
« Je suis arrivé dans un contexte de fin de cycle. J’ai traversé beaucoup d’épreuves et de difficultés au cours de l’année. Je peux dire que j’ai été courageux, j’ai modifié certaines choses au sein du club et j’ai eu la chance de faire venir un joueur en janvier qui a changé ma carrière d’entraîneur : Scooter Barry. Avant, on n’avait pas de meneur, on perdait les matchs dans le money-time. Avec lui, on devient imbattables, on gagne 15 matchs d’affilée avant de s’incliner en demi-finale contre l’ASVEL parce qu’on était diminués. J’ai eu la chance d’avoir un groupe que j’ai amené à jouer un basket simple mais terriblement efficace, avec un vrai patron en la personne de Scooter et de nombreux jeunes comme Claude Marquis, Aymeric Jeanneau, Olivier Bardet, Mike Gelabale. Cela m’a valu le trophée de meilleur coach de l’année. C’était un immense plaisir, surtout que j’étais encore jeune.
Le public de la Meilleraie était merveilleux. Ce que j’ai vécu à Cholet, je ne l’ai jamais retrouvé depuis. J’ai encore en tête le dernier match là-bas, trois jours après la naissance de mon fils. Il y avait des banderoles « Savo + Vuk = merci » parce que j’avais décidé de partir depuis le mois de janvier. Toute la salle était debout pendant la dernière minute et chantait « merci Savo ! ». J’étais tellement ému. »
Spirou Charleroi (2002/06),
la dynastie retrouvée… malgré les leçons du professeur Nikolic
« Le président (Éric Somme) m’avait dit qu’il voulait faire un grand club européen et me fixe l’objectif d’être champion en deux ans, alors que le titre fuyait le Spirou depuis quatre ans. Je ne connaissais pas le basket belge mais il a eu l’idée de faire venir mon frère, Boro, qui venait de terminer sa carrière à 44 ans par dix années en Belgique, pour m’aider. La première saison avec lui fut incroyable : on a atteint les quarts de finale de l’EuroCup et on a tout gagné en Belgique : la Coupe, la Supercoupe et le championnat. Tout sauf la 2e journée du championnat ! On avait un tel esprit, on était injouables, waouh… C’était la saison d’inauguration du Spiroudome : le président voulait attirer 4 000 personnes, on a fait guichets fermés à 6 500 lors de tous les matchs.
Charleroi a été une très belle période : on a fait des choses extraordinaires, il y avait un vrai enthousiasme autour du club dans la ville mais ça s’est délité sur la fin avec le président. Je n’avais plus envie d’aller à l’entraînement, je suis parti au bon moment, un an et demi avant la fin de mon contrat. Ça devenait difficile de travailler dans ces conditions : je gagnais tout mais j’étais quand même critiqué. Je reste très fier de ce que l’on a fait à Charleroi. On était un club reconnu en Europe pour notre basket panache : les gens disaient qu’il y avait deux équipes qui jouaient un beau basket en Europe, Trévise et Charleroi. Ce qui arrive à la fin, c’est peut-être la conséquence d’un succès prématuré. Tu deviens reconnu en Europe mais tu es victime de ton propre succès après car tu ne peux pas faire mieux, tu stagnes ou tu régresses immédiatement. C’est ce que me disait le professeur Aleksandar Nikolic : « Mon gamin, va doucement, construis, ne gagne pas trop vite car que feras-tu ensuite ? » Sauf qu’on ne peut pas choisir ! »
Six semaines à Saint-Quentin (2007) :
De la Coupe d’Europe à la Pro B, juste pour « donner un coup de main »
« C’est un peu anecdotique. J’y suis allé pour rien, si ce n’est pour donner un coup de main à quelqu’un que je respectais, le président (Robert Ducamp), et pour un public qui m’avait toujours impressionné. Cela faisait quatre ans que je participais aux phases éliminatoires de l’EuroCup et aller en Pro B, c’était inconcevable. Mais le président m’appelle pour me demander de l’aider, me dit qu’il a promis les playoffs à tout le monde et qu’ils sont enfermés dans une mauvaise passe. Il a 75 ans et je suis un peu émotif, c’est ma faiblesse, j’ai dit oui. Je n’avais strictement rien à gagner ! Dès que je suis arrivé, j’ai réalisé que j’avais fait une erreur mais je ne pouvais plus revenir sur ma parole. Finalement, on gagne 4 matchs sur 6, on termine 7e et on bat Nanterre en quart de finale avec 500 personnes du SQBB dans la salle. »
Antibes (2007/11), ou l’ombre fuyante du CSKA Moscou :
« Les maintiens en Pro B, les plus grands titres de ma carrière »
« Tout le monde a été surpris de ce choix. Mais il y avait un très gros projet avec Sergey Kuschenko, propriétaire d’une maison à Antibes, qui venait de lâcher la présidence du CSKA Moscou après neuf années là-bas. Il voulait reprendre le club et m’appelle pour me dire qu’il veut monter de suite en Pro A, qu’il va construire une nouvelle salle, que j’aurai carte blanche, etc. Toutefois, après avoir connu l’Europe avec le Spirou, j’étais un peu réticent à descendre en Pro B. Mais il y avait aussi des raisons extra-basket : Charleroi est une ville très polluée, Vuk a eu des problèmes de santé à cause de ça et les médecins nous avaient conseillé d’aller nous installer au bord de la mer. J’étais même prêt à rentrer à Bar mais du coup, pourquoi pas Antibes… C’est un grand club, c’est la Côte d’Azur.
Antibes était censé rester en Pro B grâce au dépôt de bilan de Saint-Étienne mais les Stéphanois trouvent un repreneur dix jours après ma signature. Du coup, on repart en Nationale 1 et là, ça a été un coup très dur. Les dirigeants me disent qu’ils comprennent ma déception et qu’on va déchirer le contrat si je le souhaite. Mais je ne pouvais obtenir un meilleur respect de leur part, je sentais vraiment qu’ils me voulaient, ils faisaient tout pour que je vienne. Même en NM1, Antibes reste un club prestigieux, on allait rebondir. Et on a été champion dès la première année. Ensuite, le CSKA s’est progressivement désisté. J’ai passé quatre ans à Antibes et ce fut peut-être la période la plus difficile de ma carrière. C’était un grand club qui était sous respiration artificielle lors de chaque saison. Chaque maintien pour moi était un trophée. Ce fut à la fois mes plus grands « titres » et les saisons les plus éprouvantes de ma carrière. »
Monaco (2013/15), la pose des fondations avant l’invraisemblable éviction :
« Il va jouer ou tu seras viré »
« J’arrive avec un objectif clair : l’accession immédiate en Pro B. Et pourtant, on perd deux de nos trois premiers matchs. Là, ça a été un peu tendu. Je n’avais pas eu la main sur le recrutement avant : je n’avais pu choisir que Derrick Obasohan. Après ces trois premiers matchs, on change Dusan Kecman pour Milutin Aleksic et je fais venir Michael Mokongo. On engrange 26 victoires de rang et après 25 ans d’absence en LNB, on est champions deux mois avant la fin de la saison.
Après le titre, je signe un contrat 1+1, avec une option automatique en cas de montée en Pro A. Je préviens que c’est moi qui construis l’équipe, ça a été accepté. En février, on gagne à Toulon, le leader, et on s’ouvre un boulevard vers la Pro A. J’entendais quand même que Moustapha Fall n’était pas bon, qu’il fallait recruter un autre intérieur et mettre Obasohan de côté. J’ai mis mon veto mais un autre joueur (Marco Killingsworth) est arrivé quand même. Pendant un mois, j’ai fait avec mes convictions, il est resté en civil, j’ai fait jouer mon équipe. Puis un jour, le président Sergey Dyadechko m’a dit : « Il va jouer ou tu seras viré ». OK, chacun fait son job. Ce fameux match, il n’a pas joué, on l’a gagné (78-61 contre Souffelweyersheim le 6 mars 2015), on était potentiellement premier avec une rencontre en moins. Le président a tenu sa parole, il m’a renvoyé.
J’ai reçu plus de 500 messages ou de coups de téléphone après mon éviction. Mes enfants me montraient les messages sur les réseaux sociaux, etc. Je ne vais pas cacher que ça m’a fait plaisir. Je ne l’ai pas fait pour la gloire mais pour défendre mes convictions et l’image du coach. C’était sans précédent et j’en retire de la fierté. Beaucoup de jeunes collègues m’ont dit que ça leur avait servi d’exemple en terme de comportement. Ça veut dire beaucoup pour moi. Mais je ne veux pas dire un mot contre le président, il donnait beaucoup de son argent, c’est un passionné qui voulait réussir. Je ne suis pas rancunier, pas fâché contre lui, c’est quelqu’un que je respecte. Nous avions juste deux visions différentes, qui ne pouvaient pas converger. Dans un club, il y a deux patrons, je suis celui du terrain et il fallait que je le reste, mais évidemment que j’allais perdre au final. Je reste content de ce que j’ai fait là-bas. C’est le début du grand projet monégasque. Quand on construit une maison, il faut toujours commencer par les fondations et je suis fier d’avoir été présent à ce moment-là. »
JL Bourg (2016/21), l’histoire idéale :
« Sortir par la grande porte, c’est rare »
« C’est un peu difficile de résumer cinq années en quelques phrases mais je suis extrêmement content d’être venu ici et d’y avoir réalisé, quelque chose, je pense d’historique. Quand je suis arrivé, le club était en Pro B. Je savais qu’il y avait une nouvelle salle et de grosses ambitions. Il fallait monter dès la première année, et c’est toujours le plus difficile. Ensuite, nous avons continué notre progression jusqu’au Top 16 de l’EuroCup. C’est ma plus grande satisfaction. J’ai beaucoup de contacts en Europe, je lis toute la presse. Par exemple, après notre victoire à Belgrade, nous avons reçu de très beaux compliments des médias serbes à propos de notre qualité de jeu. Le basket développé a toujours été le plus important pour moi. Nous sommes une petite équipe à l’échelle européenne, personne ne savait situer Bourg et nous avons été élu équipe surprise de la première phase de l’EuroCup.
Une personne ne peut rien faire toute seule. J’ai eu la chance de travailler avec des gens extraordinaires, à commencer par le président Desbottes. Dans un club, il y a deux personnes si importantes : le président et le coach. S’il y a un bon président, tout devient beaucoup plus facile. Ici, j’ai obtenu toute sa confiance pour les décisions dans le domaine sportif, il n’y a jamais eu un différend en cinq ans. La collaboration avec Frédéric Sarre, qui fait un excellent boulot, a également été très bonne, de même qu’avec mes assistants Gérald Simon et Slobodan Savovic, ainsi qu’avec l’ensemble du staff sportif et médical. Enfin, j’ai mes idées mais encore faut-il que les joueurs suivent… Je suis quelqu’un qui arrive à les fidéliser, à garder un noyau dur. On a créé un esprit ici. Il faut savoir créer un système de travail, une envie de grandir chaque année, et les pousser à avancer avec toi. Les joueurs cadres l’ont toujours fait et ça a ensuite été beaucoup plus facile pour moi de travailler. À ce titre, la pièce centrale est Zachery Peacock. Il a été un exemple pour tous au niveau du travail, du comportement. Il m’a tellement aidé. En terme de travail, d’abnégation, d’envie de joueur, de combativité, de qualité pure, il a été une locomotive pour tous ses coéquipiers. Je n’ai jamais coaché un joueur avec un tel impact sur son équipe. Il a été exemplaire sur tous les plans et l’une des clefs de tout ce que l’on a fait ces dernières années.
Effectuer cinq ans dans un club, c’est déjà beaucoup. Je pensais rester trois ans. Il faut aussi savoir partir au bon moment. Ce club a besoin d’une nouvelle énergie, d’une nouvelle vision, d’un nouveau cycle. J’ai fait ce qu’il fallait, on a des bases extrêmement solides, le club est devenu l’un des mieux structurés de France, il y a tout pour continuer. Rester un an de plus aurait été de trop. En 2019, le président m’avait proposé de rester jusqu’en 2023, c’est moi qui ai dit que je ne prendrais qu’un an de plus. Je savais que c’était la fin pour moi ici. Il ne faut pas forcer les choses, c’est le meilleur moment pour partir. J’aurais été triste de m’en aller sur une mauvaise note. Je pars avec beaucoup d’émotions. Dans le sport, ce n’est pas toujours la vie heureuse, il y a souvent des problèmes, mais ici, ça l’a été. Après cinq ans, je sens que ma maison est à Bourg-en-Bresse maintenant. Je me suis fait tellement d’amis. Sortir par la grande porte, c’est rare et c’est une énorme satisfaction pour moi. Bourg restera à part parmi tous mes clubs, je n’avais jamais connu une situation comme cela. »
Et maintenant, quel nouveau chapitre ?
« Je ne suis pas quelqu’un qui veut planifier son avenir. Après chaque arrêt dans un club, j’ai toujours pris un petit break. Je m’approche de la retraite mais je ne peux pas dire que c’est pour cette année. Le basket, c’est toute ma vie alors s’il y a un projet qui me plait, pourquoi pas… Je ne sais pas, on verra comment viennent les choses. Je n’ai pas envie de dire oui ou non dès maintenant. Cette année a été éprouvante. On a joué sans public, effectué 70 tests PCR, des déplacements interminables à travers l’Europe. Il n’y a pas de lassitude, mais le besoin de s’oxygéner un peu. Il n’y a rien de défini. J’aimerais bien éventuellement aider les jeunes coachs, pas leur apprendre le basket mais ce qu’est la gestion humaine au niveau du club, avec les dirigeants, le public, les journalistes… » (propos tenus mi-mai, ndlr).
La méthode Vucevic :
« Je ne suis pas un coach conventionnel »
« J’ai une double culture avec une formation yougoslave et des années d’apprentissage en France. J’ai essayé de prendre le meilleur des deux côtés. Je ne suis pas un coach conventionnel. La méthode Vucevic est complètement différente, façonnée dans une certaine souplesse et flexibilité. Je suis quelqu’un qui donne beaucoup aux joueurs, qui est très proche d’eux. À Bourg, en cinq ans, je n’ai jamais reçu une réponse vexante de l’un d’entre eux, alors que je ne suis pas toujours facile. Mais je leur donne tout. Surtout, je fais attention à tout, à leur santé, à leur mental, à leur psychologie. Le centre de ma philosophie, c’est l’homme à tous les niveaux, son corps humain et son esprit surtout. La reconnaissance, c’est aussi de voir des anciens joueurs passer un coup de fil.
J’essaye de ne pas leur donner 36 000 informations. Je veux un basket simple, et c’est finalement le plus difficile à faire. J’ai toujours été adepte d’un basket où l’on marque deux points de plus que l’adversaire mais je n’aime pas les étiquettes de coach offensif ou coach défensif. Je suis fier que nous ayons été la deuxième attaque de Jeep ÉLITE cette saison mais pour jouer un basket offensif, il faut avoir une bonne défense. Personnellement, j’ai toujours désiré un basket panache : jouer vite, simplement, courir, faire circuler la balle, proposer du beau jeu pour les spectateurs. Il faut jouer pour l’équipe, mais surtout jouer pour gagner. Le côté compétiteur l’emporte sur tout à mes yeux. Au niveau du travail, je n’ai jamais été un policier de la quantité, mais il faut doser juste ce qu’il faut selon les joueurs. Un coach qui ne connait pas l’anatomie et la physiologie des joueurs ne peut pas entraîner. Combien de fois je me suis adapté sur le moment selon leur état de forme ? Je m’adapte vis-à-vis de mon équipe, je ne veux pas les blesser, les détruire, les amener dans le rouge mais tirer le maximum du moment. Parfois, un jour de repos, c’est aussi un bon entraînement. Ce n’est pas parce que tu travailles 6h par jour que tu bosses bien. J’essaye de mettre les joueurs dans des conditions optimales et je pense que c’est le meilleur moyen d’en tirer le maximum.
Pour faire ce métier, il faut être constitué d’un tissu dur. Et je le suis, je crois que c’est l’une de mes qualités premières. Quand vous prenez votre poste dans un nouveau club, ça ne fait pas que des heureux, loin de là. Ensuite, j’ai toujours dit que j’assumerais toujours toutes les responsabilités mais je dis aussi que dans mon équipe, il n’y a qu’une seule philosophie, la mienne. Ce n’est peut-être pas la meilleure mais c’est la seule donc c’est la meilleure. S’il y a deux visions, c’est un problème. Trois, c’est un bordel et plus, je n’en parle même pas… J’ai ma vision, aux joueurs de me suivre, et la responsabilité sera pour moi. En cas de problème, je serai toujours en première ligne, le seul à qui l’on pourra réclamer des comptes. »
De « trois mots de français » à 30 ans de carrière sur place
« Je suis fier de ce que j’ai accompli, alors que je suis arrivé en France sans diplôme et en ne parlant que trois mots. Je suis très fier d’être devenu citoyen français. Mes enfants sont nés ici, dans ce pays qui m’a accueilli à bras ouverts, où j’ai passé 33 années merveilleuses. J’ai toujours voulu donner le meilleur de moi-même pour remercier tout ça. J’aurais pu aller découvrir autre chose : après mon expérience à Charleroi, j’avais des touches en Grèce, en Espagne, en Turquie… Mais j’ai toujours concilié ma vie familiale avec ma vie professionnelle. Mes enfants sont nés en France, sont tous Francophones. À ce titre, on pouvait aller en Belgique mais je n’étais pas prêt à aller n’importe où, même pour un haut niveau de compétition. C’est un compromis que je ne regrette absolument pas.
Mon bonheur a été d’aider mes clubs à se construire, à poser les premières fondations du succès. Un coach, c’est comme un médecin, il ne suffit pas de donner un Doliprane pour faire disparaitre temporairement la douleur. Il faut faire un diagnostic. Les gens ne jugent que sur la durée de l’entraînement, 45 minutes ou 2h30. Mais personne ne fait attention à ce que tu travailles toute la journée chez toi, les projections sur plusieurs années, etc. Un coach est la locomotive du projet pour moi, il doit amener tout le monde dans son sens. Or, lors de mes différentes expériences, tous mes clubs ont progressé, il n’y a pas une seule exception. »
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L’œil de Nikola Vucevic (Chicago Bulls) sur la carrière de son oncle
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