Arnaud Guppillotte : « Je crois que je n’avais jamais rencontré une génération aussi mature »
Fort de 14 années de coaching des équipes de France jeunes féminines, mais aussi en tant que coach au Pôle France, Arnaud Guppillote (45 ans) a fini l’été en apothéose. À la tête des U16 tricolore durant tout l’été (du 12 juin aux 27 août), il a su avec ses jeunes joueuses aller chercher le titre de champion d’Europe à Matosinhos (Portugal) après avoir remporté le Festival Olympique de la Jeunesse Européenne (FOJE) en Slovaquie. Arnaud Guppillotte revient sur le parcours de son équipe.
Voilà maintenant 8 jours (entretien réalisé dimanche 4 septembre) que vous avez remporté ce titre à l’EuroBasket U16. Quel sentiment avez-vous après cette campagne 2022 ?
Les premiers sentiments sont du soulagement et de la fierté, car c’est une campagne où nous avions deux compétitions, le FOJE et l’Euro. Cela n’était pas simple à manœuvrer, puisque c’étaient deux compétitions officielles et il fallait être très attentif pour que les joueuses ne se dispersent pas d’une compétition à l’autre. Il fallait aussi faire attention aux états de forme. Maintenant, il y a beaucoup de soulagement, je suis très fier que ces joueuses puissent terminer l’été par un titre. Elles l’ont particulièrement mérité, car je crois que je n’avais jamais rencontré une génération aussi mature et aussi déterminé dans sa façon de vivre au quotidien l’objectif et le basket.
« Nous recherchons une alchimie, une complémentarité des joueuses »
Est-ce que les campagnes U16 comme celle-ci ont un goût particulier du fait que ça soit le premier Euro d’une génération, qu’il soit au bout de l’été après une longue préparation ?
Cette année, j’avais 7-8 filles que j’encadre toute l’année au Pôle France. C’est vrai qu’il y a une forme de continuité et à la fois une forme de différence parce que le travail que nous faisons en équipe de France n’est pas le même que celui fournit au Pôle, nous n’avons pas le même relationnel. Au Pôle France, cela va plus être un projet individuel et beaucoup moins collectif. En équipe de France, nous recherchons une alchimie, une complémentarité des joueuses. Le fait d’avoir ce continuum avec les filles, même avec celles de l’extérieur, nous permet d’avoir une histoire due au fait qu’on vive ensemble un mois et demi. De plus, elles ont 16 ans, ce sont des jeunes femmes, c’est différent, car elles ont encore une part d’authenticité, de spontanéité et de naïveté qui est vraiment intéressante à aborder. Il y a de la fraîcheur, puisque pour la majorité d’entre elles il s’agissait de leur première compétition internationale et donc c’est agréable pour un entraîneur et un staff.
De la fraîcheur, du talent, du travail et de l’authenticité, donc oui franchement il y a un gout particulier, c’est symbolique.
« Elles ont toutes quelque chose de particulier »
Vous qui avez coaché l’année dernière les U19 féminines à la Coupe du monde, et la génération 2001 (Rupert, Fauthoux, Chery, Wadoux etc.) avant cela, comment évalueriez-vous cette génération 2006 ?
Elles veulent tout absorber, en plus, elles ont une certaine maturité, car elles savent qu’elles ont du talent. C’est une génération qui est vraiment talentueuse, mais elles ont l’humilité de ne pas se reposer sur ça, mais sur leur travail. C’est un assemblage de joueuses qui savent se mettre au service de l’équipe. Elles ont toutes quelque chose de particulier, il y a une vraie complémentarité de compétence et de talent. Si elles comprennent que leurs complémentarités les emporteront loin, alors oui, c’est une génération qui ira très loin.
Des joueuses de talent dans cette génération 2006, comme Téa Cleante et Nell Angloma qui ont participé au début de l’été à Coupe du monde U17, vous ont-elles apporté une certaine sérénité, un leadership, qui ont tiré l’équipe vers le haut?
Le leadership, nous l’avons construit sans elles, car nous ne pouvions pas faire de plan sur la comète. Je n’envisage pas de chose tant que les personnes ne sont pas là. De plus, nous n’étions pas à l’abri d’une blessure ou autres. Donc, le leadership c’était Stella Colas qui l’avait avec Myriam Traoré. Après, quand elles sont revenues, elles nous ont apporté plus d’expérience, de leadership basket, ainsi que de la sérénité sur le terrain. Elles ont amené cette stabilité réellement à partir des matchs couperet.
De la même manière, il y avait des 2007 inclus dans le groupe, comment jugez-vous leur niveau de performance à l’Euro?
J’ai dû reconstruire l’équipe pendant le championnat d’Europe et donc faire monter Ainhoa Risacher en poste 4, suite aux blessures survenues lors de la préparation. Son objectif était de distribuer du jeu et de prendre des initiatives. Dans le milieu, nous disons que de faire une campagne, c’est six mois d’accélération entre les scouting et le jeu basket. Elles se sont adaptées vite et elles auront ça de plus que les autres. Elles seront attendues sur leur expérience que cela soit avec moi ou pas.
« Marquer son territoire c’est faire peur aux gens »
Vous avez gagné tous vos matches avant la finale avec un écart moyen de 44 points. Dans ces moments-là comment ont-elles su rester rigoureuses et disciplinées ?
Dès le mois de juin, nous avons fixé des objectifs. Les joueuses ont fixé les leurs en partant de quelque chose d’existant, en s’étudiant, puis nous avons supervisé les adversaires dominantes de la scène européenne, et en faisant cela nous nous sommes rendus compte que notre principal ennemi c’était nous, et non l’adversaire. Il fallait faire attention, mais ne pas oublier que ce sont des compétitrices qui voulaient être championnes d’Europe. Puis, après avoir fixé les objectifs nous avons fixé les valeurs. Le respect de l’adversaire et de nous-mêmes en était la première. Ensemble, nous avons déterminé que de la première à la dernière seconde, le message que nous devions envoyer à nos adverses que l’équipe de France n’était pas le Mont Blanc, mais l’Everest. Marquer son territoire c’est faire peur aux gens, les équipes ont désarmé devant nous, comme la Pologne où le coach m’avait demandé de ne pas le détruire.
« La défense. C’est mon domaine, c’est une dictature, ma dictature »
Quels ont été les ingrédients de votre succès?
Créer un groupe, une équipe, car les individualités, les talents, nous les avions. Maintenant, qu’elles travaillent et collaborent ensemble, ce sont les grands défis de l’entraîneur et du staff. Notre travail était de faire comprendre à chacune des filles qu’elle était sa place au sein du groupe car nous avions une équipe avec beaucoup d’ego. Nous avons travaillé pour déterminer : Qui va où ? Qui fait quoi ? Quelle est la place de chacune dans cette équipe ? Il fallait que chacune reste dans son registre.
Quelle identité avez-vous voulu montrer tout au long de cet EuroBasket ?
La défense. C’est mon domaine, c’est une dictature, ma dictature, il y a des règles et il faut les respecter. L’attaque est une démocratie, elles sont libres de faire le jeu. Notre but avant de débuter chaque match de cet euro, était de détruire le potentiel de nos adversaires en les orientant sur ce qu’elles savent le moins faire. Cela a marché car Iyana Martin Carrion marque 22 points en finale, mais fini à 4/14 aux tirs et Awa Fam Thiam est à 7 points au lieu de 17, donc nous avons bien réussi à les canaliser. En finale, les Espagnoles ont organisé un jeu pour que Carrion puisse récupérer sa main forte sans que nous puissions l’orienter sur sa main faible, il nous a donc fallu un temps de réadaptation.
Finalement ce titre de championne d’Europe, il masque la domination des Espagnoles cet été. Quel est votre avis sur cette domination des Ibériques tout au long de compétitions jeunes estivales ?
Pour moi, c’est une domination ponctuelle. C’est-à-dire, qu’il y a 3 ans, c’est nous qui raflions quasi toutes les médailles et les Espagnoles n’étaient même pas qualifiées. En discutant avec le DTN (directeur technique national) espagnol, il me dit que nous avons 12 joueuses ou joueurs qui sont des prospects, alors qu’eux ont seulement 2-3 joueuses. Il faut comprendre que ce sont des épiphénomènes.
« Nous ne nous intéressons pas réellement à ce qu’elles savent déjà faire »
Qu’est-ce qui fait que le basket français n’arrive pas à devenir la nation numéro 1 en Europe, alors que sur le papier nous avons l’impression que nous avons tout ce qu’il faut (structure, des potentielles, des qualité physiques et athlétiques) ? Qu’est-ce qu’il manque d’après vous pour passer le cap selon vous ?
C’est une vaste question, nous en avons beaucoup parlé pendant l’été entre les coachs. Je pense déjà qu’il manque une identité pédagogique. Pour moi, « les joueuses doivent plus penser à jouer que jouer en pensant ». En France, nous avons une identité très professorale qui vient du siècle des lumières, des universités, de la renaissance, de l’intellectualisme… Donc l’entraîneur sait, il a le savoir et le dispatche aux joueuses et elles écoutent religieusement. Mais, nous ne nous intéressons pas réellement à ce qu’elles savent déjà faire. Pour moi, il faut utiliser le savoir de la joueuse. Je dis ça, car les Espagnoles ont un style pédagogique différent, c’est dû laisser jouer, elles sont joueuses. Moi, à l’entraînement je les laisse jouer et après, je leur demande ce qui n’a pas été. Ce qui nous manque, ce n’est pas la technique, car techniquement nous sommes dix fois meilleures que l’Espagne par exemple sur la gestuelle de tir. Nous techniquement, tactiquement et physiquement, nous sommes bons, mais il nous manque la fluidité, donc le jeu. Ma philosophie est de dire le jeu appartient aux joueuses, donc moi, je suis juste là pour mettre des limites.
« Il ne faut jamais oublier de remercier les gens qui sont autour de cette performance, c’est important. Il me faut remercier les entraîneurs des clubs qui ont découvert les filles, les parents, mais aussi tous les dirigeants qui les ont eus entre les mains. »
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