La chute d’un bastion : 50 ans après, l’ALM Évreux retourne en troisième division !
Pour la première fois depuis 1974, l’ALM Évreux va retrouver la troisième division
Depuis 2007, et la relégation d’Antibes en NM1, c’était un petit monde qui se complaisait dans son immuabilité et son entre-soi : les dix membres fondateurs de la LNB, disposant de leurs ronds de serviette dans le monde professionnel depuis la création de la ligue en 1987. Il y avait là des destins opposés : le club le plus titré de l’histoire du basket français (l’ASVEL), d’autres champions (Cholet, Élan Béarnais, Le Mans, Roanne, Nancy), des places fortes (Gravelines-Dunkerque, Dijon), une entité volatile au gré des fusions (Metropolitans 92, ex RC France, PSG Racing, Paris BR et Paris-Levallois). Et il y avait Évreux…
Dans ce petit paysage, l’Amicale Laïque de la Madeleine faisait presque figure d’exception. Elle était la seule à disposer d’un palmarès quasiment vierge, si ce n’est le trophée le plus futile du basket hexagonal, la Leaders Cup Pro B (décrochée en 2022). Elle était la seule à avoir pratiquement toute son histoire dans l’antichambre, véritable monument de Pro B, hormis une courte parenthèse dans l’élite entre 1995 et 2001. Mais cette pérennité faisait sa fierté. Localement, cette appartenance à ce cercle des dix historiques était souvent clamée, rabâchée, mise en exergue, presque comme un totem d’immunité.
« Une gestion associative qui n’est pas en phase avec les exigences du basket professionnel »
Mais elle sera finalement venue sanctionner un club qui n’aura jamais réellement su évoluer. « Il faut qu’on se professionnalise à tous les niveaux », disait le président, Patrick Roussel, à Actu Normandie en mars 2023. « On a, à l’heure actuelle, une gestion associative qui n’est pas en phase avec les exigences du basket professionnel. » Soit un comble pour l’un des clubs doyens de ce monde pro… Mais avec seulement deux salariés administratifs, difficile de tracer une ligne directrice claire pour l’avenir. Surtout en l’absence d’une vraie direction depuis le départ d’Elsa Toffin-Danflous en 2019. De nombreux salariés administratifs ont quitté leur poste, ou ont été contraint de le faire, ces derniers temps. Sans même parler du saut dans le temps que représentait le fait de venir jouer au complexe omnisports Jean-Fourré, resté dans le jus des années 60, date de son inauguration.
Avec des finances souvent exsangues, l’ALM a pourtant réussi à cumuler les miracles tout au long des années. Il y eut l’efficacité de la formation locale (Jean-Marc Kraidy, Joseph Gomis, Tariq Abdul-Wahad), des coachs emblématiques (Michel Veyronnet, Rémy Valin, Neno Asceric), d’excellents coups de recrutement (Bruce Bowen, James Banks, Philippe Da Silva, Jeremiah Wood, Clevin Hannah, Joe Burton), de jeunes Français qui y ont lancé leur carrière (Isaïa Cordinier, Lahaou Konaté, Charles Kahudi, Ilias Kamardine), etc. Mais à force de jongler avec deux bouts de ficelle, la corde finit inévitablement par casser…
Pas de leader
L’échéance fut repoussée, parfois superbement à l’image des années dorées en 2010, mais l’inéluctable est arrivé cette saison avec une équipe bancale, manquant fortement d’un leader, sauf depuis le retour tardif de l’irréprochable Jeremiah Wood, auteur du premier triple-double de la saison LNB à 39 ans. Le meneur Yasiin Joseph ne possédait pas ce côté rassembleur, vocal, tandis que l’expérimenté Adin Vrabac a terriblement déçu, passé de 12,9 à 5,2 d’évaluation d’une saison à l’autre. Cela s’est traduit par un enchaînement de défaites dans le money-time : 12 revers de moins de 10 points. Le groupe eurois pourra certes avancer l’excuse des blessures, avec une infirmerie qui n’a jamais cessé de désemplir (Killian Malwaya, Joe Burton, Bangaly Fofana ont tous raté des matchs), mais certains concurrents ont connu bien pire, à l’image de Fos-Provence ou Angers. Le coup de grâce est peut-être venu de l’éviction de l’expérimenté Neno Asceric, début mars, dans un timing surprenant avant un match de la peur contre Angers. Héritant d’un cadeau empoisonné, l’assistant Marc Namura n’a pas su inverser le cours de la tendance, toujours fanny à domicile.
Sous les yeux du sélectionneur national, Normand d’origine, Vincent Collet, c’est donc à Gries, petit village alsacien de 2 000 âmes, que l’ALM Évreux a perdu le fil de 37 ans d’histoire en LNB. Battu par l’Alliance Sport Alsace (65-76), le club eurois a scellé son funeste destin, assuré (sauf repêchage) de retrouver la troisième division pour la première fois depuis… 1974. Il faudra s’en relever, se servir de cette claque pour se structurer, se (re)construire. Mais à l’instant d’officialiser une deuxième relégation en seulement 50 ans, ce n’est pas encore l’heure d’y penser.
Les réactions
Marc Namura : « Il y a beaucoup de déception et de frustration Le match est à l’image de notre saison, très sinusoïdal, avec des petits hauts et de grands bas. Il y a beaucoup d’interrogations aussi : on a joué l’ASA les yeux dans les yeux mais ils ne font qu’une faute dans le dernier quart-temps. Je suis fou furieux de voir qu’on n’est pas respecté, qu’on se fait défoncer et que rien n’est sifflé. C’est tout le temps comme ça. Ce n’est pas une excuse mais on est arbitré comme les derniers.
Je n’ai pas su relever le défi, je n’ai pas été à la hauteur, je n’ai peut-être pas su transcender mon groupe. Il a manqué plein de petites choses : c’était une équipe terriblement jeune, qui ne bossait peut-être pas de la bonne manière. On aurait très bien pu avoir 4-5 victoires de plus mais il y a eu plein de signaux contre nous. On n’a pas gagné une seule fin de match en prolongation. L’équipe n’était pas forcément bien équilibrée au début, on a essayé de la rééquilibrer mais il y a une multitude de facteurs pour un triste constat : on s’est vu trop beaux en janvier et on paye un manque de dureté, liée à un effectif déséquilibré et notre inexpérience.
La descente fait mal mais il faut mettre les chiffres en face de la réalité : l’ALM Évreux n’était jamais descendue mais a souvent flirté avec la relégation. Il y a aussi une réalité économique : on n’a pas les moyens de se payer des joueurs. Des Adamovic ou Nwogbo côté ASA, c’est 4 ou 5 joueurs chez nous. On essaye de faire des coups sur le marché avec des jeunes et 3-4 anciens mais ça ne suffit pas. On en paye les pots cassés aujourd’hui. On n’est pas moins fort qu’Angers, Aix-Maurienne ou Fos mais ça se joue sur des détails. D’avoir son nom associé à la fin d’Évreux en LNB, ça fait mal.
Il y a plein de petites choses en interne qui me déçoivent beaucoup. J’en parlerai à l’issue de la dernière conférence de presse. Il y a beaucoup de tractations internes qui font qu’on ne peut travailler sereinement à tous les niveaux. C’est bien dommage. »
Paul Rigot : « Ce qui me rend le plus triste, c’est que ça va avoir des conséquences pour des gens qui n’ont rien demandé. Je pense que tout le monde prend sa part de responsabilité mais c’est dur à assumer. Le club a besoin de se structurer, ce n’est pas une critique, juste un constat. Il y a besoin de plus de professionnalisme. C’est un club mythique, historique, que j’aime beaucoup. J’ai envie qu’il soit reconnu, pas vu comme un club de NM1. Ça me fait mal. Nous, on a échoué en tant que joueurs mais la réalité est qu’il faut que tout le monde mette de l’énergie où il faut pour remonter. »
À Gries,
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