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Oleksiy Yefimov, l’architecte du succès monégasque : qui se cache derrière le cerveau de l’AS Monaco ?

EuroLeague - Arrivé à Monaco en 2014, alors que le club s'apprêtait à monter de la Nationale 1 à la Pro B, Oleksiy Yefimov est désormais le general manager d'une équipe qualifiée pour le Final Four de l'EuroLeague. Une nouvelle étape de plus, à seulement 36 ans, au sein d'une vie déjà extrêmement bien remplie.
Oleksiy Yefimov, l’architecte du succès monégasque : qui se cache derrière le cerveau de l’AS Monaco ?
Crédit photo : Sébastien Grasset

Comme souvent, il a fallu une phrase anodine d’un professeur pour changer une vie. Petit, à Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, le jeune Oleksiy Yefimov était un élève brillant. Mais il avait un seul problème. « J’étais chétif », se rappelle-t-il . Ce qui lui vaut, en dépit des séances tennistiques voulues par son père, de mauvaises notes en EPS, faisant tâche sur un bulletin scolaire parfait par ailleurs. « Alors un prof m’a dit que si je voulais avoir des bonnes notes partout, il fallait que je me mette au basket. Je n’avais aucune envie de le faire, je ne savais même pas ce qu’était le basket. Au final, maintenant, ce sport est tout pour moi. »

Joueur, journaliste, coach, manager : 1 001 vies avant 26 ans !

Si l’AS Monaco voulait mettre à l’honneur tous ceux qui ont contribué à sa formidable expansion, peut-être faudrait-il songer à retrouver ce fameux professeur… Car oui, une importante manne financière aide pour atteindre de telles hauteurs mais l’argent n’est pas grand chose s’il n’est pas accompagné de compétences. Or, du haut de ses 37 ans, Oleksiy Yefimov est le directeur sportif qui a fait passer la Roca Team de la Nationale 1 au Final Four de l’EuroLeague en moins d’une décennie, s’imposant progressivement comme un personnage central du basket français puis continental… « Il a aidé à créer le club de toutes pièces », souligne Léo Westermann, Monégasque l’an dernier. « Il est dans l’ombre mais il est très important. Il fournit un travail absolument remarquable. C’est un stakhanoviste, il ne s’arrête jamais. »

Oleksiy Yefimov exultant lors de la série contre le Maccabi Tel-Aviv (photo : Sébastien Grasset)

En débarquant à Kaunas mercredi soir, pour la première fois sur une telle scène, Oleksiy Yefimov s’est paradoxalement retrouvé plongé vers des vieux souvenirs de post-enfance. En 2005, ses parents lui avaient offert un joli cadeau pour son 19e anniversaire : un billet pour le Final Four organisé à Moscou, finalement remporté par le Maccabi Tel-Aviv. « J’ai toujours le maillot de J.R. Holden », sourit-il. À l’époque, l’Ukrainien venait déjà d’accomplir une belle réussite : une promotion vers un poste de journaliste à Kiev au sein de Sport-Express, le quotidien sportif le plus vendu en Russie, lui qui avait auparavant tenu ce rôle à Kharkiv. À 19 ans seulement donc, la preuve de quelqu’un qui a toujours su tout faire plus vite que les autres.

À vrai dire, tout est parti d’un rêve brisé. Basketteur, Yefimov a rapidement progressé vers les prémices d’une carrière professionnelle, champion d’Ukraine U16 avec le BC Politekhnik, le club de Kharkiv. Mais une rupture du biceps le stoppe son élan. « Ça a été un mal pour un bien. J’étais assez jeune pour me refaire dans un autre rôle. Et si je suis réaliste, je n’aurais jamais pu être à Monaco avec mes qualités de joueur. Ou peut-être Monaco en NM1, et encore… » Alors il se lance dans d’autres projets, le coaching de jeunes d’abord, puis le journalisme sportif, à la fois en presse écrite et en télévision. Pour Sport-Express, il suit le quotidien du BC Kiev. Sa porte d’entrée vers le monde professionnel. Souvent présent au plus près de l’équipe lors des déplacements, il finit par être embauché comme attaché de presse, directeur marketing puis même team manager, côtoyant notamment Sasa Obradovic en 2008/09 (voir ci-dessous). Une rencontre déterminante.

Quand il débarque à Donetsk en 2010, après un crochet par la Pologne, le technicien serbe se souvient de ce jeune passionné, étonnamment efficace pour son âge. « Sasa est celui qui s’est porté garant de moi auprès de Sergey Dyadechko », assure Yefimov. Le patron avait pourtant des doutes : un general manager de 23 ans, vraiment ? Il n’est pas le seul. « Quand j’ai démarré, je me rappelle que mon objectif était de boucler une signature avant que l’agent ne réalise mon âge », rigole-t-il. « Quand ils venaient voir leur client ensuite, ils étaient tellement surpris. Ils demandaient : où est le GM ? Eh, les gars, peut-être que vous n’aviez pas remarqué mais c’était moi à l’autre bout du fil (il rit). » L’âge d’être encore un stagiaire au service communication mais pourtant le cerveau d’un titre de champion d’Ukraine en 2012 et d’une aventure jusqu’en quart de finale de l’EuroCup.

À 26 ans, Oleksiy Yefimov propulsé sur le banc de Donetsk (photo : VTB)

Quelques mois plus tard, Oleksiy Yefimov boucle son apprentissage express par une expérience de quatre mois d’entraîneur en VTB League. « L’un de mes joueurs, Darius Songaila, avait presque dix ans de plus que moi », s’amuse-t-il. « Oui, il était vraiment jeune mais on l’écoutait et on le respectait », ressasse Denys Lukashov, champion de Pro B l’an dernier avec Nancy, présent dans l’effectif à l’époque. « Avant lui, il y avait des grands noms dans le roster mais la mayonnaise ne prenait pas. Lors de sa prise de fonction, il a bouleversé les rôles dans l’équipe, sans tenir compte des CV des joueurs. Et on jouait mieux. » Une aventure démarrée par une défaite en prolongation à Astana, « à cause de mes erreurs sur le banc » dixit Yefimov, mais bouclée par un 4/4 pour atteindre les playoffs. « Ce passage dans le costume d’entraîneur a eu un immense impact sur le reste de ma carrière. On voit tout différemment depuis le banc. C’est un métier tellement difficile que je me suis dit que je ne critiquerai plus jamais un coach. » Accessoirement, cela signifie qu’à 26 ans, Yefimov avait déjà accumulé tous les postes possibles et imaginables dans le monde du basket. « J’ai tout fait à part jouer en pro, oui », sourit-il.

« Comment ça Amath M’Baye est Bosman ?! »

Pour autant, lorsque Sergey Dyadechko lui propose de rejoindre le projet monégasque en 2014 au moment où la guerre s’empare du Donbass, l’Ukrainien repart presque de zéro. Le basket français, à part quelques affrontements avec Gravelines-Dunkerque ou l’ASVEL en EuroCup, il ne connait pas. La Pro B ou la Nationale 1, encore moins. Et ne parlons même pas des règlements… Ainsi, pour densifier son contingent national, il croit avoir une idée de génie : un jeune Français évoluant au Japon, répondant au nom d’Amath M’Baye. « On m’a répondu qu’il était Bosman… J’étais tellement surpris : comment ça Bosman, il vient de Bordeaux ?! Je ne savais pas qu’on pouvait être Français sans être JFL. » Mais le manager apprend vite, notamment par le biais d’une tournée nationale. De Angers à Saint-Quentin, en passant par Nantes et bien d’autres clubs, il se lance dans le tour des salles de Pro B et NM1 pour comprendre le basket français et ses spécificités. « Je me rappelle que l’une de mes premières observations portaient sur l’absence de pivots traditionnels. J’ai rapidement compris que le championnat était tellement athlétique que les équipes préféraient être sous-dimensionnées, qu’un vrai big man ne pouvait pas jouer en post-up. » De fait, en 2015, l’un des ses premiers gros coups de recrutement sera Adrian Uter, poste 5 de 2,01 m.

Parfois, il est utile de se replonger dans le passé pour mieux comprendre l’ampleur du chemin. Lorsque nous l’avons rencontré jeudi matin, Oleksiy Yefimov était installé au café de son hôtel de Kaunas, entouré des plus grands joueurs, entraîneurs et agents du continent, assis sous une bannière associant les logos de l’AS Monaco et du Final Four. Sauf qu’à l’époque de ses premiers pas avec la Roca Team, il n’avait que deux objectifs assignés par Sergey Dyadechko : monter en Pro B dès sa première année et remplir au moins une fois la petite salle Gaston-Médecin. « Je ne savais pas ce qui était le plus difficile », s’esclaffe-t-il, lui qui a également dû se lancer dans le métier lors d’un été trouble avec la LNB, marqué par un conflit autour de l’engagement ou non du promu en Pro B. « Le basket français était un écosystème fermé à l’époque : pas de management étranger, pas de coach étranger. Ça nous a mis sept mois pour obtenir une licence pour Zvezdan Mitrovic par exemple ! Personnellement, j’étais jeune et inconnu, c’est normal qu’il y ait eu des doutes à mon égard. Mais la loyauté, c’est sur du long-terme. Et regardez où nous en sommes maintenant ! »

Le duo Oleksiy Yefimov – Sergey Dyadechko (en arrière-plan) a fait le bonheur de Donetsk et Monaco (photo : Sébastien Grasset)

D’ailleurs, même lui ne voulait pas se risquer à envisager une telle trajectoire à l’époque. « De la Nationale 1 au Final Four, je n’aurais pas osé en rêver », nous avait-il glissé dans la foulée de la qualification la semaine dernière. « Peut-être que j’en rêvais mais ce n’était clairement pas un objectif », a-t-il clarifié huit jours plus tard. « Il est difficile de dire quelle était ma vision pour Monaco, si ce n’est que depuis le début, j’ai une seule idée en tête : développer le club jusqu’au niveau où ce sera évident pour tout le monde qu’une nouvelle salle est nécessaire. » On y est. De ce fait, quelque soit la configuration du club, « de la start-up » des débuts avec Yefimov en homme à tout-faire ou la multinationale actuellement en construction, les compétences sportives du cerveau monégasque n’ont jamais fait débat. Même à l’époque des budgets plus modestes, ses recrutements ont très souvent été judicieux. Par exemple, l’embauche de Zvezdan Mitrovic en Pro B s’est révélée être un coup de maître. « Oleksiy a toujours été déterminé et agressif pour bâtir les meilleures équipes possibles pour Monaco », révèle l’une de ses premières bonnes pioches, Jamal Shuler. « Il est très bon dans le fait de présenter aux joueurs un projet dans lequel ils auront un rôle important tout en vivant dans un pays magnifique. » On pourra simplement pointer deux tâches au bilan personnel du Kharkivien : l’absence de titre national et la gestion des cas Mathias Lessort et Moustapha Fall, partis (dans des scénarios différents) de la Principauté avant d’être devenus des JFL de premier plan. Lui ajoutera également spontanément le fait de ne pas avoir su signer David Lighty quand il l’aurait pu. Micros éteints, certains interlocuteurs évoqueront également un côté opportuniste, calculateur, pas toujours sain. Mais tout en soulignant, parallèlement, la réussite de sa trajectoire…

« Le plus grand défi de ma carrière »

Ainsi, la carrière d’Oleksiy Yefimov a basculé dans une autre dimension en 2021, avec le sacre en EuroCup et l’arrivée dans la cour des grands. « Il avait une charge de travail monstrueuse », acquiesce Léo Westermann, en référence à l’important cahier des charges de l’EuroLeague auquel le club a dû se conformer. Le tout dans un contexte de basculement personnel. D’abord purement professionnel, lors du pas de retrait de son mentor Sergey Dyadechko pour laisser la présidence à Aleksej Fedoricsev. « Ça a été un nouveau challenge, il a fallu gagner sa confiance et c’est normal », indique-t-il. Puis beaucoup plus intime et dramatique, avec le retour de la guerre en Ukraine et d’interminables heures d’angoisse pour ses parents, rentrés de vacances du Portugal trois heures avant la première frappe de missiles russes, finalement rapatriés à Monaco ensuite. « S’ils étaient encore à Kharkiv, je ne sais pas comment je ferais pour me concentrer sur le basket », souffle-t-il, ostensiblement touché face à ce sujet. « Après, en voyant des gens lambdas être assez forts pour aller prendre les armes et se battre, je me suis dit que je devais être capable de contrôler mes émotions. On n’est jamais préparé à faire face à de tels évènements mais malheureusement, on a appris à vivre avec cette guerre au quotidien. »

Ancien joueur, Oleksiy Yefimov a gardé quelques restes (photo : AS Monaco Basket)

Son quotidien, ce père d’une fille de 13 ans le dédie presque jour et nuit à l’AS Monaco, capable de répondre en quelques secondes sur WhatsApp à la presse, au point de ne plus réellement avoir de temps libre, si ce n’est son heure quotidienne de sport en forme d’échappatoire, « pour résister au stress ». Mais son dévouement et son acharnement ont payé : au fil des années, Oleksiy Yefimov s’est presque imposé comme la personne la plus importante de l’accession de l’AS Monaco. Même si lui n’en parlera pas… « Les ingrédients principaux de notre réussite ont été la passion inégalable de Sergey Dyadechko pour le basket puis le leadership incroyable d’Akeksej Fedoricsev », dit-il simplement. Alors il faut s’adresser aux autres… « Oleksiy, c’est l’homme de l’ombre, qu’on ne voit pas vraiment, mais qui abat un boulot extraordinaire pour mettre le club dans les meilleures conditions », salue Yakuba Ouattara, rejoint par Léo Westermann. « Derrière un budget, il faut des idées, il faut donner un sens à l’argent qu’on investit et il excelle là-dedans. Surtout, il connait le basket. Quelque soit le type de niveau, il sait ce dont une équipe a besoin. Quand Monaco était en Pro B, ce n’était pas les mêmes relations qu’au firmament de l’EuroLeague mais il s’est toujours donné les moyens de réussir. »

Le problème étant que lui n’en profite absolument jamais, presque enfermé dans la spirale du long terme et la pression du lendemain. « Quand on gagne quelque chose, je ne vois pas la médaille comme une récompense mais comme un nouveau défi », explique-t-il. « Un accomplissement signifie l’arrivée d’un challenge encore plus grand. Il faut prouver que ce n’était pas un accident. Or, on met la barre tellement haute saison après saison qu’il est difficile de toujours répondre aux attentes. Cette qualification pour le Final Four va probablement être le plus grand défi de ma carrière. On ne cesse de progresser et maintenant, je ne pense qu’à la façon de faire pour continuer l’an prochain. Je pense toujours à la suite. » La preuve ? Au cours de nos 40 minutes en compagnie d’Oleksiy Yefimov, le nom de l’Olympiakos n’a jamais été prononcé une seule fois. Mais celui de la SIG, adversaire en quart de finale des playoffs de Betclic ÉLITE à partir de mercredi, oui. « Lundi, le Final Four sera terminé mais pas la saison. Notre équipe est à ses limites à la fois émotionnellement et physiquement. Et pendant ce temps, Strasbourg se prépare. C’est ça mon rôle au quotidien… »

Le regard de Sasa Obradovic :

« À Kiev, j’ai rencontré un GM qui avait 21 ans. Après tant d’années en Allemagne, débarquer en Ukraine était un monde totalement nouveau. Il m’a énormément aidé dans mon intégration. Nous avons traversé énormément de moments difficiles ensemble, comme une faillite (où il ne restait plus qu’un joueur étranger, Manuchar Markoishvili, son actuel assistant, ndlr), mais cela a renforcé notre relation. Après cet épisode, je l’ai recommandé auprès de Sergey Dyadechko, le président de Donetsk. On a donc travaillé ensemble de nouveau là-bas et ça a ensuite fluidifié nos retrouvailles à Monaco. Je sais comment il fonctionne, tout est plus facile dans ce cas-là. Il facilite mon travail. Cela peut sembler étonnant de voir un GM réussir aussi jeune en Europe mais je ne suis pas du tout surpris personnellement. Je connais son potentiel. »

 

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