ITW Laurent Legname : « Je sais que j’ai fait une erreur en quittant Dijon »
Laurent Legname a déjà entraîné la JDA Dijon entre 2015 et 2021
903 jours. Deux ans, cinq mois et vingt jours se sont écoulés depuis la dernière apparition de Laurent Legname sur le banc de la JDA Dijon. C’était sur la plus grande scène possible en France, une finale de championnat, perdue 74-87 face à l’ASVEL dans le cadre d’un Final Four à Rouen. Une conclusion à la hauteur d’une « époque extraordinaire » en Côte d’Or, selon les mots du principal intéressé : six années marquées par un trophée (la Leaders Cup 2020), deux premières places de saison régulière et un podium européen en Champions League, le tout avec des moyens étriqués (12e budget du championnat en 2020/21).
Depuis, Laurent Legname n’a plus respiré à de telles hauteurs. Que ce soit à Bourg-en-Bresse, où la greffe humaine n’a pas pris, ou Gravelines-Dunkerque, où subsiste un fort sentiment d’inachevé, le technicien varois n’a pas connu plus haut que le ventre mou de Betclic ÉLITE, écornant un blason intact jusque-là, lui qui était autrefois légitimement considéré comme le meilleur entraîneur français du championnat. Un choix a tout changé, celui de quitter la JDA au printemps 2021 pour tenter d’aller voir plus haut. Mais l’ancien entraîneur du BCM, démis de ses fonctions le 9 octobre après une claque à… Dijon (69-90), est de retour à la case départ, prêt à renouer avec le fil de sa fantastique histoire bourguignonne. Laurent Legname à Dijon, acte 2, cela démarre dès ce samedi face au Limoges CSP (à 18h30).
Laurent Legname entraîneur de la JDA Dijon, cela a une connotation assez familière…
Bien sûr. Mais avant tout, je suis très heureux de retravailler. Quand un coach ne travaille pas, il y a un manque. Qui plus est dans un club que j’aime et une ville pour laquelle j’ai beaucoup d’affinités et d’affection… Alors j’en suis doublement heureux.
Comment s’est déroulée cette signature ?
Ça a été extrêmement rapide. Je n’ai pas hésité une seule seconde à prendre ce poste-là. Pour les raisons que je viens d’expliquer, la réponse a été immédiatement oui. Ça s’est vraiment fait très vite.
« Une équipe qui joue avec le frein à main, du stress et de la crainte »
On imagine bien que vous n’avez encore rien eu le temps de mettre en place mais comment se passe la prise en main de cette équipe pour l’instant ?
J’ai dirigé mon premier entraînement jeudi après-midi. J’ai beaucoup échangé avec les joueurs, j’ai essayé de le faire collectivement et individuellement. Après, vous vous doutez effectivement bien qu’aucun coach ne peut changer quoi que ce soit en deux entraînements. C’est surtout sur l’aspect hors-terrain, l’aspect mental qu’on peut éventuellement tenter d’influer les choses. J’ai expliqué certaines principes de jeu et ma philosophie mais ça va mettre du temps avant que l’équipe et moi n’arrivions à ce que je veux. Surtout qu’il y a la Coupe d’Europe au milieu, en semaine. Il y aura sûrement plus de séances vidéos pour arriver au plus tôt là où on le souhaite.
Après l’année dernière, c’est la seconde fois de votre carrière que vous reprenez une équipe en cours de saison… Mais la situation est différente qu’à Gravelines, où vous étiez vraiment arrivé dans une situation de crise. Cette fois, l’urgence comptable est moindre, et vos joueurs viennent même de décrocher leur qualification pour le Top 16 de la Champions League.
C’est vrai que l’expérience de la saison dernière me sert. J’étais arrivé à Gravelines à la fin du mois de novembre. Après, il y a une différence, c’est que je connais déjà trois joueurs : David (Holston), Jacques (Alingue) et Robin (Ducoté). Et il y a aussi Vincent (Dumestre, son assistant) et Adrien (Curie, le préparateur physique) qui me connaissent dans le staff. C’est un gain de temps qui est indéniable. Après, vous avez raison sur la situation comptable mais j’ai vu une équipe qui doit retrouver de la confiance. Dès que j’ai su que j’allais reprendre la JDA, j’ai regardé trois matchs en une soirée et après avoir échangé avec les joueurs, j’ai surtout l’impression que c’est l’aspect mental qui est important. Dans un premier temps, on va s’attacher à ça.
Justement, quel est votre regard sur cette équipe et ce qui lui manque, outre de la confiance ?
Alors, déjà, ce n’est qu’une impression, qu’un regard extérieur tiré des trois matchs regardés. Peut-être que je me trompe, c’est pour ça que j’échange beaucoup avec les joueurs et le staff. Je n’ai aucune certitude. Il m’a semblé que c’était une équipe qui jouait avec le frein à main, avec du stress et de la crainte, plutôt qu’une équipe libérée, qui joue pour vraiment gagner. Encore une fois, peut-être que je me trompe.
« Je ne m’attendais pas du tout à mon éviction à Gravelines »
Vous sortez d’un début de saison raté au BCM Gravelines-Dunkerque, où vous avez été renvoyé après six défaites lors des six premiers matchs. Que s’est-il passé ?
De l’aveu de tous, la saison dernière s’est très bien passée. Quand je suis arrivé au BCM, le club était relégable et tous ensemble, on a échoué à un panier des playoffs. Tout le monde était content de ce qui a été fait, on avait vraiment bien travaillé. Cette année, on n’a pas eu une présaison facile : il y a eu beaucoup de blessés comme Kris Clyburn, des arrivées tardives avec Vafessa Fofana à la sortie de la Coupe du Monde, notre pivot (Landry Nnoko) qu’on a récupéré que début septembre, Caleb Walker qui n’est arrivé que mi-septembre. On a effectué une présaison avec seulement 5, 6 ou 7 pros. Or, par rapport à ma philosophie, la présaison est importante pour construire une identité et ce que je veux mettre en place. On n’a pas vraiment eu le temps de travailler. Lorsque les trois arrivent, Loren Jackson se blesse. On a dû faire notre premier entraînement au complet l’avant-veille du premier match, à Blois. Ensuite, on a eu une semaine pleine pour préparer la rencontre contre l’ASVEL, que l’on doit gagner. On ne la gagne pas pour des raisons externes à nous (le BCM avait exprimé son courroux contre l’arbitrage après coup, ndlr). Pourtant, on fait un vrai bon match. Ensuite, on a enchaîné des matchs tous les trois jours, sans vraiment avoir le temps de travailler. On perd nos cinq premiers matchs entre 1 et 5 points (entre 2 et 8, ndlr) puisqu’ils se jouent tous sur les dernières possessions. Et ensuite, même s’il y avait de la progression, on perd de la confiance quand on ne gagne pas. Résultat des courses, je me fais virer après la défaite à Dijon, qui est notre seul gros éclat (69-90).
Ma faute est sur le recrutement qu’on a loupé, notamment sur les meneurs et sur le poste 4, où Hans (Vanwijn) avait du mal à revenir à niveau. C’était un pari et je l’ai perdu. Concernant les deux meneurs (Loren Jackson et Thomas Cornely), on a bien vu sur les cinq premiers matchs qu’on n’avait pas ce meneur capable de gérer les temps forts et les temps faibles d’une rencontre, capable de faire les bons choix. Loren est un super mec, qui travaillait, qui voulait bien faire, mais il avait un peu de mal. C’est un ensemble de petites choses qui a abouti à cela. Avec Olivier (Bourgain), on avait très rapidement vu tout ce qu’il fallait remédier. En somme tout ce que le BCM a fait par la suite, avec les ajustements de plusieurs joueurs. Je garde tout de même un très bon souvenir du club. Tout le monde l’oublie mais la saison dernière s’est très bien passée. J’ai été vraiment heureux dans ce club et on a fait de belles choses. Sans changer un seul joueur, mis à part Kenny Boynton à la place de D.J. Seeley, ce n’était pas évident de partir de la zone de relégation pour arriver aux portes du Top 8. Je conserve ce côté positif de l’aventure du BCM.
Comment avez-vous vécu votre éviction mi-octobre, votre deuxième en un an et demi ?
Pas bien, car je ne m’y attendais pas du tout. Je pensais déjà que l’on allait remédier à l’équipe, tout simplement. Qu’on allait faire des ajustements, comme le font tous les clubs, à l’image du Portel qui a changé ses joueurs et ré-équilibré son équipe. Avec Olivier, on ne nous a pas laissé le temps de faire cela alors qu’on avait identifié des trucs. Ce qui est, entre guillemets, triste, c’est qu’ils l’ont fait après. Une fois que nous étions partis. Je ne m’y attendais pas donc j’étais triste, forcément. Après, je sais que c’est la dure loi du métier.
Entre Bourg-en-Bresse et Gravelines-Dunkerque, cela fait désormais deux expériences contrastées. Vous qui étiez l’un des entraîneurs les plus cotés en 2021, sentez-vous que votre réputation est désormais altérée ?
Il faut toujours faire attention. Je sais ce que je fais. Je sais les relations que j’ai avec mes joueurs, avec mes assistants, avec toutes les personnes avec qui je travaille quotidiennement. La réputation, des fois, c’est infondée. Les gens ne voient que la partie émergée de l’iceberg, comment je suis au bord du terrain. Ils ne voient pas le reste. Même si, honnêtement, et tout le monde me le dit, des gens observateurs et objectifs, il y a eu beaucoup d’amélioration sur le bord du terrain. Mais je reste comme je suis, avec mes qualités et mes défauts. Une réputation, je sais très bien que c’est facile à mettre sur quelqu’un et très difficile à s’en défaire. Je ne m’attarde pas là-dessus.
« Je ne suis pas le même qu’il y a deux ans et demi »
En l’occurrence, plus que le bord du terrain, c’est surtout la réputation sportive qui est en jeu, avec des résultats moindres qu’avant…
Alors les résultats… Pour être objectif, à Bourg, nous étions 10e à quatre journées de la fin, à un seul match des playoffs, lorsque je me fais renvoyer fin avril. Je suis bien conscient que c’est en deçà des attentes, par rapport à l’effectif que l’on avait, il n’y a aucun problème là-dessus. Mais ce n’était pas non plus catastrophique. Lors des quatre derniers matchs, on affrontait les trois derniers. On pouvait légitimement toujours espérer accrocher les playoffs, on ne le saura jamais. On a déjà parlé de l’année dernière à Gravelines, qui s’est très bien passée, et peut-on réellement juger cette saison sur six matchs ? Si l’on regarde cela de manière brut, cela fait deux expériences contrastées, comme vous le dites. Après, suis-je dans le faux dans mon identité, dans ce que je propose en terme de basket ? J’y crois encore. Dans une carrière de coach, il y a forcément des très hauts, comme à Hyères-Toulon et à Dijon, ou des bas, comme quand j’en ai eu à Bourg ou ce début de saison. Il faut avoir beaucoup de recul et d’objectivité par rapport à cela, aussi essayer de progresser car il y a toujours des erreurs qui sont faites, le recrutement en l’occurrence à Gravelines. Il faut avoir une analyse assez lucide afin, justement, d’essayer de retrouver des hauts ensuite.
Cela ressemble à un retour à la case départ, mais le Laurent Legname qui revient à Dijon est-il le même que celui qui en est parti ?
Non, je ne suis pas le même, c’est une certitude. C’est comme dans la vie : quand on réussit ou quand on prend des coups durs, on évolue. Ça m’a permis de vraiment progresser à tous les niveaux. J’ai pris l’expérience de ce qui s’est passé. Sans même parler de basket, je ne suis pas le même homme qu’il y a deux ans et demi. Mais je garderai cette rigueur et cette exigence dans le travail car ce sont des valeurs essentielles dans le haut niveau selon moi. Je n’y dérogerai pas. Selon les clubs, selon les personnes, il n’y a pas la même définition derrière les mots d’exigence, de travail et de rigueur. Je l’ai vu et je l’ai appris en faisant différents clubs. On peut mettre une connotation différente derrière chaque mot mais personnellement, j’aurai toujours ces valeurs car elles définissent le haut niveau et permettent aux équipes et aux joueurs de progresser.
Avec du recul, était-ce vraiment la bonne décision de quitter la JDA Dijon en 2021 ?
Honnêtement, non. Avec le recul, j’ai fait une erreur. Mais si je ne l’avais pas fait, peut-être que j’aurais regretté de ne pas être parti… Je suis un grand garçon et j’assume : je sais que c’était une erreur d’être parti. Mais ça, on ne peut le savoir qu’après. Il faut aussi avoir l’honnêteté, la lucidité et le recul pour dire que c’était une erreur et je l’ai. Bien sûr que deux ans et demi après, c’était une erreur de quitter Dijon. J’assume, tout simplement.
Ses explications sur son choix de quitter Dijon pour Bourg à l’époque :
« Franchement, ça a été une décision extrêmement difficile à prendre. La JDA voulait me garder, Bourg m’avait dragué, entre guillemets, dès que Savo (Vucevic) avait dit qu’il voulait prendre du recul. J’ai pesé le pour et le contre. J’ai trouvé le projet de la JL très intéressant. C’est un club qui monte en puissance, à la fois en terme de structures, d’organisation. C’est une ville basket, il y a un vrai public, il y a une histoire. La salle permet aussi de faire pas mal de choses, avec notamment un terrain d’entraînement et de belles installations. Le fait d’avoir l’EuroCup a également joué, c’est une compétition très intéressante. Et je me suis dit qu’après six ans, pour moi, il fallait peut-être aussi que je vois autre chose, un autre environnement, pour progresser. De plus, les moyens financiers sont un peu supérieurs à ceux de Dijon. La JL est un club qui grandit, qui n’est sûrement pas arrivé au bout de ses possibilités. Il y a ce challenge de continuer à le faire progresser. Je sais que certains ont trouvé mon choix bizarre mais en France, il n’y avait pas beaucoup d’autres possibilités. Monaco ? Ils ne prennent que des coachs étrangers. Villeurbanne ? T.J. Parker fait du très bon boulot. Ça réduit d’emblée la liste. Objectivement, il n’y avait pas d’autre choix que Dijon ou Bourg. »
Propos recueillis en août 2021
« Désormais la même affection pour Dijon que pour mon Sud »
Outre le basket, vous avez aussi un lien spécial à la ville de Dijon, où vous étiez retourné vivre après vos départs de Bourg-en-Bresse et Gravelines…
Bien sûr, quand on a vécu six ans au même endroit… C’était vraiment pour des raisons familiales. Quand tu as des enfants qui ont grandi à Dijon et que tu ne sais pas où aller, tu reviens là où tes enfants se sentent bien. N’importe quel père de famille aurait fait la même chose. Mais j’ai aussi un très, très fort attachement à cette ville. Parfois, on se sent bien dans un endroit, pas bien dans un autre, on ne sait pas trop pourquoi. C’est une ville qui correspond à ma mentalité, qui correspond à ce que je recherche dans la vie, pas trop grande ni trop petite. Au-delà du sport, c’est une ville qui vit. Maintenant, j’ai aussi beaucoup d’attaches et d’amis à Dijon. Au même titre que mon Sud, que Hyères ou Toulon, j’ai désormais la même affection pour cette ville-là et ça ne s’explique pas. J’y étais retourné après Bourg, là j’étais revenu depuis un mois. Je suis vraiment bien ici, mes filles aussi, même si la grande est partie. Et c’est réciproque, je le vois. Il y a un vrai attachement humain avec les gens, hors basket. On se rapproche et on véhicule les mêmes valeurs.
Quelles sont vos attentes pour le match de samedi contre le Limoges CSP ?
Ce serait impossible de tout changer en deux jours. Mais de ce que j’ai vu depuis que je suis arrivé, de ce que j’ai ressenti à travers nos échanges où j’ai beaucoup écouté mes joueurs, je veux juste qu’ils retrouvent du plaisir, du fun. Et qu’ils se donnent à fond sur le terrain, tout simplement. S’ils retrouvent ces notions-là, je pense que la confiance reviendra aussi. Je l’espère du moins.
Ses retrouvailles avec David Holston
« David, c’est plus qu’une relation de joueur – coach. Je ne vais pas dire que c’est devenu un ami mais c’est quelqu’un dont je suis proche. Ça fait presque dix ans qu’on se connait. Sans se parler, sans se voir pendant longtemps, on s’envoie toujours des textos sympas. Sans même parler basket, plus sur la vie : je m’intéresse à sa famille, à sa fille, on parle de restos, de bouffe. Nos retrouvailles se sont faites tout naturellement. J’étais très content et il l’était aussi. »
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