Alain Thinet, la retraite à 69 ans : « Je suis très fier d’avoir duré »
En 1997, alors en fin de course au Havre, Vincent Collet passait le premier entretien d’embauche de sa future carrière de coach, avec Louis Malecki, ancien président de la JL Bourg (Pro B). Il ne l’avait pas spécialement raté mais le Bressan lui avait finalement préféré un technicien autrement plus expérimenté, notamment élu coach de l’année cinq ans avant en Pro A : Alain Thinet. C’est dire si le Ligérien fait partie des meubles dans le milieu, avec ses bouclettes brunes présentes sur les bancs hexagonaux depuis une éternité. Depuis l’été 1988 pour être exact, avec un premier match officiel coaché le 24 septembre à Évreux, une victoire 90-78 de la Chorale notamment marquée par 22 points et 8 rebonds d’un certain Terry Stotts, futur entraîneur des Portland Trailblazers.
34 ans, 7 mois et 18 jours plus tard, le destin est facétieux : Alain Thinet (69 ans) va terminer sa carrière de coach au même endroit, dans un gymnase qui n’a pas bougé au cours des 12 648 derniers jours, l’antique salle Jean-Fourré d’Évreux. À vrai dire, le véritable point final de sa carrière a eu lieu vendredi à Saint-Chamond, lorsque plus de 4 000 personnes se sont levées pour acclamer le cerveau du SCBVG au sortir d’une démonstration contre Orléans (94-78). Entre-temps, il y a eu dix équipes, beaucoup d’émotions diverses, trois titres, cinq montées, trois descentes, des liens humains, et « tout ce qui fait le charme d’une carrière ». En février dernier, en prévision d’un arrêt programmé depuis longtemps, Alain Thinet avait retracé le fil d’une vie basket en notre compagnie.
Son parcours :
En tant que joueur :
- 1972/78 : Montbrison (NM1 et Pro B)
- 1978/87 : JA Vichy (Pro B et Pro A)
- 1987/88 : Chorale de Roanne (Pro B)
En tant que coach :
- 1988/93 : Chorale de Roanne (Pro B et Pro A)
- 1993/95 : JA Vichy (NM1 et Pro B)
- 1995 : Cholet Basket (Pro A)
- 1996/97 : Châlons-en-Champagne (Pro B)
- 1997/01 : JL Bourg (Pro B et Pro A)
- 2001/03 : JDA Dijon (Pro A)
- 2003/08 : Saint-Étienne (Pro B)
- 2008/09 : Besançon (Pro A)
- 2010 : Nyon (Suisse)
- 2010/23 : Saint-Chamond (NM1, NM2, NM1 et Pro B)
Son palmarès :
- Champion de France Nationale 3 (l’équivalent de la NM1) en 1973 avec Montbrison
- Champion de France Pro B 2000 avec la JL Bourg
- Champion de France Nationale 2 en 2012 avec Saint-Chamond
- Champion de France Nationale 1 en 2015 avec Saint-Chamond
- Élu entraîneur de l’année en Pro A en 1992
- Élu entraîneur de l’année en Pro B en 2022
Le joueur Alain Thinet, « la mobylette »
« Le basket, c’était presque la solution de facilité pour moi quand j’étais jeune. J’ai grandi à Montbrison, à côté du gymnase Jean-Pierre Cherblanc, qui était la première de salle de basket en France, donc je couchais presque à la salle. J’ai fait toute ma jeunesse à Montbrison, jusqu’à mes 25 ans, jouant même en équipe première à partir du moment où je suis parti à la fac à Saint-Étienne. Cela correspondait à la Nationale 1 et on est monté en Pro B lors de ma première saison, où l’on a été champion de France en battant Mulhouse avec Jean-Luc Monschau en face. C’est un super souvenir. Quelques années plus tard, Vichy m’a contacté lorsque j’ai fait le bataillon de Joinville avec l’équipe de France militaire. On alternait entre la Pro B et la Pro A. J’ai eu Jean Galle et Paul Besson comme entraîneurs. D’ailleurs, les Jean-Philippe et Jean-Paul Besson, je les ai vus grandir, on vivait dans deux maisons mitoyennes. Puis je suis parti terminer ma carrière à la Chorale de Roanne.
Le joueur Alain Thinet était un feufollet. On m’appelait la mobylette car je courais partout. J’étais un coach sur le terrain, avec une connaissance du jeu intéressante, qui faisait jouer les autres, qui oubliait un peu de shooter aussi. J’avais beaucoup de cœur, d’agressivité, de gnac, mais pas de qualités physiques ou d’adresse exceptionnelles. Je n’aurais pas du tout eu le profil requis pour jouer dans le basket d’aujourd’hui. C’était complètement une autre époque. À Montbrison, je jouais uniquement pour le plaisir, sans aucun salaire. On a même été 5e de Pro B, sans que l’on soit professionnel : c’était un niveau intéressant pour un étudiant ! Je ne sais même pas si l’on s’entraînait deux fois par semaine. À Vichy, je travaillais 40h à côté dans les bureaux d’une société de câblage aéronautique. On n’avait pas du tout les mêmes rythmes d’entraînement que de nos jours. Mais parfois, quand on avait des matchs à l’extérieur en pleine semaine, on rentrait au petit matin et je me retrouvais à 8h au petit matin au boulot. »
De Roanne à Vichy, l’apprentissage improvisé du métier de coach
« En 1988, c’est le directeur technique national, Pierre Dao, qui a dit aux dirigeants de Roanne : « Vous avez le coach dans l’équipe ». J’avais les diplômes, obtenu en candidat libre, donc j’ai fait la bascule assez simplement. J’avais un contrat de joueur de deux ans et la deuxième saison s’est effectuée en tant qu’entraîneur. Il y a des joueurs avec qui je jouais encore l’année d’avant. J’étais toujours un peu plus joueur qu’entraîneur mais j’avais ça dans le sang en fait. Au bataillon de Joinville, à Vichy, à Roanne, je me suis directement retrouvé capitaine. J’ai souvent tenu ce rôle de relais du coach. Et avec Roanne, la chance a voulu que l’on monte en Pro A dès ma première saison, ça a lancé ma carrière.
Pendant cinq saisons avec la Chorale, on s’est toujours maintenu avec un petit budget. Il y a même une année en 1992 où l’on va jusqu’en quart de finale des playoffs face à Limoges. Je finis coach de l’année alors que je ne maîtrisais pas vraiment l’équipe. C’étaient les deux Ricains, Fennis Dembo et Cedric Henderson, qui la tenaient : deux joueurs fantasques, qui ont mis le feu à Vacheresse et qui nous ont permis de faire des grosses saisons. Être élu coach de l’année, c’était aussi inespéré qu’inattendu. Honnêtement, je n’étais pas prêt à recevoir cette distinction. J’étais un peu là par hasard en fait. Je n’ai jamais été formé à être entraîneur, jamais effectué de stage ou quoi que ce soit. Ce n’est qu’avec le vécu que j’ai amélioré mes qualités. Je n’étais même pas coach à plein temps d’ailleurs puisque j’étais aussi éducateur sportif. Je travaillais à Vichy, je faisais les trajets tous les jours jusqu’à Roanne… Le matin, je n’étais pas là, c’était mon assistant qui s’occupait de l’entraînement. J’arrivais le soir et j’apprenais qu’il y avait eu tel ou tel évènement plus tôt dans la journée. Ça n’a jamais été un long fleuve tranquille. On ne maîtrisait pas le basket de A à Z, je subissais plus que je n’imposais.
Avec la Chorale, j’ai terminé par une descente. C’est un peu de ma faute, je n’ai pas voulu repartir avec la doublette Dembo – Henderson et le recrutement n’a pas été bon derrière. On a galéré toute la saison pour finir par être relégué. Ensuite, je suis parti à Vichy, d’où j’avais été bizarrement écarté en tant que joueur. La vie était plus facile : je continuais de travailler à côté mais au moins, j’étais sur place. Les deux saisons ont été bonnes, avec une accession à la clef en Pro B en 1994.
Été 1995, la bascule :
« Je voulais arrêter ma carrière d’entraîneur ! »
À l’issue de mon passage à la JAV, en 1995, je voulais arrêter ma carrière d’entraîneur pour devenir Cadre Technique Régional ! Je pensais que c’était trop compliqué niveau familial. Je ne dis pas que j’avais fait le tour de la question mais c’est un métier difficile. Sauf que Cholet m’a contacté, avec une proposition de trois ans sur la table et ça m’a fait réfléchir. C’était : soit je déménage, soit j’arrête tout. J’ai choisi la première solution.
Avec du recul, je n’était pas prêt à prendre à Cholet et à assumer un tel challenge. On a fait une bonne préparation, j’intègre des jeunes comme Aymeric Jeanneau et puis on perd le premier match d’un point chez nous contre Strasbourg (82-85, ndlr), je m’en souviendrai toujours. On a une série de blessés et des joueurs pas prêts à jouer à ce niveau. C’était une situation très complexe : je ne maîtrisais pas le recrutement donc l’équipe n’était pas comme je voulais, pas équilibrée… J’ai subi. Et derrière, c’est le propre d’un coach qui a encaissé six défaites d’affilée (cinq en réalité, ndlr), ils ne m’ont pas fait de cadeaux. Cela ne m’a pas réorienté vers la réflexion d’arrêter ou non ma carrière, au contraire même : une fois que j’avais déménagé, goûté au plus haut niveau, je voulais continuer. J’ai eu des propositions de Nantes, La Rochelle et Châlons-en-Champagne, j’ai choisi l’ESPE pour succéder à Jean-Denys Choulet. Cela n’a duré qu’un an mais c’était une super aventure, où l’on a terminé 2e derrière Toulouse. C’était une très belle saison, avec un groupe très sympa, où j’ai gardé de très bons amis. L’ESPE voulait à tout prix que je reste – on a d’ailleurs fini au tribunal pour cela – mais je n’avais signé que 1+1 donc je suis parti pour aller à Bourg. »
Bourg-en-Bresse, la grande aventure
« La JL, c’est pratiquement la meilleure période de ma carrière : un truc vraiment spécial, où j’ai pu travailler comme je voulais, choisir les joueurs que je voulais. Dès que je retourne à Bourg, les gens m’en reparlent encore, même 25 ans après. Le public reste reconnaissant, c’était la première fois que la JL montait en Pro A. J’ai conservé beaucoup d’attaches à Bourg : Fabrice Serrano est un super copain, on se voit régulièrement avec Xavier Boivin car il vit dans la région stéphanoise, on discute encore avec les frères Tissot. C’était une aventure humaine super sympa, quelque chose que l’on ne peut pas vraiment expliquer : on avait deux tables de tarot dans le bus où mêmes les Ricains jouaient, on allait se faire un tennis le mercredi après-midi avec Fabrice Serrano, on se faisait des soirées EuroLeague tous ensemble à la maison. C’étaient des copains, il n’y avait pas de barrière joueur – coach. Cela reste des années privilégiées, et puis le public était derrière… Il y avait une telle homogénéité aussi : l’année de la montée, les deux Américains Eric Franson et Trazel Silvers étaient deux US moyens alors que les Français étaient bons, mais sans être des stars.
Lors de la saison de la découverte de la Pro A, en 2000/01, on démarre par un 0-8, où l’on perd le huitième match en prolongation à Strasbourg sur un coup de sifflet. Le 9e, on va à Cholet et on gagne enfin, la première victoire de l’histoire de Bourg dans l’élite (71-67), ce qui était un joli pied de nez personnel car je n’étais pas revenu à la Meilleraie depuis mon éviction. Et derrière, on fait 13/22, un parcours de club européen. Je me rappellerai toujours du match contre l’ASVEL, on a été les premiers de la saison à les battre en février (63-57 lors de la 16e journée). Il y avait un écran géant dehors. On avait l’impression d’avoir gagné la Coupe du Monde, c’était fabuleux… »
De 2001 à 2010, Saint-Étienne… et le reste
« Ce qui m’a fait partir de Bourg, c’est la volonté de rattraper l’échec que j’avais connu à Cholet. Je voulais rejoindre un club plus huppé, avec plus de moyens, et faire une Coupe d’Europe. Dijon m’a appelé donc ça correspondait bien. La première saison s’est bien passée car on termine 6e. Mais l’ambiance n’était vraiment pas au beau fixe. On avait le 9e budget, on était 6e et le président (Michel Renault) n’était pas content, ça ne lui allait pas. Ce n’était pas le genre d’équipe qui me ressemblait. Comme à Cholet, on ne maîtrise rien, je subissais le recrutement du GM (Yann Boisson). Dijon n’est vraiment pas un bon souvenir. Ils m’ont coupé en février 2003 alors que nous étions 9e, je n’avais pas à rougir. Mais c’est un club qui ne me correspondait pas.
Alors qu’Orléans m’avait contacté via Michel Gomez, je suis parti à Saint-Étienne un mois après : le club était dans la panade, Franck Le Goff voulait arrêter. J’ai fait le pompier de service avec un club mal classé et j’ai fini par y passer cinq ans. Nous avons presque toujours fait les playoffs malgré des moyens limités et une gestion pas à la hauteur. Il y avait des problèmes financiers, des dépôts de bilan pratiquement à chaque année, c’était usant. Sportivement, j’avais carte blanche pour travailler : on faisait des résultats, des jolis coups mais c’est comme si on repartait de zéro chaque année. Lors de ma dernière saison, Besançon nous bat en demi-finale des playoffs et monte en Pro A. Sylvain Lautié arrête et je le remplace au BBCD. Cela comme une saison assez peu intéressante, avec un vestiaire très Américanisé, beaucoup de changements et un dépôt de bilan au bout. On sentait que le club n’était pas bien géré. Derrière, j’ai connu une petite expérience de six mois en Suisse. J’avais dit non au début mais j’y suis allé au final. Et j’y serais bien resté… Même s’il y avait des conditions particulières : des créneaux d’entraînements pas extraordinaires et le partage de la salle avec tout le monde. Parfois, on s’est entraîné sur des tiers de terrain. »
Saint-Chamond, l’autre belle histoire
« En 2010, dès que Saint-Chamond a su que j’étais disponible et que je voulais revenir dans la région, ils ont sauté sur l’occasion. Ils m’ont déroulé le tapis rouge et, résultat des courses : relégation en N2 dès la première année ! J’étais au fond du trou… Quand on n’est pas capable de renvoyer l’ascenseur, c’est vraiment décevant. Je n’avais pas été à la hauteur des attentes des gens. Le club était en Nationale 1 depuis une éternité, ils sont contents de m’accueillir et c’est moi qui les fait descendre. On était à 13-13, on partait faire les playoffs et derrière, on rate le mois le plus important… Ça a été une déception énorme mais avec du recul, un palier pour mieux rebondir.
Saint-Chamond a vraiment été une aventure commune, une confiance avec les dirigeants et les joueurs. J’avais vraiment carte blanche. Les années NM1 ont été intéressantes, avec souvent de bons classements jusqu’à la montée en Pro B en 2015. On a connu des très belles saisons comme la demi-finale en 2019 ou l’an dernier où il ne reste aucun regret, si ce n’est d’avoir été battu par plus fort. Nancy a fait une fin de saison extraordinaire avec un 13/13 pour terminer mais on n’a pas baissé pied de notre côté : 26v-8d sur l’ensemble de la saison. C’était déjà presque inespéré d’être là, on était les premiers surpris d’une telle réussite. Alors que j’avais annoncé que c’était ma dernière saison, j’ai senti une envie des gens de me voir entrer dans l’Arena. Le président Roger Paour tenait vraiment à ce que les anciens qui avaient participé à la réussite en profitent aussi un peu. C’était aussi une façon de permettre qu’il y ait moins de changements. Je suis resté pour essuyer les plâtres, je m’attendais à ce que ce soit difficile : passer de 1 200 à 4 200 places, ça ne se fait pas tout seul. Mais le succès de cette salle est la plus belle réussite du club. C’est la preuve de l’ambition raisonnée du SCBVG, qui a su ne pas brûler les étapes. On a toujours dit qu’il manquait un équipement comme celui-là à Saint-Étienne. »
Des adieux émouvants :
« C’est trop, ce sont des témoignages disproportionnés »
« Je sors d’un week-end difficile. Le match était facile mais ce qui a suivi, beaucoup moins, même si je savais que ça allait arriver… J’ai reçu des marques de sympathie de plein de monde. Souvent, tu finis ta carrière parce que tu es viré ou que tu n’as plus de boulot. Là, c’était devant une salle à guichets fermés et 4 000 personnes qui m’acclament, ça fait chaud au cœur. J’ai eu énormément de reconnaissance, même de la part de mes pairs : ce n’est pas mérité, c’est trop… Ce sont des témoignages disproportionnés, ce n’est pas un évènement interplanétaire non plus. Mais ça me touche énormément, ça veut dire que j’ai laissé une empreinte. Dans l’ensemble, j’ai dû rendre les gens heureux. J’ai reçu beaucoup plus de témoignages sur l’humain que sur les compétences, et ça me touche encore plus car les compétences, on en a tous.
Je reste ému. C’est un page qui se tourne, mais qui est difficile à tourner : c’est 35 ans de ma vie quand même. 35 ans où tu es constamment sollicité, constamment sous pression, etc. Ce sont des soucis que je n’aurai plus. Mais je vais rester au club. Les dirigeants m’ont demandé d’être encore présent. J’espère aider Saint-Chamond à continuer de grandir, la salle s’y prête. On a vraiment un projet hyper intéressant donc si je peux donner encore un coup de main… Mais je serai plus dans l’ombre que dans la lumière. J’ai pas mal de projets autour mais je n’ai pas envie de couper complètement. S’il y a besoin de conseils ou d’avis avisés, je serais là, j’ai des idées. Conseiller, je n’aime pas trop ce mot, ce sera plus un rôle de directeur sportif bénévole.
Comment prend-on du recul après 50 ans dans le basket ? Je ne sais pas… C’est très dur. On peut difficilement couper du jour au lendemain et passer à autre chose. Le basket est ancré en moi. Mais il faut savoir dire stop aussi et ne pas s’accrocher jusqu’à 80 ans. Je pense que c’est la bonne décision, surtout que mon épouse va également arrêter, on sera les deux ensemble. Nous allons voyager. On a une fille en Australie, avec son mari et ses trois enfants. On va avoir besoin d’y aller assez vite, c’est prévu pour la fin de l’année, avec aussi la Nouvelle-Zélande. Mais je ne me projette pas. Je veux être libre de pouvoir faire autre chose. »
Une folle longévité :
« Jamais eu d’agent, jamais envoyé de CV,
jamais pris le téléphone pour trouver un job »
« Je suis un affectif. J’ai besoin de proximité avec les joueurs, besoin de respect et de ce sentiment de confiance. J’ai besoin de sentir que l’on peut bosser avec les joueurs mais aussi déconner, aller boire un coup ensemble. J’ai besoin, aussi, d’un joueur qui gère le vestiaire. S’il y a un truc qui ne va pas en interne dans l’équipe, j’ai le retour assez vite. Dans les équipes qui ont bien marché, j’ai souvent eu un relais dans le vestiaire : Christophe Grégoire à Vichy, Fabrice Serrano et Jean-Luc Tissot à Bourg, Guillaume Pons à Saint-Étienne, Mathieu Guichard et Jonathan Hoyaux ici.
J’ai progressé dans ma carrière. L’un des regrets que j’ai eu est de ne pas avoir été formé, de ne pas avoir été assistant au début. Je le vois avec mes adjoints qui arrivent avec un tel bagage technique. Ce sont eux qui me forment sur les 15 dernières années. Le métier a changé : avant, j’étais tout seul, je travaillais à côté, il fallait faire des montages cassette sur magnétoscope. Pour le recrutement, il n’y avait que deux agents. C’était d’une complexité folle alors on allait chercher les joueurs du coin. Des fois, on voyait arriver un mec, on se disait que c’était son frère, comme un gars à Vichy annoncé droitier alors qu’il ne jouait que main gauche. Il s’était fracturé la main droite mais on ne l’avait pas su. Il y a eu une vraie progression dans les conditions de travail et de recrutement avec plein d’outils nouveaux, comme Synergie. C’est un autre monde, on ne travaille pas de la même façon.
Je suis très fier du fait d’avoir duré. Je n’ai pas eu les plus grands clubs ni les plus grandes réussites du basket français. Mais j’ai démarré avec des copains qui s’appelaient Gregor Beugnot, Jacques Monclar, Jean-Michel Sénégal, les frères Monschau et moi, je suis toujours là. C’est une fierté d’avoir duré sans agent, sans jamais avoir pris le téléphone pour trouver un job, sans avoir envoyé de CV. C’est une sorte de reconnaissance du milieu. Bien sûr que j’aurais aimé avoir un palmarès plus étoffé mais j’ai des montées, des descentes, tout ce qui fait le charme d’une carrière de coach (il rit). Quand j’étais joueur, je me rappelle des plus vieux coachs comme Jean Galle, qui était l’un des premiers à 60 ans. Or, j’arrive à presque 70 ans. En fait, pour devenir le doyen, j’ai mis une poupée vaudou à Jean-Luc Monschau car c’était le seul qui pouvait me priver de ce statut (il sourit). J’étais en balance avec Jean-Michel Sénégal et Alain Weisz. Quand ils ont arrêté, il ne restait plus que Jean-Luc qui était encore en selle avec Mulhouse, même si ce n’était pas la LNB, et il a arrêté il y a deux ans. »
Souvenirs à la volée…
Alain, quel est votre meilleur moment en carrière ?
La montée en Pro A avec la JL Bourg en 2000. C’était la première fois que le club accédait au plus haut niveau. Pour une petite ville, une petite salle, c’était vraiment une réussite d’un groupe et d’une aventure humaine formidable.
Et le pire ?
La descente en Nationale 2 avec Saint-Chamond en 2011. Pour moi, c’était un échec personnel, un crève-cœur de ne pas avoir répondu aux attentes des dirigeants.
Quel fut le match le plus marquant ?
J’ai des matchs bizarres qui me viennent en tête, comme la demi-finale, avec Saint-Étienne, contre Besançon (82-84 le 7 juin 2008). Il y a eu un incident qui nous a coûté le match et la montée : l’expulsion de Johan Passave-Ducteil (après être venu se mêler à un accrochage entre Anthony Christophe et Justin Ingram) sur un coup de sifflet malheureux. Et derrière, on perd au buzzer. Même si on n’avait pas les moyens humains et financiers d’aller en Pro A, on le méritait sur le terrain. Cet incident-là a marqué beaucoup de gens à Saint-Étienne. Avec le CASE, il y a aussi un déplacement à Quimper (85-92 le 4 avril 2006) que je relate souvent : nous étions dans une période faste donc le seul moyen pour l’UJAP de nous battre avait été de faire des fautes sans arrêt (35 au total), de nous empêcher de jouer. On avait été agressé tout le match. Du côté positif, c’est très, très dur d’en ressortir un : peut-être celui à Boulloche quand on a reçu Blois pour signer la montée en Pro B (79-60 le 11 avril 2015). L’ambiance avait été extraordinaire, avec les gens si proches du terrain.
Qui fut le meilleur joueur que vous ayez coaché ?
Celui qui a la plus belle carrière, c’est Bobby Dixon. Il était arrivé rookie inconnu à Saint-Étienne (en 2006/07). Inversement, j’ai eu des gens sur le retour, qui avaient eu des bagues de champions NBA comme Fennis Dembo (1990/92) ou David Thirdkill (1989/90). Je peux aussi citer Terry Stotts (1988/89), futur coach NBA, le premier que j’ai coaché à Roanne, un grand monsieur.
Le plus talentueux ?
(il souffle) Peut-être Lenzie Howell (avec Bourg en 2000/01). Enfin non, ce n’était pas le plus talentueux de tous mais il ne s’entraînait pas de la semaine et il était extraordinaire tous les samedi. Tous les Roannais vont dire Dembo mais ce n’est pas le plus talentueux pour moi : oui, il avait un volume de jeu au-dessus de la moyenne mais il était ingérable.
« J’ai signé Mohamed Hachad en pleine montagne »
Le plus ingérable de tous ?
J’en ai eu d’autres mais pas souvent, car quand je pouvais choisir, je faisais vraiment attention à l’esprit. Mais oui, Fennis Dembo et Cedric Henderson, c’était une doublette terrible mais qui a failli nous permettre de sortir Limoges des playoffs. Ça s’est tenu à une belle, une lentille qui est tombée et qui sait s’ils auraient été champions d’Europe ensuite l’année d’après ? À Beaublanc, on est à -1, je suis obligé de sortir Henderson à deux minutes de la fin car il a perdu sa lentille et quand il est revenu sur le parquet, c’était trop tard, le CSP avait fait le trou (65-75, score final). Les avoir, c’était formateur pour un jeune coach comme moi. Même s’il faisait -10 dans la salle, Dembo s’entraînait torse nu. Il avait pris Henderson sous sa coupe et lui faisait faire n’importe quoi. En plus, c’est quelqu’un qui devait sniffer un maximum, il a fait une oversdose peu de temps après. En revanche, ils ont créé une osmose tous les deux et ils transcendaient l’équipe. Ce n’était pas du beau basket mais il y avait un engagement absolu et on a fait une saison intéressante avec eux.
Le plus marquant ?
La satisfaction, c’est d’avoir trouvé des joueurs qui sont devenus des amis malgré la différence d’âge : les Fabrice Serrano, Xavier Boivin, Didier Przygoda (Châlons-en-Champagne)… Et il y en a bien d’autres, sur Vichy et Roanne aussi, même si là, on avait le même âge. Sauf que les générations d’après, où l’on arrive à rester amis comme ici à Saint-Chamond, c’est sympa quand même.
Le plus perdu dans la vie quotidienne ?
Pas plus tard que cette saison (il rit). Il a oublié de mettre de l’essence et était en panne sur l’autoroute alors qu’on avait entraînement à 10h. Il n’est resté que cinq jours (Elijah Olaniyi, en janvier). Mais non, je n’ai pas eu trop de cas extraordinaires.
Le recrutement le plus insolite ?
En 2007, j’ai signé Mohamed Hachad alors que j’étais en pleine montagne. J’avais négocié son arrivée à 2 000 mètres d’altitude. À l’époque, on avait moins de moyens et il n’y avait pas de GM à Saint-Étienne. J’étais parti en vacances sans avoir terminé l’équipe. Donc on était dans les Alpes en train de marcher et des agents m’appelaient pour me proposer tel ou tel joueur. Et du coup, je ne pouvais pas vraiment comparer.
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