ITW Sasa Obradovic : « J’ai le sentiment de ne pas avoir pu terminer mon travail à Monaco »
Le sourire de Sasa Obradovic capturé lors du Final Four 2023 par notre photographe Julie Dumélié
En ce samedi 14 décembre, c’est jour de match à Monaco. La Roca Team reçoit Le Portel en Betclic ÉLITE mais en balade quelque part dans les rues de la Principauté, Sasa Obradovic décroche facilement le téléphone, avec un emploi du temps soudainement allégé depuis un mois. Il aurait pu rentrer chez lui, à Belgrade, ou retourner dans l’une de ses villes de cœur, Berlin, mais l’ancien entraîneur de la Roca Team profite toujours des douceurs de la Côte d’Azur. « Je vais rester à Monaco jusqu’à ce que je retrouve un boulot », promet-il, avant d’enchaîner dans un sourire. « En ce moment, c’est plus sympa ici que n’importe où ailleurs ! »
Le 18 novembre, l’air était pourtant orageux sur le Rocher… Convoqué dans le bureau de ses dirigeants un lundi matin, Sasa Obradovic apprenait son éviction après une défaite à domicile contre Le Mans (74-86), où il avait été sifflé par Gaston-Médecin. Un mois après ce crève-cœur, alors que l’ASM s’est emparée mardi soir de la tête de l’EuroLeague (11v-5d) sous l’égide de son successeur Vassilis Spanoulis, le technicien serbe a accepté de s’exprimer et de revenir en longueur sur son aventure monégasque.
Sasa, cela fait un mois que vous avez été remercié par l’AS Monaco. Comment allez-vous ?
Honnêtement, je vais bien. Ça n’a pas été facile à accepter lors des tous premiers jours mais au fur et à mesure du temps, on comprend que ça fait partie du monde du sport. Ça a été une surprise pour moi puisque que toutes les équipes traversent le même genre de hauts et de bas que nous avons connu en début de saison. C’est très dur de cumuler l’EuroLeague et la Betclic ÉLITE. Regardez ce qui se passe en ce moment… Les favoris sont encore très loin de leur vrai potentiel, tous les clubs connaissent les mêmes irrégularités. Je comprends cela mais j’étais sûr, et je le reste d’ailleurs, qu’on aurait trouvé le moyen de se stabiliser. Je ne veux pas sous-estimer le travail de Vassilis Spanoulis mais je suis persuadé que l’équipe aurait trouvé son rythme de croisière et aurait progressé si j’étais resté. C’est normal, c’est ce qu’on a fait ces dernières années. Malheureusement, je n’ai pas eu la chance d’y parvenir cette saison. Après avoir contribué à bâtir cette équipe pendant trois années, après avoir été au contact des gars pendant tout ce temps, je me sentirais lié à n’importe quelle réussite qu’ils pourraient connaitre cette saison. Comme Tuomas Iisalo doit le ressentir avec Paris en ce moment (il rit).
« Je suis persuadé que l’équipe aurait trouvé son rythme de croisière si j’étais resté »
Vous dites que vous avez étonné par la décision de la Roca Team…
Je ne suis pas parti de Monaco comme un loser. On n’avait pas encore laissé échapper le moindre objectif. Cette équipe a un gros potentiel, en EuroLeague et en Betclic ÉLITE. En France, on peut toujours tout gagner à la fin, et rattraper toutes les erreurs en prouvant sa qualité au moment où cela compte vraiment. En EuroLeague, les choses vont très vite : avec une série de deux victoires, on peut se retrouver au sommet du classement ! C’est ce qui est en train d’arriver à Monaco (entretien réalisé samedi, avant le troisième succès consécutif engrangé face au Bayern Munich, qui offre la première place à l’ASM, ndlr). C’est la réalité de notre métier. J’ai le sentiment de ne pas avoir pu terminer complètement mon travail à Monaco. J’espérais avoir la chance de tirer le maximum de cette équipe, surtout qu’elle ne sera probablement plus la même dans un futur proche. Après, il y a déjà eu des changements l’été dernier, avec le départ de trois joueurs importants de notre histoire : JB (John Brown), Donta (Hall), Yakuba (Ouattara). Mais il faut accepter ces changements et tourner la page, c’est tout ce qu’on peut faire.
Qu’avez-vous fait tout le mois dernier ?
J’ai tellement d’énergie en fait (il rit) ! Puisque j’en fais moins professionnellement, il faut que je compense par autre chose. Je continue à faire du sport tous les jours mais je me prépare surtout pour la suite. Je prépare des matchs comme si je coachais une équipe ! Je regarde énormément de matchs, c’est la première chose que je fais le matin quand je me réveille. J’étudie plusieurs équipes, comment je réagirais face à X ou Y situation, comment je coacherais tel ou tel effectif. L’histoire montre qu’une opportunité peut arriver très vite alors il faut que je sois prêt. Et à vrai dire, je suis prêt… Avec mon énergie, ma connaissance du basket, mon expérience et ma réputation, je suis prêt pour n’importe quel challenge qui se présenterait en face de moi.
Vous n’avez donc pas fait la moindre pause ?
Non. Pourquoi faire ? Ce n’est que le début de saison. Il me reste encore beaucoup d’énergie.
« Tous les joueurs, sauf un, m’ont écrit… »
Parce que cela a dû être épuisant de rester l’entraîneur de l’AS Monaco pendant trois saisons ? En 2023, vous disiez que toutes les journées dans ce costume étaient difficiles.
Ce n’est pas faux. Il y a beaucoup d’attentes à Monaco et c’est aussi une preuve de bon travail d’avoir trouvé un moyen de survivre aussi longtemps à ce poste. Rester une saison de plus, et encore une autre, quand votre job est menacé, et que tant de gens veulent prendre votre place, ce n’est pas anodin. Pour d’autres clubs, une victoire contre Monaco représente le pic d’une saison. Devoir gérer ça deux à trois fois par semaine est un vrai défi. Mais je ne prenais pas ça comme un boulot au sens strict du terme. Pour moi, ça a toujours été un plaisir, et ça le reste encore aujourd’hui quand je prépare des matchs.
Zvezdan Mitrovic a amené l’ASM en EuroLeague, mais vous êtes le coach qui a permis au club de franchir un palier supplémentaire, remportant ses deux premiers titres en France et atteignant le Final Four de l’EuroLeague…
C’est un privilège. J’ai remporté des titres dans trois pays différents (champion d’Allemagne en 2006 et d’Ukraine en 2012, ndlr), et toujours été élu coach de l’année. En France, ce n’est pas le cas, même si j’ai participé au All-Star Game. Les trophées collectifs sont une énorme satisfaction pour moi, ça prouve que l’on a fait les choses correctement. C’est bien de voir que les gens qui m’ont fait confiance ont pu obtenir des résultats. Monaco s’est mis sur la carte du basket très rapidement, mais ce n’est pourtant pas aussi facile que ça le laisse paraître. Quand je suis revenu ici, en décembre 2021, c’était extrêmement exigeant de tout gérer en même temps. Ça me rend encore plus fier de voir ce que j’ai fait avec l’équipe, et ce que l’équipe a fait pour moi. Je suis devenu un meilleur entraîneur à Monaco, plus expérimenté, meilleur manager aussi. Il a fallu gérer plusieurs caractères et plusieurs mentalités différents, des joueurs qui ont besoin de plus d’attention. Là-dessus, je peux vraiment dire que je me suis amélioré. Il y a encore quelques années, j’étais peut-être trop agressif, je pouvais dépasser les limites. Mais maintenant, c’est plus facile pour moi de naviguer au milieu de ça, de tisser des relations et de maximiser chaque situation. D’ailleurs, en dehors du palmarès, l’une de mes autres joies personnelles a été de permettre à Matthew (Strazel) d’aller en équipe de France pour les Jeux Olympiques. Ça rend mon travail encore plus valorisant. Oui, on gagne des matchs, des trophées mais si on aide des jeunes à atteindre un certain niveau, c’est une toute autre dimension. J’en suis heureux !
Vous mentionnez le fait de ne jamais avoir été élu coach de l’année en France, comme vous vous en étiez offusqué en plein Final Four de l’EuroLeague en 2023 suite au choix de Laurent Vila. Avez-vous l’impression de ne pas avoir été respecté à votre juste valeur en France, parce que vous étiez entraîneur de l’AS Monaco, une équipe qui doit gagner quoiqu’il arrive
On m’a expliqué les critères, et j’ai beaucoup de respect pour mes collègues, surtout pour les vainqueurs à qui il faut accorder leur mérite. Que je comprenne ou non la manière de voter, c’était surtout primordial pour moi que l’AS Monaco domine en France. Les distinctions individuelles sont parfois importantes, mais elles ne sont pas cruciales. Donc non, je n’ai pas de regrets là-dessus, je sais que j’ai tout donné pour le club.
De nombreux joueurs se sont exprimés après votre éviction. On se rappelle ainsi du message émouvant de Mike James. C’est aussi forcément une satisfaction de voir que vous avez compté ?
En fait, tous les joueurs, sauf un, m’ont écrit de jolis messages après mon éviction. Je ne dirais pas qui ne l’a pas fait. Tous les autres m’ont montré leur soutien, leur affection, leur reconnaissance pour ce que l’on a accompli ensemble. Bien sûr que c’est une autre forme de satisfaction. Parfois, le coach est la dernière personne que les joueurs veulent voir (il rit). Dans mon cas, je peux dire que c’était totalement différent. Je me rappelle de mon départ de l’Étoile Rouge (le 24 décembre 2020, après seulement une demi-saison) : j’avais beaucoup d’amertume, c’était dur à avaler. Mais ici, avec tout ce que j’ai accompli à Monaco, je ne peux pas être déçu.
« Je pense que je peux toujours avoir le luxe de choisir mon prochain emploi »
Avez-vous tout de même des regrets, comme le fait de n’avoir jamais remporté l’EuroLeague avec Monaco ?
Bien sûr que ça restera toujours un regret, que ça demeurera quelque part dans mon esprit… Même cette saison, je pense qu’on avait une vraie chance d’y parvenir. L’objectif restait atteignable. C’est encore trop tôt pour tirer des premières conclusions en EuroLeague. Il y a de grosses surprises, comme Paris, mais aussi d’autres équipes plus décevantes. Quand on voit jouer certaines grosses écuries du basket européen, on peut se demander si c’était vraiment la qualité qu’elles voulaient avoir, vraiment le niveau qu’elles attendaient. Et quand on voit des joueurs aussi bien payés se faire battre par des équipes qui n’ont pas les mêmes moyens financiers, il y a forcément une autre question qui suit :. est-ce utile d’investir autant d’argent ?! Mais pour l’instant, c’est encore trop tôt. Les clubs qui ont du mal pour l’instant auront encore leur chance au printemps. Si vous finissez haut au classement, vous risquez de rencontrer le Real Madrid, le FC Barcelone, le Panathinaïkos ou l’Olympiakos en quart de finale… Ça va être incroyablement difficile de les rencontrer en playoffs.
Regardez-vous encore les matchs de l’AS Monaco ?
Oui, je les regarde ! En réalité, ce n’est pas un problème pour moi. C’est même utile parce que je peux apprendre des choses, voir ce que le nouveau coach (Spanoulis) tente, ce que je pourrais faire différemment pour améliorer l’équipe. Ce sont toujours des informations intéressantes. J’ai essayé beaucoup de choses et je vois que l’équipe est sur le bon chemin maintenant. Ça ne me pose pas de souci de regarder l’AS Monaco, alors que c’était impossible a contrario de voir un match de l’Étoile Rouge après mon départ.
Que pensez-vous des premiers ajustements réalisés par Vassilis Spanoulis ?
Cela n’aurait aucun sens de juger son travail après seulement quelques semaines. Le seul jugement possible sera à la toute fin de la saison. Les objectifs du début étaient clairs : retourner au Final Four et gagner tous les trophées en France. Ces dernières années, on avait dominé le basket français et les objectifs étaient remplis.
De quoi avez-vous envie pour l’avenir désormais ?
Je ne vais pas accepter n’importe quoi. Je vais attendre une bonne opportunité, une bonne équipe, quelque chose qui me fait vraiment envie. Je pense que je peux toujours avoir le luxe de choisir. Parfois, le train est passé et vous devez prendre le premier boulot venu, mais je suis convaincu que je peux encore attendre. Je ne vais pas foncer n’importe où juste pour retrouver un job. Je voudrais qu’un club me recrute pour ce que je suis vraiment, pour mes compétences, pour ma philosophie. Je suis persuadé que je pourrais avoir un impact peu importe où je retrouverai un banc à l’avenir.
Commentaires