Des Bulls à Cluj-Napoca, le nouveau départ d’Adam Mokoka : « Je ne peux pas être frustré par mon parcours »
Sinusoïdal, définition : « se dit d’un mouvement qui fait des zigzags ». Exemple : le parcours d’Adam Mokoka. Parti vivre son rêve en NBA avec les Chicago Bulls, l’arrière francilien était revenu en France, à Nanterre, en 2021. Un retour durable pensait-on alors. Mais non, l’ancien gravelinois avait ensuite décidé de retraverser l’Atlantique, direction la G-League, l’année dernière, avant un second come-back en Europe cette année, aux confins du continent, à Cluj-Napoca, le plus grand club roumain du moment. « J’ai simplement pris les meilleures opportunités qui se sont présentées à moi », glisse l’arrière de l’U-BT. « Je veux toujours aller là où je pourrais le plus progresser. »
En septembre dernier, après un été passé sans offre réjouissante, si ce n’est des propositions de clubs grecs ou italiens sans Coupe d’Europe, la meilleure opportunité est donc visiblement arrivée de Transylvannie. Sur le papier, quand on s’appelle Adam Mokoka et qu’on a 25 matchs NBA au compteur, rejoindre le championnat roumain n’a rien de très sexy. Mais l’enfant de Garges-lès-Gonesse n’a évidemment pas signé pour les charmes de la Liga Nationala. Il a surtout été séduit par la perspective de l’EuroCup, où l’U-BT brille dans le Groupe B, à égalité avec la JL Bourg (7v-2d). « C’est une grosse compétition, reconnue », explique-t-il. « C’est vraiment ce qui m’a poussé à aller à Cluj. »
Toujours aux portes du grand monde
Et cette fois, promis, il n’y aura plus d’aller-retour d’une rive à l’autre de l’océan. « L’idée est de le faire rentrer sur le haut niveau européen », révèle son agent, Olivier Mazet. Car quand on a 25 ans, il est vrai qu’on a encore toute une carrière devant soi pour rejoindre la terre promise. Surtout quand on a toujours tutoyé le grand monde, sans jamais véritablement y entrer. Adam Mokoka est double champion d’Europe juniors – une rareté – mais il n’a encore jamais joué en équipe de France. Adam Mokoka a donc aussi goûté sporadiquement à la NBA sous la mythique tunique des Chicago Bulls mais il n’a jamais été considéré comme un vrai joueur NBA, malgré un instant suspendu : 15 points à 100% en 5 minutes contre New Orleans le 7 février 2020, du jamais-vu dans l’histoire de l’Association, et des chants de MVP descendant des travées du United Center, notamment garnies de sa mère et de sa tante. « Je m’en souviendrai toujours », glisse-t-il, quatre ans plus tard, avant de s’étendre sur sa trajectoire. « Je ne peux pas être frustré par mon parcours. Au contraire, je suis assez fier de moi. À vrai dire, en commençant le basket, je n’aurais jamais pensé que je pourrais connaitre tout cela. Si l’on m’avait dit que j’accomplirais tout ce que j’ai réalisé, je ne l’aurais pas cru. Les attentes extérieures des gens ne sont pas forcément les miennes. J’ai une jeune carrière avec pas mal d’expériences de basket différents. J’ai pris chaque année en maturité et cela me permet d’avoir un bagage assez solide pour me pousser vers de grandes ambitions. »
Une ascension bâtie principalement sur deux piliers : les gênes familiaux athlétiques (une sœur aînée, Suzi, qui a fait de l’escrime à bon niveau et une cadette, Yelena, médaillée au championnat de France de disque), certainement, et des prédispositions défensives naturelles, surtout. « Ça a toujours été ma qualité première », acquiesce celui qui est venu au basket sur le tard, un peu par hasard, en accompagnant un ami à l’entraînement à Cergy-Pontoise. « J’avais une capacité à bouger mes pieds rapidement qui était sûrement due à mes cinq années de football. » Le reste de la panoplie a toujours été en chantier, à commencer par l’éternelle question du shoot, mais ce sont bien ces facultés de stoppeur, couplées à l’agressivité qu’il a su développer, qui lui ont offert ses premières minutes en pro au BCM Gravelines-Dunkerque dès le mois de décembre 2015, à peine six ans après avoir démarré le basket. « Il a énormément bossé pour y arriver », retrace Julien Mahé, l’entraîneur qui l’a accompagné tout au long de sa progression à Sportica. « Il avait des qualités physiques exceptionnelles mais des qualités techniques qui n’étaient pas là au départ. Alors il a travaillé très dur. On a fini par lui confier de vraies responsabilités en Pro A. Défensivement, il avait montré de sacrées qualités, il était souvent missionné sur le poste 2 scoreur américain adversaire. Offensivement, il avait été plus en difficulté, il était encore dans l’apprentissage dans beaucoup de domaines, mais il avait bien tenu son rôle. »
Une forme d’illisibilité ?
Une vraie saison rookie, en 2017/18, récompensée par le trophée de meilleur jeune de Pro A et l’heure de l’envol, avec ce choix de casser son contrat au BCM afin de rejoindre la pépinière serbe de Mega. « Ce n’était pas une mauvaise décision », admet même Mahé, avec du recul. Le début, aussi, de l’instabilité, balloté d’un club à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. « Ça a été riche en émotions et en belles expériences », sourit le joueur. Dans le désordre, on citera cette année en Serbie qui l’a endurci à 20 ans, les conseils de Zach Lavine ou Coby White aux entraînements des Bulls, les belles performances offensives en G-League (12,5 points l’an dernier avec Oklahoma City Blue) qui ont montré de vrais progrès au shoot (34% à trois points). Mais aussi beaucoup de moments sans jouer, et demeure encore cette impression tenace d’illisibilité, comme si on ne comprenait pas très bien la cohérence des choix.
« Se demander si une trajectoire est normale ou non, c’est très stéréotypé », répond Olivier Mazet. « Les gens regardent ça sous un prisme franco-français. À partir du moment où on a commencé à bosser ensemble, après son passage à Nanterre, je n’ai eu que des propositions européennes où il avait un rôle très restreint offensivement. On a eu cette possibilité sur le tard à Oklahoma City, avec la volonté de le responsabiliser en attaque, de lui laisser la liberté de faire des stats. La volonté était de le voir faire une saison offensivement aboutie et d’avoir une carte à jouer sur un two-way contract. La logique était là et ça a plutôt pas mal marché car il a fait une très belle saison avec le Blue avec de vrais matchs références. Le lendemain, on s’engage à Venise, avec l’idée de prendre date pour la saison suivante. C’est une équipe de référence en Italie qui n’a pas du tout eu ce raisonnement franco-français de se demander pourquoi il était reparti en G-League. » Malheureusement, une blessure au poignet dès le premier match contre Milan viendra contrecarrer cette ambition, d’où un long retour sur le marché des transferts cet été, avant le coup de fil salvateur de Mihai Silvasan en septembre.
« Je pense qu’il est évident que je fais partie des meilleurs défenseurs d’Europe »
Quelques semaines après la reprise, l’ancien international roumain a constaté qu’il manquait un chaînon dans son effectif. Il y avait du talent, beaucoup de joueurs capables de marquer des points (D.J. Seeley, Bryce Jones, Andrija Stipanovic, Jarell Eddie), mais pas forcément beaucoup, en revanche, susceptibles d’empêcher l’adversaire d’en marquer. « On avait besoin d’un joueur athlétique, complet, bon défenseur, capable d’évoluer sur toues les postes extérieurs. Or, c’est le portrait robot d’Adam », explique le technicien transylvanien. Depuis son arrivée, Silvasan n’a pas à se plaindre de sa recrue. Concerné dans le championnat roumain (11,6 points à 57%, 2,5 rebonds et 1,9 passe décisive), où il sort samedi de sa meilleure performance dans l’antre du Rapid Bucarest (19 points à 6/8, 2 rebonds et 2 passes décisives), le Francilien est également plutôt régulier en EuroCup (9 points à 47%, 3 rebonds et 2,7 passes décisives). « Il doit encore s’adapter mais il nous déjà beaucoup de bonnes choses », appréciait son coach fin octobre.
Tous ceux qui l’ont vu lors de son match à Bourg-en-Bresse plus tôt cet automne auront reconnu le joueur qu’il a toujours été : énorme slasheur, fort en percussion, facilement capable de trouver des intervalles vers le cercle, mais piètre shooteur (0/4 à trois points), avec deux airballs balancés depuis la ligne majorée. Une vision partiellement erronée puisqu’il peut désormais mettre dedans par séquence (9/24 au sein du championnat roumain). « Tout le travail que je fais dans l’ombre va se voir au grand jour sur le terrain : je ne vais jamais arrêter de bosser mon tir, jusqu’à ce qu’il soit solide et efficace », clame celui qui part de tellement loin dans le secteur. Les habitués d’Ékinox auront aussi vu un très solide défenseur, à même de mettre une pression folle sur le porteur de balle. « Si je veux être reconnu comme l’un des meilleurs défenseurs d’Europe ? Non, pas spécialement. Sans vouloir être prétentieux, je pense que c’est évident que je le suis. » Enfin, il est également possible de voir une vision du passé cette année : Adam Mokoka à la mène. Largement utilisé à l’aile ces dernières années, le joueur a été séduit par la possibilité d’être recentré sur les postes 1 et 2. « Là où j’ai été formé au BCM, là où j’ai joué en Serbie », savoure-t-il. « C’est vraiment intéressant pour moi. Même si je n’y ai pas joué depuis trois ans, les automatismes sont vite de retour. Il faudra juste que la patience et la vision du jeu reviennent naturellement. »
Cluj, l’an 1 en Europe ?
Après plusieurs saisons passées dans la confidentialité des sous-sols du basket américain, que ce soit en ne jouant presque pas pendant toute une saison lorsque Windy City refusa de prendre part à la G-League (138 minutes sur l’intégralité de l’exercice 2020/21), ou dans la jungle de la ligue de développement, Adam Mokoka a désormais une vision claire : devenir un joueur qui compte sur le Vieux Continent. « Il veut s’établir en Europe », promet Mihai Silvasan. « C’est une saison charnière », renchérit Olivier Mazet. « Ça avait du sens de le faire participer à l’EuroCup avec un coach qui veut le responsabiliser. C’est clairement le lancement de sa carrière vers le haut niveau européen. Il a maintenant une maturité personnelle et sportive pour pouvoir s’y stabiliser. » Mais il est bien que d’autres en parlent car le principal intéressé reste volontairement évasif sur ses objectifs. « Le fait d’être venu en Roumanie me permet enfin de retrouver mon poste et des responsabilités dans une grande compétition. C’est ce qu’il y a de mieux pour moi. Cette saison, je veux prendre du plaisir au maximum. Je veux la prendre comme une étape et remplir mes objectifs. Ce qui me fait envie à terme ? Disputer les playoffs de l’EuroCup, déjà. C’est un très bon niveau, il n’y a que l’EuroLeague au-dessus. Je prends vraiment étape par étape. Il vaut mieux faire une bonne saison à Cluj pour pouvoir en réaliser une meilleure ensuite. » Alors quoi ? L’EuroLeague ? C’est forcément dans un coin de la tête. L’équipe de France ? « La porte est très grande ouverte de mon côté. » L’heure du re-décollage, alors, lui suggère-t-on ? L’expression ne plait pas. « Disons que c’est un retour », souffle-t-il. Pour de bon, cette fois ?
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