[L’œil de coach Soares] Lettonie – Espagne, le chef-d’œuvre de Luca Banchi
Alors qu’on s’attendait à passer un dimanche sans saveur à Jakarta, les deux favoris sont tombés dans la soirée de vendredi : les Lettons, héroïques, ont battu l’Espagne (74-69) et le Brésil s’est offert le Canada. Il y aura donc deux 1/8e de finale pour terminer en beauté la semaine indonésienne. Retour en deux parties sur les immenses réussites des deux staffs.
Coup de cœur de coach, épisode 1
Lettonie – Espagne, la leçon de small-ball
Commençons par ce qui pourrait ne pas être une surprise tant les Lettons nous surprennent durant cette compétition. Pourtant, battre l’Espagne, qui déroulait depuis le début de la Coupe du Monde et qui semblait inébranlable dans la gestion de son basket, est un véritable exploit, dû en grande partie à Luca Banchi.
- Le spacing en attaque
Avec cette équipe composée de shooteurs à tous les postes (dans le cinq majeur, seul Rodions Kurucs peut être considéré comme un non shooteur, les deux intérieurs étant Roland Smits et Davis Bertans, deux snipers), les Lettons ont exploité à merveille deux spacings différents :
- Trois joueurs au large, avec les deux shooteurs dans le dos pour attaquer la défense de protection des Espagnols afin jouer du pick and roll avec le « poste 5 » (qui est en réalité un 4, Grazulis ou Smits)
- Deux joueurs dans le corner et un au poste bas pour jouer du pick and pop avec le 4 (Bertans, la plupart du temps)
- La prise de décision
« Play simple, smart basketball » (jouez simple, un basket intelligent) : les mots de Luca Banchi au temps-mort avant la mi-temps sont clairs. Les Lettons ont développé cette faculté à ne pas « geler » la balle (ne pas conserver la balle sans prendre de décision) et la preuve est cette statistique incroyable de Smits, pourtant clé de voûte et maître à jouer de l’équipe, qui ne conserve la balle que 1,4 seconde en moyenne ! C’est l’école de Gregg Popovich et son fameux « 0.5 ». Chaque joueur a 0,5 seconde pour prendre une décision lorsque la balle lui arrive dans les mains : passe, shoot ou drive.
L’intelligence, c’est aussi détruire le small-ball des espagnols au retour des vestiaire (Claver en 4, Abrines en 3) en faisant poster dès la première action Kurucs sur Abrines pour deux points.
- La variation des défenses autour du pick and roll
32 points marqués à la mi-temps, 69 au total. Les Lettons ont complètement étouffé les Espagnols, ne leur laissant « que » 22 passes décisives, contre 30 de moyenne sur les trois premiers matchs de la compétition, et leur faisant perdre 15 ballons, pour une moyenne habituelle de 13.
Très agressifs lors de la préparation avec beaucoup de « step out » sur les picks and roll, les Baltes ont utilisé presque toute les défenses de pick and roll face à l’Espagne : protection pour Diaz, agressivité sur Llull (image ci-dessous), switch sur les postes 4 shooteurs (Hernangomez, Claver) et même du « under » (passer en dessous de l’écran) sur les non-shooteurs comme Nunez (image ci-dessous) De quoi écœurer les arrières espagnols qui n’ont jamais réussi à trouver le rythme du match, hormis leur troisième meneur, Dario Brizuela, le seul à avoir donné des solutions (11 points et 4 passes décisives en 16 minutes).
- Le cœur
Revenons au small-ball. La Lettonie a joué sans utiliser un seul vrai poste 5, alternant au poste de pivot entre Grazulis (2m03) et Smits (2m08), deux 4. Si cela leur donne de la vitesse en attaque, il faut le compenser en défense par beaucoup d’énergie, par la faculté à tenir les mismatchs, et à se battre à cinq au rebond. Et malgré les 25 point cumulés (presque un tiers du total) pour Usman Garuba et Willy Hernangomez, les hommes de Luca Banci ont réussi à faire jeu égal au rebond, notamment offensif : 10 de chaque côté, alors que les quatre intérieurs cités précédemment n’en cumulent que.. 1 (pour Grazulis). L’exemple marquant de la soirée est ce rebond de Zagars (1m80) au milieu de la raquette pour offrir un point d’avance aux Lettons à la fin du premier quart.
- LA statistique
Comment ne pas évoquer le zéro pointé des espagnols aux drives ? Les Lettons ont vraiment passé un cap dans la gestion des duels, que ce soit physiquement ou en faisant des fautes intelligentes. Certes, la Roja a gâché des lancers-francs (20/31), mais aucun des champions du monde en titre n’a réussi à driver jusqu’au cercle et finir avec le panier. Avec un petit 43,8% à deux points, les espagnoles n’ont jamais pu trouver de la confiance dans ce match.
- Rodions Kurucs, le MVP
Bien que Davis Bertans mérite amplement le titre accordé par la FIBA, un joueur me semble encore plus refléter ce match exceptionnel des lettons : Rodions Kurucs. Joueur de la SIG Strasbourg l’an passé, et donc sous les ordres de Luca Banchi), le futur ailier de Murcie coche toutes les cases que nous avons citées précédemment : très poluvalent en défense (on l’a vu défendre sur les postes 1, 2, 3 et 4), ultra-actif aux rebonds (9 au total dont 4 offensifs) et très intelligent en attaque. Ainsi, Luca Banchi l’utilise comme couteau suisse, n’hésitant pas à le changer de rôle à chaque instant des deux côtés du terrain. Ses statistiques finales : 13 points à 56% aux tirs, 9 rebonds, 2 passes décisives, 3 interceptions pour 1 seule balle perdue. Tout en défendant quasiment systématiquement le meilleur joueur espagnol sur le terrain. Tout simplement BRILLANT.
Quoi qu’il arrive dimanche face au Brésil, la Lettonie aura vraiment donné du baume au cœur à ses nombreux supporters présents à Jakarta mais aussi à tous les fans de basket « FIBA », pratiquant un jeu altruiste que ce soit par l’intelligence de jeu en attaque mais aussi par l’investissement individuel et collectif en attaque. La patte Banchi ?
Demain, dimanche 3 septembre : retour sur Canada – Brésil, et l’incroyable gestion du chrono des Brésiliens
Les précédentes chroniques tactiques de Guillaume Soares :
Commentaires