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Mam’ Jaiteh, de retour sur la voie des grands : « J’ai failli me perdre »

Rapidement étiqueté grand espoir du basket français puis déception en gestation, Mam' Jaiteh a vécu dix premières saisons professionnelles en clair-obscur. Mais depuis son départ à l'étranger, le pivot de Bologne a renversé la table pour s'imposer comme un joueur qui compte sur le continent. Non sans émotion, le MVP de l'EuroCup conte son parcours.
Mam’ Jaiteh, de retour sur la voie des grands : « J’ai failli me perdre »
Crédit photo : Matteo Marchi

Mise à jour : Alors que Mouhammadou Jaiteh vient de s’engager avec l’AS Monaco, bouclant ainsi un (premier ?) cursus de cinq ans à l’étranger qui lui a permis de renverser sa carrière, nous vous proposons la rediffusion d’un article publié le 19 mai 2022. Pendant plus d’une heure, le nouveau pivot de la Roca Team avait retracé son parcours, n’occultant rien des hauts et des bas de sa vie professionnelle.

L’article d’origine : « J’ai parlé comme je n’avais jamais parlé », souffle Mouhammadou Jaiteh (2,11 m, 27 ans), ostensiblement secoué après avoir conté les dix premières années de sa carrière professionnelle. De Boulogne à Bologne, dix années d’une rare disparité, de montagnes russes, entre l’incroyable hype de sa saison rookie au SOMB, née du fantasme de l’enfant qui marchait sur les adultes (33 points et 18 rebonds dès son 11e match professionnel), et le flot de critiques qui s’est ensuite abattu, jusqu’à atteindre son paroxysme au moment de sa mise à l’écart à Limoges lors de l’automne 2018. Une impasse finalement salvatrice pour la suite de son parcours.

Enfant de Malakoff, Mouhammadou Jaiteh n’était pourtant pas prédestiné à une telle trajectoire, lui qui a passé sa jeunesse loin de la balle orange. Mal dans sa peau à cause de sa grande taille, il s’évertue à jouer au football, « pour faire comme les autres », pour se fondre dans la masse. Il ne veut pas entendre parler de basket. Jusqu’à ce soir du printemps 2007 où il va voir le surveillant de son collège, Harold Daclinat, disputer un match de Nationale 3. Dans la foulée du buzzer final, Mam’ ira faire des shoots jusqu’à la fermeture de la salle. La machine était lancée. Six ans après avoir pris sa première licence avec les minimes département de Malakoff, il terminera troisième meilleur marqueur de la JSF Nanterre lors de ses grands débuts en EuroLeague contre le CSKA Moscou.

Une ascension fulgurante qui a démultiplié les attentes, certainement démesurées, à son égard. « Les gens avaient une fausse perception de lui », nous disait son ex-entraîneur Pascal Donnadieu en janvier. Et quand le pivot de Strasbourg et Limoges a progressivement semblé s’égarer, devenant de plus en plus un intérieur anonyme parmi les raquettes de Pro A, la déception fut proportionnellement inverse à l’enthousiasme générée par sa saison boulonnaise. Un tribut lourd à porter pour un jeune homme de même pas 24 ans à l’époque, ayant encore toute sa carrière devant lui. La suite l’a prouvé.

Relancé par son départ à l’étranger, Mam’ Jaiteh est désormais l’un des noms en vogue du basket européen, pièce centrale du sacre de la Virtus Bologne en EuroCup, élu MVP de la compétition. « Il a été dominant cette année », applaudissait la semaine dernière son coéquipier Isaïa Cordinier. « Dominant, c’est le mot. On voit qu’il arrive à maturité dans son jeu. Il est entouré de très bons joueurs qui lui permettent de briller mais lui aussi permet aux autres de briller par son placement, ses finitions. Il est impressionnant. » Encore sous contrat avec le club italien pour une saison supplémentaire, l’international (28 sélections) retrouvera l’EuroLeague à la rentrée, neuf ans après son unique expérience sous les couleurs nanterriennes. Alors qu’il traverse actuellement l’apogée de sa carrière, avec l’espoir d’aller encore plus haut, Mam’ Jaiteh a retracé les chemins de traverse qu’il a dû emprunter et s’est longuement exprimé, pour la première fois, sur ses années de doute. Gros plan sur l’un des parcours les plus méritants du basket français.

Mercredi 11 mai 2022 : Mam’ Jaiteh remporte son deuxième titre européen, le plus beau de sa carrière (photo : Matteo Marchi)

Boulogne-sur-Mer (2012/13),
une comète en Pro B

« Je m’en souviens comme si c’était hier alors que ça fait déjà 10 ans… J’avais la possibilité d’aller dans plusieurs équipes de Pro A en sortant de l’INSEP et c’était une période où la Pro B n’était pas orienté jeunes du tout. J’ai suivi mon instinct et je suis allé un peu à l’encontre du schéma habituel. Le risque était que je me fonde dans la masse, entre guillemets. J’ai fait ce pari d’y aller et de faire mon chemin. Pourtant, j’avais beaucoup d’appréhensions avant.

Évidemment, je ne m’attendais pas à ce que cela se passe aussi bien. Cela a été une année incroyablement positive. Au-delà de ma simple personne, je pense que ma saison et mon choix ont vraiment impacté la vision des clubs de Pro B et ont ouvert la porte à beaucoup de jeunes. À l’heure actuelle, quand je vois qu’il y a pas mal de jeunes dans ce championnat, je crois que j’y suis un peu pour quelque chose.

Avec 16,2 points et 9,9 rebonds de moyenne, Mam’ Jaiteh a été élu MVP Français de Pro B à 18 ans (photo : Sébastien Grasset)

Le buzz autour de moi était plaisant mais j’y accordais assez peu d’attention. Bien sûr que j’entendais ce qui se disait mais je savais que c’était grâce à ce que je faisais sur le terrain. Ça ne m’a pas tourné la tête en tout cas. Après, c’est une question d’état d’esprit et d’entourage car ça arrive très jeune et très vite en tout cas. »

Nanterre (2013/16),
l’incompris ?

« La marche entre la Pro B et l’EuroLeague était vraiment haute. La première saison a été très riche, compliquée par périodes, j’ai vécu des moments difficiles mais je n’ai jamais lâché. Et tout s’est bien terminé avec une victoire en Coupe de France. Les attentes à mon égard étaient énormes. Il m’a fallu un temps d’adaptation mais cela a été un apprentissage accéléré au plus haut niveau européen et je suis content de l’avoir vécu. Je dois ce que je suis capable de faire maintenant à ce parcours-là aussi.

Je fais trois ans à Nanterre, je suis trois fois All-Star.  C’est pour ça déjà qu’il y a une image un peu erronée de mon passage à la JSF, comme quoi cela se passait mal. Je ne connais pas des joueurs triple All-Star pour qui ça se passe vraiment mal. Il y avait un décalage entre le concret et le rendu véhiculé. Je pense qu’il y avait des attentes très hautes, certaines que je n’ai pas peut-être pas pu atteindre. Mais ce n’est pas comme s’il y avait rien non plus. Lors de ma deuxième année, on gagne l’EuroChallenge et je partage mon temps de jeu avec Jo Passave-Ducteil, avec qui c’était vraiment super. D’ailleurs, il y avait déjà Kyle Weems dans cette équipe, on en reparle souvent (il rit). Lui aussi me dit que c’était l’une de ses meilleures années en terme d’ambiance. On a vécu des moments incroyables. Cette deuxième saison était vraiment super.

Plus gros transfert de l’histoire de la JSF, Jaiteh a découvert la Coupe d’Europe avec Nanterre (photo : Olivier Fusy)

J’ai vu une évolution sur mes trois années à Nanterre, j’étais de plus en plus efficace, impactant, performant au fur et à mesure des saisons. Pourtant, certaines personnes ont pris un malin plaisir à dépeindre mon passage à Nanterre en mauvais. C’est pour cela que j’insiste sur le fait que j’ai été trois fois All-Star. Prouvez-moi que cela se passe mal lorsqu’on est trois fois All-Star en trois années. Collectivement, nous avons gagné la Coupe de France la première saison, l’EuroChallenge la deuxième puis il y a eu un beau parcours en EuroCup et les playoffs la troisième, et en plus, je termine meilleure évaluation française de Pro A. À un moment donné, on ne peut pas tourner ça en négatif. »

La « grosse claque » de la draft et la signature avortée à Houston,
la désillusion NBA

« Ça a été une désillusion, oui. Depuis Boulogne, le mot qui résonnait autour de moi, c’était la NBA. Tous les jours, je l’entendais, tous les jours, tous les jours, tout le temps. Je ne pouvais pas faire comme si ça n’existait pas, je ne pouvais pas faire abstraction. À force, c’est quelque chose que j’ai commencé à vouloir. En arrivant à Boulogne, au début, je n’y pensais pas forcément. Au fur et à mesure avec mes performances, je me suis dit que c’était quelque chose que je pouvais atteindre. C’est devenu un objectif.

Sans langue de bois, ne pas être drafté a été une grosse claque. En 2015, j’étais au Madison Square Garden, assis en costard, avec ma famille. Ça a été un moment extrêmement difficile. L’erreur que j’ai faite était de ne pas accepter un draft and stash (être renvoyé en Europe après la draft, ndlr). Là-dessus, j’avais des garanties au premier tour de plusieurs équipes. J’avais eu des discussions en face à face avec des GM, des coachs, c’était concret. J’étais persuadé qu’une franchise allait me prendre. Même si je n’étais pas forcément prêt à jouer, je voulais juste être avec une équipe, côtoyer les meilleurs du monde pour progresser. C’était le discours que je tenais à toutes les franchises. Sur 30, il m’en fallait juste une seule de réceptive. Cela a été une grosse erreur stratégique. Avec les années, forcément, je regrette et je suis passé à côté. Outre 2015, peut-être que j’aurais dû me lancer à fond dès mon année de Boulogne. Avec du recul, j’aurais sûrement dû voir cela plus sous le côté business, moins sous le côté sportif. Peut-être aussi que je n’aurais pas dû faire le Hoop Summit (en 2013), ne pas m’exposer une fois que j’avais créé le buzz avec mes performances. Si je m’étais arrêté et caché, isolé, j’aurais été drafté directement car il y avait tout un engouement qui s’était créé. Tout marche avec ça, des performances non vues depuis très longtemps. Pour moi, après la Pro B, c’était le moment le plus facile. D’un côté, j’ai des regrets et de l’autre, je crois au destin. J’ai essayé, peut-être que ce n’était pas pour moi. Au moins, j’ai tenté ma chance. Après, tant que je jouerai au basket, je ne fermerai jamais la porte à la NBA.

Plusieurs rendez-vous manqués avec la NBA pour Mam’ Jaiteh (photo : NBA Draft Combine)

 

Je vais vous faire une petite révélation aussi : après mon année de Strasbourg (en 2017), j’ai eu une opportunité encore plus concrète avec Houston. Les Rockets m’ont appelé deux jours après la défaite en finale contre Chalon. Je devais faire cinq entraînements pour potentiellement avoir un contrat. Et au final, j’étais sur le point de signer quand Chris Paul a choisi de rejoindre les Rockets. Avec son arrivée, la franchise a changé toute sa mentalité. Il est arrivé en disant qu’il voulait gagner le titre. Houston est passé d’une optique de développement, de construction, où ils pouvaient me faire venir, à un statut de candidat au titre immédiat. Le GM Daryl Morey m’a expliqué la situation. Sans aucun intermédiaire, il m’a parlé en face à face en disant que c’était devenu risqué de me prendre et qu’il lui fallait embaucher des joueurs déjà renommés, de telle sorte que s’ils ne performent pas, ce ne serait pas de sa faute. J’ai apprécié son honnêteté mais c’était encore une opportunité où je suis passé à côté. »

L’EuroBasket 2015,
apprentissage grandeur nature

« Non, cela n’a pas spécialement été un pansement post-draft. Que j’ai pu être drafté ou non n’aurait pas changé ma mentalité en équipe de France. J’y suis allé pour prendre tout ce qu’il y avait à prendre, comprendre, observer, continuer à faire mon chemin. J’ai vécu cet EuroBasket à fond. Ça reste une expérience inoubliable. Je ne jouais quasiment pas, quelque part je ne ressentais pas la pression. Je savourais ces moments-là et mon but était de me rendre utile. Ce que je pouvais apporter au groupe avant tout, c’était ma joie et ma bonne humeur. Il fallait que j’essaye de leur montrer du positif. Et en même temps, je me tenais prêt à jouer. J’étais entièrement au service de l’équipe et c’est comme ça que j’ai essayé de vivre cet Euro. »

Strasbourg (2016/17),
le coup d’arrêt

 « À la base, je signe pour Henrik Dettmann. Il a eu son accident en présaison qui l’a empêché de coacher et la suite ne s’est pas déroulée comme prévu d’un point de vue collectif. Ensuite, Vincent Collet est arrivé. Je ne saurais pas comment expliquer ce qui a fait que ça a eu du mal à coller, sans jeu de mots évidemment. Quelque part, j’avais une volonté de pouvoir exceller, mon objectif était de vivre une saison tremplin, j’avais beaucoup d’ambitions et ça s’est retrouvé à être une année difficile. Après, comme d’habitude, j’ai toujours cherché comment j’allais faire, sans jamais abandonner.

Strasbourg, les prémisses du surplace pour le pivot francilien (photo : Guillaume Poumarède)

C’est une saison où j’ai commencé à beaucoup moins jouer. Je vais vous parler du factuel encore une fois : en playoffs, tous les matchs où j’ai eu du temps de jeu, j’ai performé. Et inversement quand je n’en avais pas. Il y avait peut-être un choix du coach, qui avait moins confiance en moi. Je suis content que l’on ait pu aller jusqu’en finale mais je reste mitigé sur cette saison : elle a été compliquée mais elle m’a permis d’apprendre beaucoup de choses. Quelque part, cette année strasbourgeoise m’a servi ensuite dans mes expériences à l’étranger. »

Limoges CSP (2017/18),
le faux-combat

 « C’est là où on rentre un peu dans un creux… Je perds de vue mes objectifs, je perds de vue le joueur que je suis capable d’être. Je pense que j’ai été faible, que j’ai été impacté par un certain nombre de critiques. Elles m’ont tellement touchées que je ne voulais plus être sous les feux des projecteurs. J’étais dans une situation où je voulais qu’on ne parle plus de moi. Pourquoi dès qu’il y a un match de Limoges, il fallait que l’on demande comment Mam’ était ? Toute l’attraction que j’ai pu susciter dans le passé, je ne l’ai pas volé. C’est parce que j’ai fait des choses concrètes sur le terrain. J’avais des chiffres, tout ce qu’il faut, je n’ai rien volé, rien quémandé.

À Limoges, j’étais dans un faux-combat, à vouloir chercher à être le joueur que je n’étais pas, à vouloir ressembler à un joueur qui peut se fondre dans un collectif sans qu’on parle de lui. Je voulais être un autre genre de joueur que ce que je suis, avec les forces que j’ai. Par exemple, sans dire que je pense être un mauvais défenseur, je voulais devenir celui qui stoppe tout. Et j’ai vu que ça commençait à plaire autour, donc j’ai commencé à insister sur ça. En même temps, je perdais mon identité, le joueur efficace, adroit, attaquant que j’étais. Plus le temps avançait, plus je me perdais dans mes objectifs. Je me perdais, je me perdais, je me perdais… Je me suis tellement plu dans ça que j’ai même resigné. Quand je prolonge, je ne suis plus du tout dans mes objectifs. Je suis dans autre chose, que je ne saurais pas expliquer. Cet autre chose a mené à la situation où on finit avec trois intérieurs avec Jerry (Boutsiele) et (Samardo) Samuels. Et c’est moi qui me retrouve à ne pas jouer car j’étais le seul qui pouvait partir facilement puisqu’ils avaient deux ans de contrat.

À Limoges, Mam’ Jaiteh s’est retrouvé poussé vers la sortie (photo : Sébastien Grasset)

Cette situation a finalement été une bénédiction pour moi. Des choses peuvent sembler mauvaises mais sont, au final très bonnes. À cause d’un facteur extérieur, j’ai pu me remettre les idées en place, retrouver mes objectifs, comprendre que tout ce que j’ai pu réaliser au début n’était pas un hasard, un coup de chance. Je l’ai en moi, je suis capable de le faire, il faut que j’en sois conscient. Je me rappelle de ce que j’ai pu faire plus jeune : pourquoi ne pourrais-je pas faire mieux avec plus d’expérience, d’âge, de force, de maturité ? »

Les doutes d’une trajectoire en déclin :
« Dès que quelqu’un me marquit dessus, tout le poids de ce qui était dit sur mon côté soft me retombait dessus »

« Cette réputation de « soft » commençait à beaucoup m’impacter. Car en fait, j’allais jusqu’à analyser mes matchs et ceux des joueurs qu’on disait « pas soft » ou « soft ». Mais à part certains où c’est évident, je me disais que c’était très subjectif. Même ceux qui donnent absolument tout, ils vont faire des erreurs, ils vont se faire marquer dessus, ils vont tomber quand ils prennent des contacts. Tout le monde… Il n’y a pas un joueur où tu te dis : « Lui, c’est un roc ». Ce n’est pas vrai en fait, ce n’est pas vrai. Je considère que c’est la facilité, que c’est une manière de suivre : lui, on le voit comme ça donc tout le monde va l’étiqueter de telle façon. Moi, j’ai ressenti cette chose-là : peu importe ce qui se passait, dès que quelqu’un me marquait dessus, tout le poids de tout ce qui était dit à mon sujet retombait à chaque fois. Je le ressentais forcément. Mon combat a été de sortir de cela, plutôt que d’être concentré sur le fait d’avoir une ambition d’excellence. Plutôt que de dominer, je me demandais comment j’allais pouvoir me tirer de ça. J’étais plus dans le fait d’éviter quelque chose plutôt que de créer quelque chose. Psychologiquement, j’ai passé un vrai, vrai moment difficile avec beaucoup de travail dont les gens ne se rendent pas compte. Là, on peut voir la success-story du mec qui arrive à l’étranger et qui taffe. C’est très simplifié. Il y a énormément de choses qui se sont passées entre-temps.

Dans la vie de tous les jours, cette situation m’a affecté. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’étais en dépression mais ça m’a forcément impacté. Quand tu es un compétiteur, quand ça se passe moins bien sur le terrain, tu te sens moins bien en dehors. Je pense que c’est différent d’être un joueur qui utilise son potentiel mais qui est, entre guillemets, limité par rapport au fait d’être un joueur qui n’arrive pas à se sortir d’une situation où il ne peut pas jouer, où il ne peut que donner 10% alors qu’il pourrait donner beaucoup plus. Le pire, c’est quand tu sens que tu es loin de ce que tu peux donner mais que tu veux te convaincre que c’est bien, quand c’est moyen mais que tu entends : « Ah Mam’, c’est bien, il a donné de l’énergie ! » Mais ce n’est pas moi ça, ce n’est pas mon identité, ce n’est pas ma personne. Donc à ce moment-là, au fond, je me sentais mal. Après, si le basket est important, je venais d’avoir un enfant à Limoges. J’ai appris à prendre du recul avec le sport. De plus, j’ai quand même beaucoup reçu de soutien : à Nanterre, à Strasbourg et à Limoges, j’avais toujours du monde derrière moi, j’ai pas mal de personnes à remercier. C’est quelque chose qui m’a énormément touché et m’a fait beaucoup de bien psychologiquement.

Ayant fini en civil à Limoges, Mam’ Jaiteh indique y avoir « perdu son identité » (photo : Sébastien Grasset)

Je savais que ce qui a suscité toute cette attention étaient mes performances à Boulogne-sur-Mer. J’ai fait des chiffres avec le SOMB, avec Nanterre. La SIG, on peut le voir comme un échec mais je suis à 10 points – 5 rebonds sur la saison en 22 minutes (9,5 points à 54% et 5,7 rebonds en 21 minutes, ndlr). Il y a combien d’intérieurs avec ces statistiques-là ? Cette attention, je ne l’ai pas réclamé. Elle est venue avec mes premiers pas en pro mais elle n’a pas changé ma personnalité ou mon état d’esprit. Je n’ai pas cherché à être arrogant à cause de ça. Ce qui est arrivé ensuite n’était que le revers de la médaille. Je ne sais même pas quoi dire en fait… Je n’ai rien demandé mais ça m’a impacté et je sais que j’ai failli me perdre à cause de ça (il le répète). Je comprends maintenant que ce processus a failli me perdre. Ce que je fais là, avec la Virtus, je l’avais déjà en moi quand j’étais à Strasbourg ou Limoges. Mais psychologiquement, j’étais dans un autre esprit, une autre vision, qui m’empêchaient de sortir ce que j’avais là. Au lieu de penser à performer, je pensais à autre chose. Au lieu de penser à efficacité, je pensais à autre chose. Ce n’est qu’en sortant de France que je me suis posé les bonnes questions : comment faire pour être efficace ? Il faut que je taffe, comment être efficace ? Cette pensée-là, c’est celle que j’avais de base. Le Mam’ Jaiteh de 17 ans signant à Boulogne, il se demandait la même chose. Mon corps, mon esprit, tout s’est démerdé pour trouver de l’efficacité. Je pense avoir des capacités et un potentiel qui me permet de faire ça, mais j’ai besoin d’avoir la bonne mentalité. »

Turin (2018/19),
l’émancipation

« Le but était de sortir de Limoges, afin d’aller dans un endroit où j’allais jouer. Je ne pouvais plus rester dans une situation où j’étais juste satisfait de recevoir mon salaire et de ne pas jouer. J’ai accepté de perdre de l’argent pour jouer. J’ai compris que je n’allais plus voir le terrain à Limoges, il fallait le faire ailleurs. J’avais d’autres possibilités en France, plus sécurisées financièrement, mais je voulais aller à l’étranger. Ce n’était peut-être pas la porte que je voulais prendre, peut-être pas le chemin que je voulais emprunter, peut-être pas la façon dont je voulais partir, mais je crois au destin et il fallait y aller

La question, c’était : comment je vais faire pour taffer ? Il faut que je taffe. J’étais en mode conquérant, positif, il faut que j’aille chercher quelque chose. On ne me connaissait pas et il fallait que je fasse mes preuves. J’arrive avec un coach légendaire, Larry Brown. Je ne jouais que très peu au début, on ne faisait que perdre. Je me souviens d’un match où je joue moins de 10 minutes : 4 points, 2 rebonds, je défends bien. Je vois que tout le monde est super content. Je me suis dit « Eh mais ils ne me connaissent pas du tout. Ils pensent que je suis juste un jeune. Ah ouais, là, ça recommence vraiment à zéro, faut que j’aille chercher les choses. » Tout était complètement différent mais avec l’état d’esprit que j’avais, je cherchais à faire le maximum.

Dans le Piémont, Mouhammadou Jaiteh a commencé à retrouver le sourire (photo : FIAT Torino)

Quand j’ai commencé à performer, on ne pouvait plus critiquer mes perfs. Donc c’était : « Ah ben il joue dans une équipe qui ne fait que perdre donc ce qu’il fait n’a pas beaucoup de valeur. » Ça, c’est les premières critiques entendues de France. Et je vais parler aussi de BeBasket : quand il y avait des articles sur moi, il y avait toujours ce côté nuancé. « Il a fait ça mais il n’a pas fait ça et son équipe perd. » Quand des joueurs faisaient moitié moins que ce que je faisais, on ne montrait même pas le reste. Ça m’a impacté, jusqu’à ce moment-là. Après, ma réponse a été d’arrêter d’y porter de l’attention, je me suis un peu fermé. Je me suis mis à réfléchir à moi-même, à être vraiment concentré à 100% sur le fait de performer. Je me suis dit que ça allait me suivre toute ma vie, donc autant ne pas y faire attention. »

Saratov (2019/20),
la confirmation

 « Après l’Italie, il fallait que je puisse me mesurer à autre chose. Dans mon esprit, Turin, je savais que ce n’était pas de la chance. Il fallait aller ailleurs pour montrer que je suis capable de le faire là-bas aussi. Plus un joueur est fort, plus il est capable de performer partout. Il y a des joueurs capables de performer que dans un seul contexte, d’autres peu importe où ils sont.

Pour moi, Saratov était l’occasion parfaite. Un endroit que je ne connaissais absolument pas, une équipe où ils allaient fortement compter sur moi fortement, un championnat russe avec de grosses équipes. J’ai eu trois coachs en sept mois : un Russe, un Monténégrin, un Lituanien, donc trois écoles complètement différentes. Je me suis adapté aux trois, qui sont tous arrivés avec leur mentalité, leur manière de faire et de me coacher moi : j’ai performé avec les trois et ça se passait bien avec tous. Je suis content d’avoir vécu ça.

Derrière Alexey Shved et Dusan Ristic, Mam’ Jaiteh troisième meilleure éval’ de VTB League en 2019/20 (photo : VTB League)

 

Quand je suis parti à l’étranger, j’étais tout seul. Je n’avais pas ma femme ni mon fils. La difficulté de la Russie, c’est le froid plus qu’autre chose. Je m’adapte assez facilement, je n’ai pas besoin de grand-chose. Tant que je mange bien, je suis assez content grosso modo. Je passerai les détails sur la mentalité russe mais elle a d’autres vérités, d’autres réalités que l’on ne peut comprendre que si l’on est en Russie, tout simplement. Je ne suis pas allé là-bas pour me sentir bien, pour être en vacances, je suis allé là-bas pour performer. En Russie, tout ce qu’ils attendent de toi concrètement, c’est que tu performes. Le reste, ils s’en fichent… Je me suis trouvé les 3-4 restaurants que j’appréciais, j’ai étudié, je me suis beaucoup penché sur la religion, ça m’a donné encore plus de recul et de sérénité sur le basket, moins de pression et de mauvais stress. Le mix des deux m’allait très bien. »

Gaziantep (2020/21),
l’explosion

« Gaziantep était un passage que je devais emprunter afin d’être sérieusement pris en compte par les grosses équipes.  Je voulais continuer à m’affirmer en tant que joueur capable d’évoluer sur le haut-niveau européen. À cet égard, l’objectif concret était de briller. contre les 3-4 grosses équipes turques. Le pari a été réussi. Ça a été une vraie année positive car on fait les playoffs, où l’on se fait éliminer par l’Anadolu Efes. De mon côté, je performe contre chacun des gros. Mon coach était Nenad Markovic (Dijon). Dans son dispositif, il a besoin d’un poste 5 performant, comme Tonye Jekiri avant moi. Je suis content d’avoir eu un entraîneur comme lui.

À l’éval, de n°3 en VTB League à n°2 en BSL, derrière le phénomène Alperen Sengun (photo : Gaziantep Basketbol)

La vie à Gaziantep était très, très bien. Encore mieux que ce à quoi on s’attend. On mangeait de manière excellente. Justement, quand tu signes là-bas, on te dit : « Waow, attention, c’est près de la frontière syrienne. » Mais quand tu y es, tu ne sens absolument rien, il y a zéro souci. C’est peut-être les personnes les plus ouvertes que j’ai rencontrées en réalité. »

Virtus Bologne (depuis 2021),
la consécration

« Le but était de rejoindre un tel club. Le projet m’allait bien car je suis quelqu’un dans une phase ascendante, qui cherche à aller au plus haut, tout comme la Virtus : ils ont construit une équipe taillée comme un club d’EuroLeague. Le grand objectif de la saison a été de le devenir réellement.

Être le pivot titulaire d’un grand d’Europe ? Oui, c’était un objectif mais je ne change absolument pas mon état d’esprit. Tout peut aller très vite à ce niveau-là. Maintenant, c’est une question de constance, de penser à performer, à exceller, à optimiser ce qu’on a. Dans une équipe remplie de gros joueurs (il rit). C’est encore plus valorisant de sentir autant de confiance, de respect, de la part de mon coach, de mes coéquipiers. Clairement, je suis à l’aise, dans une bonne place. En tant que joueur, tu ressens à quel niveau tes coéquipiers t’estiment. Être autant apprécié par des gars comme Teodosic, Belinelli, Shengelia, quand tu sens qu’ils te voient comme un fort joueur, c’est encore plus positif. Je suis content de voir à quel point la Virtus compte sur moi.

Le MVP de la finale de EuroCup d’un côté, le MVP de la saison de l’autre : le duo Teodosic – Jaiteh a tissé une relation spéciale (photo : Matteo Marchi)

Mon niveau de performance est dû à un combo de plein de choses. Déjà, je pense que c’est quelque chose que j’avais en moi depuis longtemps, que je ne trouvais simplement pas comment sortir. Deuxièmement, année après année, je travaille sur moi pour réussir à optimiser ce que je fais sur le terrain. C’est un travail de longue haleine. Troisièmement, il y a la dimension physique, forcément : 27 – 28 – 29 ans, on dit que c’est là où les pivots sont au mieux. Enfin, il y a aussi un mix par rapport à la mentalité, l’esprit. Comme au SOMB, je vois tout ce qu’il y a autour mais c’est secondaire. Je viens jouer, je reste dans ma bulle, je m’occupe de ma famille, de mon cheminement spirituel. Je prends tout ça sans que ce soit une mauvaise pression, de manière positive. C’est un cycle qui ne s’arrête jamais : je prends match après match, toujours, je savoure le soir-même mais je pense au lendemain, à la rencontre qui arrive après. »

Et maintenant ?
« Dominer, c’est ce mot que j’ai en tête »

« Honnêtement, je pense à rattraper les années perdues. J’ai l’impression d’avoir perdu du temps, c’est une réalité. J’essaye de voir ça de manière positive. Il y a des périodes dont je sens qu’elles ne n’ont pas servi à grand-chose baskettement parlant mais des moments de doute, des relations créées me sont maintenant utiles. Quand je sens que je peux être un peu moins bien, ça m’aide à basculer pour me remettre dans le bon état d’esprit. C’est l’une des clefs de la constance : tout être humain a des moments où il est moins bien. Il faut juste savoir se remettre dans le bon mood. C’est ce qui m’apporte beaucoup dans le fait de réussir d’être constant match après match : j’essaye d’écourter au maximum ces moments et de continuer à avancer.

J’ai envie de continuer à performer. Ce à quoi je pense, c’est réussir à dominer. C’est ce mot que j’ai en tête. Je ne dis pas ça de manière orgueilleuse ou hautaine. Je vois ça dans un côté : comment je peux faire pour rentabiliser au mieux mes passages sur le terrain ? Plus tu es dans une grande équipe, plus tu es limité dans les minutes. Il y a beaucoup de joueurs, moins de temps de jeu : il faut être efficace dans les minutes que l’on te donne. C’était un gros challenge pour moi à Bologne : avant, je jouais 30 minutes, je le savais dès le début, il y avait une notion de gestion dans les rencontres, je laissais venir. Là, c’est différent. Il faut rentrer et être performant assez rapidement. C’est une autre situation. Ça demande aussi une certaine adaptation.

Champion et MVP de l’EuroCup, bientôt en EuroLeague, héros de Basket City : Jaiteh vit l’âge d’or de sa carrière (photo : Matteo Marchi)

Qu’est-ce qui se serait passé si j’étais resté en France ? Je ne me pose pas la question mais ça m’arrive parfois de me dire que je me serais perdu. C’est-à-dire que je pourrais maintenant être dans un club ne jouant pas le haut de tableau. Et encore, je ne sais même pas… Je ne suis pas quelqu’un qui lâche donc je n’aurais pas baissé les bras J’aurais cherché à obtenir ce que je pouvais mais cela aurait été dans une situation où j’avais une certaine étiquette, où tout était bloqué pour moi. La seule manière de la déverrouiller était de partir, c’était trop cadenassé. C’est peut-être abstrait ce que je dis. Mais je pense que je n’aurais pas pu aspirer à ce à quoi je peux aspirer maintenant si j’étais resté en France. J’aurais pu être bien, bien bloqué. Il fallait partir d’un endroit où tout était verrouillé.

J’ai pu retenir des choses de chaque situation, chaque expérience. Même le négatif, je l’ai tourné en positif. Ça m’a permis de devenir celui que je suis maintenant, avec certes des petits regrets, mais c’est la vie de tout être humain. On évolue. Il y a un bout de chemin qui est fait mais je me projette encore sur la suite. Les joueurs jouent de plus en plus longtemps. On verra combien de temps ce sera pour moi mais je cherche d’abord à profiter des années qu’il me reste ! Avoir retracé mon parcours me fait penser à des choses oubliées. Le temps est passé vite. Là, je suis légèrement ému en fait… »

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