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Coachs français en Europe : à Gran Canaria, l’exception Stéphane Dumas

Coachs français en Europe : à Gran Canaria, l’exception Stéphane Dumas

« Pour moi, c’est un Espagnol », se marre Andrew Albicy, à l’évocation de Stéphane Dumas (43 ans), son assistant-coach aux Canaries. Mais quand bien même le Varois a passé plus de 20 ans de sa vie en Espagne, il reste le seul technicien tricolore à prendre place sur l’un des bancs d’un grand d’Europe, une décennie après le passage de Jean-Christophe Prat au Besiktas Istanbul (2012/14) dans l’ombre d’Erman Kunter. Depuis l’été 2020, le Varois est ainsi le deuxième adjoint de Porfirio Fisac à Gran Canaria, demi-finaliste de l’EuroCup en titre et candidat majeur à la succession de l’AS Monaco.

L’histoire d’un destin tout tracé vers le coaching ? Pas vraiment. Reparti à Valladolid après la fin de sa carrière de joueur en 2014, Stéphane Dumas a multiplié les boulots sans lien avec un banc de touche, si ce n’est un éphémère poste d’adjoint de l’équipe cadets : coach de la personne (accompagnement des acteurs du sport vers l’élaboration de nouveaux projets professionnels), gestionnaire d’activités sportives dans le scolaire… « Ce n’était pas évident au début, j’ai un peu galéré », se rappelle-t-il. « L’accumulation de la petite dépression de la fin de carrière et d’un divorce a fait que c’était compliqué au niveau personnel. Je ne savais pas quoi faire. J’ai un bar dans le Sud de la France mais mon rêve n’était pas d’être serveur sur la Côte d’Azur. J’ai appelé le syndicat au secours, ce qui m’a un peu sauvé. »

La main tendue de Porfirio Fisac

Et puis un homme s’est toujours évertué à lui mettre le pied à l’étrier : Porfi Fisac. Les deux ont travaillé ensemble à Valladolid entre 2008 et 2011, remportant la LEB Oro en 2009 avant que le technicien ibérique ne fasse de Dumas son capitaine en ACB. « Ça s’est très bien passé entre nous dès le début. Je me rappelle que l’on était cinq à jouer aux cartes à Valladolid : le docteur, le préparateur physique, le délégué de l’équipe, Porfi et moi. Ça a créé des liens. » Parallèlement, Fisac oblige son joueur à passer le diplôme d’entraîneur. « J’ai fait tout mon cursus et ça m’a plu. » L’ancien meneur du Limoges CSP part ensuite terminer son parcours à Bourg-en-Bresse (Pro B), via un contrat de trois ans qu’il ne pourra honorer que pendant une seule saison à cause de genoux en vrac. Mais son passage à la JL lui permet de se faire la main. Inactif dès sa deuxième année, en 2013/14, il prend la tête de l’équipe U20 Région, où figurait notamment l’international ivoirien Bali Coulibaly (Lorient), devenu depuis une figure de la Nationale 1. « Je me suis éclaté avec eux. Jean-Luc Tissot m’avait laissé la liberté de coacher et j’avais pris beaucoup de plaisir. » Mais visiblement pas assez pour réellement envisager d’y consacrer sa reconversion…

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« Très fier de sa carrière », Dumas a notamment été All-Star, membre du triplé de Limoges en 2000
et vainqueur de la Coupe du Roi en 2004 (photo : Sébastien Grasset)

Il faudra la présence récurrente de Porfirio Fisac pour que Stéphane Dumas maintienne le contact avec la balle orange : d’abord via des ateliers de pick and roll avec l’équipe professionnelle de Valladolid puis sous les couleurs de la sélection sénégalaise. En 2016, nommé à la tête des Lions en vue du tournoi de qualification olympique (TQO) de Manille, il appelle son ancien meneur pour l’assister, également séduit par la possibilité de pouvoir disposer d’un traducteur, lui qui ne parle pas français. Ensemble, ils s’adjugeront la médaille de bronze lors de l’AfroBasket 2017. Trois ans plus tard, dans la foulée d’un premier rendez-vous manqué avec une grosse cylindrée européenne, Porfi Fisac se retrouve embauché par Gran Canaria et, après avoir dû composer avec un staff technique déjà en place à Saragosse, fait de la venue d’un adjoint l’une des conditions de sa signature. Accordée, et ce sera Dumas, évidemment. « Porfi est quelqu’un à qui je dois énormément, en tant que joueur et en tant qu’homme. Il a relancé ma carrière, il m’a aidé dans mes galères de divorce, il a été mon confident. Le rejoindre à Gran Canaria, c’était une opportunité royale. Je n’avais pas de boulot. Économiquement parlant, j’avais besoin de travailler. »

Trois coachs français expatriés dans des clubs majeurs en 60 ans !

Parti s’installer à Las Palmas, l’enfant de Hyères-Toulon vit donc désormais au rythme de l’un des plus grands clubs en Espagne. « J’apprends », sourit-il. « J’ai connu le haut-niveau en tant que joueur mais cela n’a rien à voir comme entraîneur. » Une série de playoffs contre le Real Madrid l’année dernière, une finale européenne envolée à cause du poignet magique de Rob Gray, un huitième de finale d’EuroCup à venir contre Wroclaw et l’avantage du terrain assuré jusqu’à une éventuelle finale… Deuxième adjoint derrière Victor Gomez, sacré champion du monde 2019 dans le staff espagnol, Stéphane Dumas s’occupe de l’analyse du jeu de Gran Canaria et assume la charge des entraînements individuels. « Il nous fait beaucoup de retours sur nos matchs », explique Andrew Albicy. « Le lendemain d’une rencontre, il prend les joueurs un par un pour nous montrer des séquences vidéos, nous pointer les choses à améliorer. Il connait le basket, c’est un plaisir de travailler avec lui. »

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Stéphane Dumas aux côtés de son mentor, Porfi Fisac
(photo : Sébastien Grasset)

Si des pays de seconde troisième zone européen (Grande-Bretagne, Suisse, Luxembourg…) ou les staffs NBA (Elliott de Wit à Detroit, Maxime Lefevre à Minnesota) peuvent constituer des destinations courantes pour les techniciens français, en plus de quelques signatures plus « exotiques » (Jean-Denys Choulet au Liban et qui a failli aller au Venezuela, François Peronnet au Japon, Nicolas Meistelman en Algérie, Vincent Lavandier actuellement au Canada, Vasco Evtimov en Bulgarie), les grands clubs européens sont des déserts de coachs tricolores. De fait, la France est le seul pays européen majeur à ne posséder aucun entraîneur dans une équipe d’envergure ! En 60 ans, seuls trois ont pu tenter l’aventure, et jamais sur le long-terme : Robert Busnel au Real Madrid (1965/66), Michel Gomez au PAOK Salonique (1996/97) et Gregor Beugnot à Varese (2002/03). Trois en 60 ans, dérisoire… « Je suis convaincu que les coachs vont faire à terme comme les joueurs », souffle Stéphane Dumas. « Il suffirait qu’il y en ait deux ou trois qui partent, aient des résultats pour que cela crée un effet de mode. Le plus difficile sera d’être le premier à s’en aller, d’être le précurseur. » Réflexion renforcée par l’exemple du basket féminin où Laurent Buffard a convaincu le tout-puissant Ekaterinbourg en 2007, ouvrant ainsi indirectement la voie à ses compatriotes comme Pierre Vincent à Schio (2017/21) ou Valérie Garnier au Fenerbahçe (2018/19).

« De ce que j’entends en Espagne,
le championnat de France n’est pas respecté pour sa richesse de jeu »

Le seul exilé, grâce à un concours de circonstances et un bon carnet d’adresses, livre quelques pistes d’explications : une potentielle frilosité des coachs français, le manque d’une habitude culturelle (contrairement au fait d’embaucher un entraîneur yougo), la caisse de résonance trop faible de la Betclic ÉLITE, d’autant plus après avoir été séparée de l’EuroLeague et de l’EuroCup pendant plusieurs années… « C’est vraiment compliqué de se faire un nom sur la scène européenne », lâche-t-il. « Plus que Vincent Collet en tout cas, c’est impossible. Avec la plateforme équipe de France et ses médailles, tout le monde sait qu’il fait partie des très bons coachs européens. Mais avoir des bons résultats uniquement dans le championnat de France n’aura pas de réelles répercussions. Après, par exemple, Dijon qui termine sur le podium de la BCL et vice-champion de France l’année dernière, ça commence à faire parler. Je discutais ce matin (le 17 février) avec mon directeur sportif qui me disait qu’il connaissait évidemment Laurent Legname, qu’il savait l’impact qu’il avait eu à la JDA et qu’il aimait bien ce coach. » Ce n’est pas un hasard si, avec l’offre émanant de Ligue Adriatique pour Claude Bergeaud en 2016, les deux entraîneurs cités par Dumas furent les derniers à avoir eu l’opportunité de partir à la découverte d’un championnat majeur : l’Olympiakos a fait le forcing en 2014 pour débaucher Vincent Collet de Strasbourg tandis que Laurent Legname confiait avoir eu « deux vraies touches » lors de l’été 2021 en Allemagne et en Espagne. Par ailleurs, malgré sa saison décevante avec la JL, l’entraîneur burgien s’est forgé une telle réputation à Dijon qu’il reste dans les petits papiers de certaines équipes de Liga Endesa. Les résultats dans les compétitions continentales restent le juge de paix et à ce petit-jeu là, hormis la comète Monaco et les quelques fulgurances dans les C3 et C4, on ne peut pas dire que le début du XXIe siècle ait été fort réjouissant. Ainsi, Laurent Buffard n’a-t-il pas été engagé par Ekaterinbourg après avoir remporté l’EuroLeague à deux reprises avec Valenciennes ?

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Stéphane Dumas est épanoui dans son rôle d’assistant à Gran Canaria
(photo : Jacques Cormarèche)

Reste une dernière piste d’explication, livrée par Claude Bergeaud en 2017 dans les colonnes de Basket Le Mag. « Grâce à l’équipe nationale, j’ai noué de bons rapports avec des coaches étrangers. Je leur ai demandé pourquoi il n’y avait pas d’offre. Les gars, dites-moi la vérité, on n’est pas bons ? On sent mauvais ? Ils se sont livrés. La vision qu’ils ont de notre championnat, c’est : peu stratégique, développant peu les fondamentaux individuels, et donc que les coaches ont uniquement une image de gestion du côté athlétique. » Alors, la Betclic ÉLITE, un jeu non conforme aux standards de l’EuroLeague freinant l’exode vers les bancs continentaux ? Immergé dans le basket espagnol depuis 2000, Stéphane Dumas ne peut que confirmer les propos de l’ex-sélectionneur. « Le style français n’est pas typique du jeu européen, pas spécialement idôlatré non plus, pas réellement considéré. La Betclic ÉLITE est plus vue comme une plateforme pour se montrer. À l’image de Manresa, qui joue extrêmement bien au basket actuellement, avec plusieurs joueurs recrutés en France. Même s’il y a certaines équipes qui développent du beau jeu en France, l’idée préconçue est que ce n’est pas le basket le plus élaboré tactiquement. De ce que j’entends en Espagne, le championnat de France n’est pas respecté pour sa richesse de jeu. »

Théoriquement bientôt de retour à la tête de la Guinée-Équatoriale

À terme, fort de sa double culture, Stéphane Dumas pourrait-il devenir ce fameux précurseur ? Lui qui se définit comme un « soldat de Porfi » n’a pas la prétention de prendre en main les destinées d’un club majeur en Europe, souhaitant surtout rester dans l’ombre. « Aujourd’hui, je préfèrerais rester assistant en Liga Endesa plutôt qu’aller coacher à un plus bas niveau », avance-t-il, avant de nuancer. « Cela dit, je commence à y penser et c’est quelque chose qui n’était pas du tout dans ma tête avant. Si Porfi ne continue pas, pourquoi ne pas partir en troisième division française ou espagnole par exemple, je ne serais pas contre. Mais je ne suis vraiment pas pressé » Avec une philosophie née de ses années d’apprentissage aux côtés de Fisac, et des « deux extrêmes » expérimentés lors de sa première vie : « la main de fer » Dusko Ivanovic à l’occasion de l’inoubliable triplé du Limoges CSP en 2000 et « le professeur » Aito Garcia Reneses, « jamais un mot plus haut que l’autre », côtoyé à Badalone. « Si demain je devais être le leader, je prendrais un peu de chaque coach, des choses qui s’associent à ma personnalité. Je ne m’énerve pas tellement mais j’ai des idées bien précises sur le basket. Le haut-niveau, c’est peu d’infos mais tout est clair, tout est défini à l’avance. » D’ici là, le natif de Sanary-sur-Mer va pouvoir continuer de tester ses compétences grandeur nature sur le continent africain puisqu’il devrait reprendre les rênes de la sélection de Guinée-Équatoriale, comme lors de deux fenêtres internationales de 2020 et 2021, grâce à l’entremise de… Porfirio Fisac. Avec de multiples anecdotes folkloriques, une organisation parfois aléatoire, mais une aventure culturelle et sportive « super enrichissante ». Pas tout à fait le haut-niveau, pas tout à fait la même exigence qu’à Gran Canaria, mais une ligne de plus sur l’un des CV les plus hétéroclites du basket tricolore, et une expérience forcément utile pour la suite. Et bientôt sur les parquets français ? « Mon cousin (William Dumas) est à la tête de Hyères-Toulon. Je lui ai dit qu’il n’allait quand même pas renier sa famille, il va bien me filer un boulot. Le jour où Laurent Sciarra est fatigué, qu’il me passe un coup de fil », conclut-il dans un franc éclat de rire. Mais avant d’éventuellement songer à la Nationale 1 ou la LEB Plata, Stéphane Dumas va tenter de contribuer à replacer son club de Gran Canaria sur la carte de l’EuroLeague. Hormis le trio Collet – Giffa – Besson aux Metropolitans 92, il est bien le seul entraîneur français à pouvoir en dire autant…

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