Un an après, Kim Tillie retrace son combat contre le cancer : « Quand on te parle de tumeur, ça fait très peur »
En plein playoffs de FIBA Europe Cup, Kim Tillie (aujourd’hui âgé de 35 ans) avait d’autres priorités. Cela faisait déjà quelques mois qu’il avait senti cette petite bosse sur son testicule, « quelque chose d’un peu dur au toucher », mais sans y prêter une grande attention. « J’ai fini par oublier », confesse-t-il. Sauf qu’une douleur a fini par apparaître. Dilemme : il y avait un titre de champion d’Europe à aller décrocher en même temps. « J’ai demandé au docteur de me prendre rendez-vous chez l’urologue mais j’étais à deux doigts de ne pas y aller parce qu’il y avait des entraînements ! J’ai failli dire : Tant pis, on remet ça à la semaine suivante. »
La raison l’emporte, « parce que ça [l’]embêtait quand même un peu », et Kim Tillie honore son rendez-vous. Pour que le sol s’ouvre sous ses pieds, « en cinq minutes ». Directement, l’urologue Guillaume Braud lui détecte une tumeur, « en plein milieu du testicule ». Tumeur, le mot est posé, potentiellement un cancer donc. Pratiquement inimaginable pour un homme jeune, en pleine santé physique. « Je pensais que ça pouvait être un kyste, quelque chose de bénin. On se dit que c’est impossible, que ça n’arrive qu’aux autres, pas à nous. Quand il m’a annoncé ce que c’était, ça a été un coup de massue sur la tête. Ça fait très peur quand on te parle de tumeur. » Heureusement, tout n’est pas si négatif : le scanner révèle que la tumeur ne s’est pas propagée, reste localisée au milieu du testicule, sans toucher les ganglions.
Mais dans le sport pro, l’international français se sent un peu seul. « J’ai essayé de voir qui d’autre avait eu ça mais je n’ai vraiment pas trouvé beaucoup d’informations sur Internet. » Un seul article sur l’ancien pivot NBA Nene Hilario, sans aucune indication sur son temps de retour sur le terrain, et surtout le footballeur Sébastien Haller, qui en a fait un documentaire. « C’est super ce qu’il a fait. Ça m’a vraiment donné de la force parce que c’était pire chez lui. Ça s’était propagé dans l’abdomen et il a dû se faire opérer de là aussi. »
Avant le jour J, entre attente, basket et transparence
Kim Tillie est atteint d’une tumeur testiculaire, mais il y a toujours une Coupe d’Europe à aller chercher. Alors quand le chirurgien lui propose une date pour l’opération, l’intérieur choletais lui demande si quelques jours de plus feront une différence ou non. Vu que cela ne change rien, ce sera le jeudi 6 avril, lendemain de la demi-finale retour de FIBA Europe Cup, contre Tallinn. « Ce temps-là, c’était horrible », retrace-t-il, avec du recul. « Au début, je me disais que ce n’était pas grave de repousser un peu mais quand j’ai vu qu’il restait pratiquement deux semaines à attendre, je me suis dit : « Mais merde, pourquoi j’ai fait ça ?! Comment je vais faire pour continuer à jouer avec ça ?! C’était très, très dur. »
En parallèle, l’ancien joueur de l’Olympiakos effectue un choix fort : celui de la transparence. Quand le GM Guillaume Costentin vient lui demander s’il souhaite préserver le secret médical, Kim Tillie répond par la négative. « J’ai décidé que c’était une bonne opportunité de témoigner, de véhiculer un message, pour que ça puisse aider une ou deux personnes à aller se faire checker au cas où. Un rendez-vous prend 10 minutes. » Ce qui passe aussi par une vraie disponibilité médiatique : tard le soir de l’annonce, le Choletais nous accorde plus de 30 minutes d’interview. Il s’ouvre également auprès de L’Équipe ou de la presse locale, Le Courrier de l’Ouest et Ouest France. Le tout alors que son téléphone frôle la surchauffe, avec des dizaines et des dizaines de textos. « C’était un truc de fou. Le lundi où on rend l’information publique, tous les messages de soutien m’ont vraiment réconforté. Le nombre de gens qui ont pris le temps de m’écrire ou de m’appeler, c’était vraiment sympa. »
La réception de Nanterre, entrecoupée de la double confrontation face au Kalev Cramo : trois matchs pour patienter. Le 5 avril, Kim Tillie accomplit sa mission en contribuant à qualifier Cholet Basket pour la finale de FIBA Europe Cup. « J’ai rarement vu la Meilleraie comme ça, j’ai fait le tambour devant les supporters, il y a eu l’envahissement du terrain. » Pour une soirée unique dans une vie de sportif professionnel : l’un des matchs les plus importants de sa carrière, qui ne valait pourtant rien face à l’échéance du lendemain. « J’ai quand même pu le vivre à fond parce qu’on oublie tout le reste, même une tumeur, quand on joue au basket. C’est quand le match est fini qu’on se dit : « Oh shit, demain je me fais opérer… »
De l’opération au « deuxième coup de massue »
Coucher 3h, avec l’adrénaline du match. Opération programmée à 17h. Entre-temps, une journée à tuer, et la nécessité d’être à jeun. Donc entre-temps, un réveil ultra matinal, à 7h, pour manger une dernière fois. L’intervention n’est pas très lourde, puisqu’il peut repartir en marchant, mais consiste en une ablation du testicule, par voie inguinale, soit une incision au niveau de l’aine. « C’est obligé, il n’y a pas d’autres moyens pour ne pas que ça se propage ailleurs. »
À la base, Kim Tillie devait juste se faire opérer, observer trois semaines de repos pour récupérer de la cicatrice et reprendre trois semaines plus tard. Si seulement… Un mois après, alors qu’il était quasiment prêt à rejouer, le verdict de la biopsie tombe. La tumeur avait commencé à se répandre ailleurs, c’est un cancer agressif : des séances de chimiothérapie préventives sont recommandées. « Deuxième coup de massue », souffle-t-il. « Ça, c’était vraiment le plus dur. » L’oncologue lui dit qu’il aura entre 30 et 50% de chance de récidive sans chimio, moins de 10% avec. Le patient Tillie n’hésite pas. « 30 à 50%, c’est énorme… » Place aux jours les plus longs…
« La chimiothérapie m’a vraiment mis au sol »
Polyclinique du Parc à Cholet, alité pendant une semaine. Un cathéter dans le bras, branché jusqu’au plus profond de son système immunitaire, tout proche de son cœur. « Connecté 24h/24 pendant cinq jours », soupire-t-il. « Être toujours branché, je ne trouvais pas ça top. » Tout passe à travers ce petit tuyau implanté sous la peau, notamment les produits de chimiothérapie. Un mot qui fait peur ? « Un peu, oui », admet-il. Si un sportif professionnel se fait plus opérer que la moyenne, en raison des inévitables blessures, la chimiothérapie sort complètement du cadre théorique.
« L’oncologue m’avait prévenu que ça irait, car j’étais sportif et plutôt jeune. J’ai pris tous les médicaments anti-nausée prescrits et ils sont utiles. De fait, pendant les premiers jours, ça n’allait pas trop mal. J’avais juste quand même un peu des nausées, des vertiges, une perte d’appétit. » L’ennemi, c’est surtout l’ennui. Une semaine enfermé dans un hôpital, c’est long, surtout quand on devrait théoriquement préparer une finale de Coupe d’Europe… « Mes coéquipiers sont venus me voir, mes parents aussi, j’avais de la visite, ça aide à faire passer le temps. » Parce qu’une session de cinq jours, cela semble déjà interminable, alors « imaginez les gens qui doivent faire 6 mois… »
En tout, Kim Tillie a effectué trois cycles de chimiothérapie : une première semaine, le mardi de la deuxième semaine et le mardi suivant. Avec les inévitables effets secondaires. « J’ai perdu tous mes poils partout : barbe, cheveux, je n’avais plus rien. Et quand je suis rentré le week-end chez moi, j’ai tout eu d’un coup : comme une gueule de bois, avec tout en même temps, Covid, fièvre, vertige. C’était horrible. L’opération, ça allait en soi mais c’est la chimio qui m’a vraiment mis au sol. »
Redevenir basketteur
Douleurs aux oreilles, grande fatigue : les symptômes post-chimio ont laissé quelques souvenirs de l’hôpital. « La reprise a été un peu dure », indique-t-il, même si l’altitude de Salt Lake City, où l’ex-étudiant de l’Université d’Utah est rentré, aide pour le retour du cardio. « Je n’avais pas fait de sport pendant 6-8 semaines. J’ai commencé à m’entraîner progressivement entre juin et juillet pour être prêt début août à la reprise de Cholet. » Afin d’être, de nouveau, un joueur comme les autres, redevenir le tonton du vestiaire choletais, le capitaine de route à la Meilleraie. « J’ai presque fait tout comme tout le monde ! C’est une fierté de reprendre, surtout à mon âge : je suis l’un des plus vieux du championnat ! »
Même si, paradoxalement, ce ne fut pas son épreuve la plus difficile pour retrouver les parquets. « J’ai eu des blessures bien pires, comme ma rupture complète de l’adducteur avec l’Olympiakos en 2017/18. Là, ça avait été vraiment compliqué. En l’occurrence, je me suis remis comme s’il s’agissait d’une blessure quelconque en fait. Il fallait juste retrouver un état de forme général, du cardio, des muscles. » Un travail physique, peut-être un peu trop intense en août, dont Kim Tillie a certainement subi un ricochet malheureux le 24 septembre à Dijon avec une déchirure d’un tendon sous le pied gauche, occasionnant deux mois d’arrêt.
Un simple contretemps… « Depuis, je me sens plutôt bien ! » Et c’est surtout aussi vrai pour sa santé puisque son check-up semestriel le 7 mars, avec scanner et consultation chez l’urologue, a donné entière satisfaction. « Tout est bon », sourit-il. « Rendez-vous dans six mois ! » Des piqûres de rappel indispensables pendant cinq ans, avant de définitivement tourner la page, comme si rien ne s’était pas passé… Il restera simplement la trace d’une cicatrice en bas de l’abdomen, et un dernier souvenir en forme de… prothèse testiculaire. « Quand on a commencé à parler de l’opération, l’urologue a ouvert son tiroir et a pris tout un tas de boules en silicone et m’a dit qu’on pouvait faire ça si je voulais. J’ai pensé : Oh là là, c’est pas vrai… », se marre-t-il. La preuve, pourtant, des progrès de la médecine, qui lui ont sauvé la vie. « Si j’étais né il y a 100 ans, je serais mort en fait. C’est ça qui est fou… »
L’admiration choletaise : Kim Tillie, « le vétéran ultime »
Laurent Vila : « À la suite du diagnostic de Kim, la première vigilance concernait sa santé, et toute l’inquiétude qu’une telle annonce comporte, en attendant le résultat des examens. Une opération chirurgicale, potentiellement de la chimiothérapie, c’est quelque chose de lourd. Kim a tout de même tenu à disputer la demi-finale de FIBA Europe Cup, ça lui tenait à coeur. Sa présence nous a largement aidés. Mais il fallait évidemment qu’il aille au bout des choses avec sa santé. On a, l’équipe et le club, été avec lui, à ses côtés, comme sa famille. Il y a eu de la solidarité, on a fait corps par rapport à sa situation.
C’était un moment très particulier. Mais en général, tous les sportifs qui sont touchés font face et peuvent même revenir à leur meilleur niveau. C’est exemplaire de pouvoir suivre ces histoires-là : la preuve avec Kim, qui est toujours avec nous et fait une bonne saison. On en est très heureux. On est surtout très heureux que ce soit derrière lui maintenant…
S’il a connu des soins assez lourds, Kim a finalement eu une période assez courte. Son corps a souffert pendant cette période-là mais il s’est bien remis. Il a toujours fait preuve de discipline, il connait bien son corps et ça lui a servi. À la reprise début août, on l’a retrouvé comme si on ne l’avait jamais quitté. Il a été touché au pied en début de semaine mais il a été très peu blessé cette année. Par rapport à ce qu’il a subi, je trouve qu’il est très bien revenu. »
Emmanuel Nzekwesi : « Kim Tillie est le vétéran ultime. Il n’est pas tourné vers ses statistiques : il s’intéresse seulement à la victoire, au fait d’aider son équipe, ses coéquipiers. C’est rare de jouer avec un gars comme ça. On ne voit pas souvent des vétérans comme lui continuer à jouer à un si haut niveau. Kim est désintéressé, travaille dur et est tourné vers le collectif. Il faut lui donner beaucoup de mérite pour cela. »
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