Isaïa Cordinier, la saison blanche qui a tout changé : « C’est un visionnaire »
Isaïa Cordinier, d’une saison blanche aux JO de Paris
Il en faut du courage, à 20 ans, pour se dire que l’on va s’arrêter de jouer. Que cet arrêt, d’apparence sûrement interminable pour un si jeune joueur, sera finalement bénéfique sur le long-terme. Il en faut de la vision, aussi. « Ça a été fait dans l’optique de me retrouver dans la situation où je suis aujourd’hui », souffle Isaia Cordinier, devenu athlète olympique cette année.
Peut-être était-il bien le seul à y croire. Car en 2017/18, le reste du basket français se demandait surtout si le natif de Créteil retrouverait un jour ses capacités, celles qui avaient fait de lui le premier joueur de Pro B de l’histoire à être drafté en NBA (en 44e position par Atlanta en 2016). Après avoir lancé sa carrière professionnelle entre Évreux et Denain, Isaïa Cordinier était revenu au bercail en 2016/17, à Antibes, pour finalement connaître une saison bien terne avec les Sharks (6,5 points à 36%, 2,8 rebonds et 1,9 passe décisive). Et pour cause, le jeune ailier était handicapé par des douleurs chroniques au genou depuis près de cinq années.
« Ses genoux nivelaient son niveau vers le bas »
« Il a toujours eu cette petite gêne du joueur qui grandit vite, qui est hyper explosif et qui s’entraîne beaucoup », révèle l’un de ses premiers entraîneurs dans le Sud, Christian Corderas. « Il ne disait jamais qu’il avait mal, qu’il devait s’arrêter. » Jusqu’à ce que ce ne soit vraiment plus possible d’avancer… « Ses genoux nivelaient son niveau vers le bas, il n’y arrivait plus. » Déjà contraint de renoncer à la fin de son exercice ébroïcien puis à l’EuroBasket U20 à l’époque, Cordinier avait suivi un premier protocole de soin jusqu’à la fin août après sa Summer League NBA (dernier match au 16 juillet). Infructueux. Puis un deuxième, jusqu’en novembre, censé lui permettre de reprendre les entraînements avec opposition. Mais rien n’y fait. « J’avais deux tendinopathies chroniques qui ne passaient plus, ni avec le soin, ni avec le repos, ni avec la muscu. Il fallait passer par une opération. »
Et donc par une saison blanche, à l’heure où tout le monde scrutait les performances de l’homme dont les droits NBA appartenait à Atlanta. L’Azuréen a été opéré des deux tendons rotuliens en janvier 2018, à Lyon, par une sommité dans le milieu, Bertrand Sonnery-Cottet. Pour quasiment tout reprendre à zéro… « Il est passé d’athlète drafté à une personne assise sur son canapé, incapable de se déplacer, avec des cicatrices énormes sur les deux genoux », retrace Christian Corderas. Démarre alors une interminable rééducation, de l’ordre de dix mois, entre Hauteville-Lompnes (Ain), Berck (Pas-de-Calais), le CREPS PACA et Antibes. « C’était un long combat contre moi-même », souffle l’ailier des Bleus. Son coach se souvient des premières séances, « assis sur une chaise devant un panier », à renouer avec la panoplie du basketteur : tir, dribble, dextérité. « Ça lui a fait du bien de se sentir de nouveau compétiteur. Qu’on soit debout ou assis, on a besoin de sentir si son tir rentre ou pas. »
462 jours sans jouer
En collaboration avec Christophe Keller, préparateur physique, Christian Corderas orchestre un travail de « minuterie ». La reprise est progressive, millimétrée. « Il fallait faire attention aux doses, aux charges de travail : savoir quand on remet des sauts, des courses, savoir si l’on fait une ou deux séances par jour. Le process de le remettre sur pied a été long par rapport à ça. » Et si Isaïa Cordinier confesse que « le doute existe forcément », il ne se laisse pas aller à des phases de spleen ou de découragement en restant sur le côté, pendant que tous ses copains de la génération 1995/96 commencent à se faire un nom, Timothé Luwawu-Cabarrot en tête, à Philadelphie. « J’étais vraiment focus avec un objectif en ligne de mire », avance-t-il. « Sur ce plan-là, il m’a vraiment impressionné », ajoute Corderas. « Ce mec bosse plus que les autres. Il était là avec un but en tête et il n’en a jamais dévié. » La preuve ? Ces propos, que le joueur avait tenu à notre micro en plein milieu du processus, complètement similaires à ceux énoncés cette année. « Le basket me manque, c’est ma passion, c’est mon métier, c’est ce que j’ai envie de faire et là où j’ai envie de performer mais je savais pourquoi je le faisais. J’ai pris cette décision pour atteindre mes objectifs, qui sont très élevés. Et je ne me fixe pas forcément de limites. Si je veux les atteindre, il faut que je sois à 100% de mes moyens et c’est pour ça que j’avais une ligne de conduite toute l’année. Je savais où j’allais, je savais ce que je faisais donc elle n’a pas été si difficile que ça. »
De nouveau embauché par les Sharks d’Antibes, Isaia Cordinier retourne à la compétition le 19 octobre 2018, lors d’un naufrage contre Chalon (4 points et 4 balles perdues en 15 minutes, défaite 63-100). Qu’importe : 462 jours après, le revoilà devenu basketteur. Et six ans plus tard, comme son père à Atlanta, athlète olympique, lui qui avait eu le coeur brisé en étant le dernier abandonné aux portes du village à Tokyo en 2021. « C’est une immense fierté de faire les Jeux », soufflait-il, les yeux rouges, à Lyon au milieu du mois de juillet après avoir appris sa sélection. « C’est la somme de beaucoup de travail et de résilience, d’être resté vrai envers moi-même. »
Et c’est peut-être surtout dans l’anonymat de la Salle Foch, lors de ces longs mois de 2018, que s’est bâti la psychologie de l’homme qui sera appelé à défendre sur la star NBA Shai Gilgeous-Alexander ce mardi soir. « J’ai toujours pensé que c’était un visionnaire », clame Christian Corderas. « Il a parié sur lui quand il était jeune en se disant que son année blanche allait le faire repartir sur une courbe exponentielle alors que la sienne stagnait un peu. Il a toujours pensé qu’il n’atteindrait pas son plafond avec ses genoux de l’époque, qui étaient devenus un facteur limitant. Ça a été une épreuve dure mais cela lui sert aujourd’hui dans sa construction, son mental, la réalisation de ce qu’il veut être. Il en est ressorti beaucoup plus fort mentalement. Le joueur qu’il est aujourd’hui, c’est grâce à cette saison blanche. »
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