« Il ne manque pas grand chose aux clubs français » : Anthony Brossard (ASVEL) débriefe le tournoi de Patras
Comment se mettre dans le bain pour affronter un club espagnol ? Regarder, encore et encore, le discours – devenu légendaire – de Tony Parker à la mi-temps de la demi-finale contre la Roja à l’EuroBasket 2013. Il n’y a rien de mieux et c’est le choix opéré par le staff villeurbannais avant d’affronter Badalone, dimanche, en finale de l’EuroLeague junior de Patras. « C’est plus qu’une finale, c’est plus grand que ce que vous pensez », disait alors Mike Happio, coach principal des U18 et assistant d’Anthony Brossard, le temps de cet intermède grec. Sauf que de sacre, il n’y en a guère eux. Les espoirs de back to back, après la victoire au tournoi de Belgrade l’an dernier, ont rapidement été douchés (défaite 71-56). Au final, l’addition est lourde mais les enseignements riches.
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De retour à la Tony Parker Adéquat Académy en lieu et place de Pierre Parker, après un passage à LyonSO, Anthony Brossard dresse un bilan plus que positif de ce week-end grec. Disciple de Pierre Murtin, il en est convaincu : un club français, autre que l’INSEP, remportera le tournoi final dans un futur plus ou moins proche. L’autre formation française, Cholet Basket, termine à une très honorable troisième place pour sa première participation à cet événement. Seulement battue par Badalone (57-60) d’entrée.
Le technicien villeurbannais évoque également les belles promesses de Yohann Sissoko (né en 2006) et de Mervyn Muamba (né en 2005) mais aussi d’Oscar Wembanyama (né en 2007), forcément sous le feux des projecteurs grâce à son frère ainé.
Vous venez de perdre en finale de l’ANGT de Patras contre Badalone (71-56). Quel regard portez-vous sur votre prestation ?
On est déçu parce qu’on ne fait pas notre meilleure prestation du tournoi. Dans le 3e quart-temps, on est devant au score mais on ne maîtrise pas complètement notre sujet. Ce sentiment s’est avéré juste puisque dès qu’on avait un temps faible, on a pris l’eau et on n’a jamais réussi à revenir.
On a beaucoup tiré sur certains joueurs pendant les trois premiers matchs et à la fin, il y a un peu de fatigue. Comme on a un groupe plutôt très jeune, on n’a pas su répondre à Badalone collectivement dans les moments où on était un peu moins bien. C’étaient des réponses individuelles, chacun son tour. Il nous manque un peu de fraîcheur et de maturité pour faire la différence.
Quels enseignements allez-vous tirer de ce tournoi ?
En ce qui nous concerne, on a gagné en maturité. On a des joueurs qui ont montré des choses positives alors qu’on a vu des petites limites chez d’autres. Globalement, c’est une grande réussite.
Quand les équipes françaises se présentent à ce genre de tournois, elles sont très compétitives. Il y a quelques années encore, on était content d’être invités et c’est tout. Maintenant, on est prétendant à la victoire finale. Il faut qu’on ait conscience de la qualité de notre formation et de nos centres de formations. On a clairement notre place ici. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne manque pas grand chose aux clubs français. On ne doit pas avoir ce sentiment d’infériorité face à n’importe quelle équipe. J’ose espérer que dans les années à venir on franchisse ce dernier pallier mais on n’a jamais été aussi proches. Je suis persuadé qu’à terme un club autre que le Pôle France remportera le tournoi final.
Ce n’est pas un reproche mais je suis surpris qu’il n’y ait eu aucun représentant de la Fédération française de basket sur le tournoi, alors qu’il y avait 25 joueurs français. Ça me fait mal au cœur. Pour les Espagnols, c’est plus qu’un sport. C’est autre chose. On est encore trop timides. On n’est pas assez ambitieux. Il faut qu’on prenne conscience que notre formation est très bonne et qu’on a un vivier exceptionnel.
Le prêt de Mathis Courbon (Roanne) pour ce tournoi s’est révélé très concluant.
Complètement ! Mathis n’était pas anonyme jusqu’à maintenant mais il a été exposé sur ce tournoi. Je pense qu’on peut travailler avec les autres centres de formation français pour ce genre d’événements. Si on a la possibilité de s’entraider entre structures, ce n’est que bénéfique pour les deux parties. En tout cas, il faut aller dans ce sens. C’est un tournoi où les équipes françaises doivent être présentes et compétitives. On doit être solidaires entre nous. C’est dans l’intérêt de nos jeunes et il faut qu’on arrive à travailler un peu plus ensemble. On est prêts à tendre la main aux autres clubs pour accueillir leurs jeunes et mettre en avant le bon boulot qu’ils font dans la formation.
« Yohann Sissoko a du Matthew Strazel en lui »
Vous tombez contre Badalone, une équipe espagnole mais les équipes françaises sont de plus en plus solides sur ce genre de rendez-vous. Avez-vous l’impression que le basket français a refait son retard sur le basket espagnol ?
Il nous manque encore ce côté compétition. C’est la dernière marche qu’on doit franchir pour prendre les devants sur l’Espagne. Elle a une vraie culture de la gagne lors de ces événements-là. C’est peut-être ce qu’il nous fait défaut en France.
On n’enseigne pas assez la culture de la gagne. Par exemple, il y a directement un Final Four en U15. Il n’y a pas ces matchs couperets avec un huitième et un quart…
En face, Badalone était obsédé par la victoire. Ça se ressentait dans leurs attitudes. Quand les Espagnols avaient un temps fort, ils nous sautaient à la gorge. Le banc était tout le temps debout, mettait la pression aux arbitres… Ils ont une culture de la gagne au-dessus de la nôtre. Mais sur le basket, on n’est pas ridicules du tout.
Le niveau du tournoi était hétérogène mais nos équipes françaises étaient surtout très bonnes. On se faisait la réflexion avec le staff après coup et je pense que si des équipes comme l’Olympiakos jouaient dans notre championnat U18, elles seraient très compétitives.
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Au rang des satisfactions, il y a notamment Yohann Sissoko et Mervyn Muamba. Que pouvez-vous nous dire sur ces deux joueurs-là ?
Ce sont des joueurs déjà responsabilisés en Espoirs et qui sont dominants dans leur catégorie d’âge. Mervyn connait une vraie progression. C’est un jeune issu du club qui progresse d’années en années. Maintenant, il doit s’éloigner du cercle pour jouer au haut niveau. Il me fait penser à Amine Noua qui jouait au poste 5 en jeunes et qui évolue aujourd’hui sur le poste 4.
Yohann Sissoko a du Matthew Strazel en lui. Il a cette formation de Marne-la-Vallée. Il n’a peur de personne, c’est un fort joueur de un contre un. Ils ont montré de belles choses mais on va encore les peaufiner pour en faire des joueurs dominants et aptes à passer professionnels dans les années à venir.
« Oscar Wembanyama est en train d’écrire sa propre histoire »
Oscar Wembanyama, du fait de son nom, a attiré beaucoup de scouts sur le tournoi. Comment est-il ?
Il est forcément intrigant parce qu’il s’appelle Wembanyama. Au-delà du bon basketteur qu’est son frère, Victor possède un physique hors norme, à plus de 2,20 m. Oscar ne l’est pas car il est à un peu plus de 2,00 m mais il n’a pas fini de grandir. Il peut gagner pas mal de centimètres. Il a un vrai profil de joueur de très haut niveau. Il a un an et demi de basket donc forcément il a des lacunes techniques et tactiques. Le point positif, c’est que c’est un gamin passionné, il est en train d’écrire sa propre histoire. S’il continue physiquement de se développer, je pense qu’il sera dominant sur ce genre de tournoi dans les années à venir.
Oscar, c’est un faux poste 4. Il a des habiletés de poste 3. Il est à l’aise balle en main mais il joue un peu plus à l’intérieur car il a encore besoin de progresser techniquement. Je pense que ce sera un poste 3 de très grande taille. Un peu à la Nicolas Batum. C’est le même profil longiligne. Il a un bon tir et un jeu sans ballon intéressant. Il a un peu la même personnalité : un joueur très respectueux, très poli et très porté sur le collectif. Oscar est dans les temps pour un jeune qui a un an et demi de basket. On n’a pas d’objectif de résultat à court terme avec lui mais plutôt des objectifs de développement.
NOUS SOMMES EN FINALE !
Après un match à haute intensité, nos U18 se qualifient pour la finale de l’Euroleague Juniors 😍 !
Back to back ?
Réponse demain 16h (15h en France) pic.twitter.com/CJuGgPGY12— ASVEL BASKET ⚪️⚫️ (@asvelbasketasso) February 11, 2023
Qu’est-ce que vous apporte de disputer un tel tournoi ?
Déjà, on joue des matchs en cours de saison d’un niveau d’intensité comparable à des rencontres de niveau international. C’est 40 minutes où personne ne lâche. Il y a des enjeux, de la pression. L’EuroLeague juniors, c’est un accélérateur d’expérience. De la compétition, de l’intensité… C’est un peu de l’intraveineuse.
Ça permet aussi de montrer aux autres nations que la France n’est pas un pays à négliger par rapport à la formation. Nous qui côtoyons des joueurs étrangers, ça nous conforte dans l’idée de nous dire qu’on ne doit pas s’interdire d’aller chercher un ou deux profils internationaux pour compléter notre effectif. C’est ce que toutes les équipes font ici. On est clairement dans cette tendance-là. On privilégiera toujours les joueurs français mais parfois, il faut s’autoriser à aller chercher des joueurs un peu hors norme. Sans son Portugais Ruben Prey (MVP du tournoi), Badalone ne serait pas invité au tournoi. En France, on a vingt des meilleurs joueurs qui jouent avec le Pôle France donc même si notre vivier est important, il est parfois difficile de composer uniquement avec les Français, typiquement sur les joueurs intérieurs. C’est une réalité.
Bientôt un tournoi d’EuroLeague à l’ASVEL ?
Outre les quatre vainqueurs du tournoi, quatre autres wildcards sont à prendre. Avez-vous bon espoir d’en décrocher une ?
Ce sera difficile car il y aura sûrement une équipe Next Generation et le club hôte, Kaunas. On n’était pas au complet sur ce tournoi-là. Donc si on l’est (avec Zaccharie Risacher voire Noam Yaacov, NDLR), ça peut nous donner d’autres arguments pour être invités.
L’EuroLeague cherche aussi à s’implanter en France. Peut-on imaginer un tournoi à l’ASVEL dans un futur plus ou moins proche ?
Clairement, on en discute. Le seul frein, c’est le coût financier assez important (l’ensemble de l’organisation est à la charge du club hôte). En tout cas, c’est la prochaine étape. On a réussi à installer des équipes françaises dans cette compétition. Maintenant, il faut qu’on amène un tournoi de cette envergure-là en France. Ça fait partie de la culture de la gagne de très haut niveau qu’on doit avoir. On est l’un des rares pays « basket » à ne pas organiser de tournoi.
Vous êtes également entraineur de l’équipe Espoirs de l’ASVEL, championne de France en titre et actuellement deuxième derrière Cholet avec 15 victoires en 19 matchs. Quel bilan faites-vous de la saison à l’instant T ?
Je savais qu’on était dans une période de transition avec la fin de nos générations 2004-2005 qui étaient très bonnes. Je pensais qu’elle aurait lieu en fin de saison mais elle s’est opérée en cours d’année. On perd Zach Risacher (passé avec les pros) et Noam Yaacov (prêté à l’Hapoel Jérusalem) début 2023. Je ne m’attendais pas à ce que cette période de transition arrive aussi tôt. On ne revoit pas à la baisse nos objectifs mais on est lucides : notre marge est amoindrie.
La transition a déjà commencé : fréquemment en Espoirs, je fais jouer des U18. C’est positif. Ce que je pensais faire à l’inter-saison, je l’ai déjà fait. Mais on est frustré de ne pas être aussi compétitif pour maintenir le niveau qu’on avait ces dernières années.
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