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Jean-Denys Choulet raconte Aaron Harper : « Pas le plus flashy mais le plus attachant »

Alors qu'un hommage sera rendu à Aaron Harper, décédé le 4 novembre dans un accident de la route dans le Mississipi, ce samedi soir à la Halle Vacheresse en marge du match entre Roanne et Limoges, Jean-Denys Choulet s'est livré sur ses souvenirs du champion de France 2007.
Jean-Denys Choulet raconte Aaron Harper : « Pas le plus flashy mais le plus attachant »
Crédit photo : Olivier Fusy

Il y avait le talent pur avec Dee Spencer. Il y avait le grain de folie avec Marc Salyers. Et il y avait aussi Aaron Harper, l’assassin silencieux. Ensemble, ces trois-là ont formé l’un des plus beaux trios du basket français, menant Roanne vers un titre inespéré en 2007. Les trois meilleurs scoreurs du championnat réunis dans la même équipe, cela ne s’était jamais vu et cela ne se reverra peut-être plus jamais. Mais le destin de ce groupe est tout aussi tragique qu’exceptionnel : deux des champions de France ne sont déjà plus là, tous deux emportés par des accidents de la circulation.

Après le capitaine Pape Badiane, décédé dans les Deux-Sèvres le 23 décembre 2016, Aaron Harper s’en est allé samedi dernier, seul dans sa voiture, emporté par des tonneaux dans la nuit du Mississipi, son état natal. Il avait 42 ans. Un drame qui endeuille profondément la Chorale de Roanne et son entraîneur emblématique, Jean-Denys Choulet, qui a accepté de nous livrer ses souvenirs de l’un des joueurs les plus marquants de l’histoire du club ligérien, sur et en dehors du parquet…

Jean-Denys, comment avez-vous appris le décès de votre ancien joueur Aaron Harper ?

Juste après le match à Bourg, lors du trajet en bus. C’est Dee Spencer qui m’a envoyé un message : « Coach, je ne sais pas si tu es déjà au courant mais Harp’ vient de mourir dans un accident de voiture ». La joie de la victoire à Ékinox a été de très courte durée. Tout s’est effondré pendant quelques temps, ça m’a détruit. Non seulement par la soudaineté du truc mais aussi par la relation particulière qu’on entretenait avec ce trio-là. Il y a des choses particulières qui ont fait que ce n’est pas comme avec tout le monde, pas comme avec les autres.

« Des Ricard au VIP avec Jeannot Chaptard »

Que représentait Aaron Harper ?

Aaron Harper a tourné à 16,6 points de moyenne en 113 matchs avec la Chorale, entre 2005 et 2007, puis en 2008/09 (photo : Olivier Fusy)

Sur Roanne, c’était quelqu’un qui a fait l’unanimité. Il ne laissait pas indifférent. Ce n’était pas le plus flashy mais c’était le plus attachant, de très loin. Il se sentait bien avec moi, et vice-versa. Il fonctionnait beaucoup à l’humain, au respect, et moi aussi : quand ça matche comme cela, je suis prêt à pardonner beaucoup de choses. C’était un personnage. Il avait tout pour cela ! À la Chorale, on a le club des anciens, notamment ceux qui ont été champions de France en 1959. Il y en avait un, Jeannot Chaptard, qui était tout le temps au club. Et au VIP, on le voyait boire des Ricard et discuter avec Aaron Harper ! Il avait déjà plus de 70 ans, il est décédé récemment (en 2019, à l’âge de 85 ans, ndlr). Je n’ai jamais vu un autre Ricain boire des canons avec les anciens, ça n’existe pas. Il était discret mais extrêmement apprécié dans la ville de Roanne. Tout le monde avait de l’affection pour lui. Harp’ était comme un scout, le grand qui protège les petits : il se battait toujours contre l’injustice. Par exemple, à l’époque, quand un mec venait emmerder mes filles en soirée, il se mettait les mains dans le dos, juste derrière, et il surveillait. Tout le monde savait que ce n’était pas la peine quand il était là. Un jour, au Privé (une ancienne boîte de nuit à Villerest, ndlr), il avait arraché son t-shirt parce que quelqu’un s’était approché un peu trop près de ma fille et ça commençait à partir en sucette. Il montrait les muscles, il était prêt à y aller.

Sportivement, Aaron Harper a démarré sa carrière professionnelle par une première saison professionnelle partagée entre six mois de chômage, l’Islande et le Venezuela. Il est ensuite arrivé à Roanne en 2005. Comment l’avez-vous découvert ?

Je travaillais régulièrement avec son agent, Jamie Knox. Ça s’est fait par ce lien là et le respect de la connaissance de son représentant sur le joueur. D’après son cursus universitaire, je me demandais ce qu’il foutait en Islande surtout. On parle de quelqu’un qui tournait à 17 points et 5 rebonds de moyenne à Ole Miss en dernière année. C’est un gros programme, pas une petite fac et c’était franchement intéressant. Comme John Roberson d’ailleurs, je m’étais plutôt basé sur ses années universitaires que sur son dernier championnat.

Quand il est arrivé, avez-vous vu de suite que vous aviez un vrai joueur sous la main ?

Il met 31 points lors de son premier match à domicile (à 12/13 aux tirs contre Rouen le 8 octobre 2005, ndlr) ! Donc c’est vite vu hein (il rigole). La première saison, la star des deux entre Spencer et Harper, c’était lui. Quand j’en discutais avec Marc (Salyers), il me disait : « Mais c’est incroyable qu’il soit ici ! Tu n’es pas Américain donc tu ne t’en rends pas trop compte, mais c’est une star lui ! C’est une chance qu’on l’ait avec nous. Avec ce qu’il a fait en NCAA, il ne doit jamais être à Roanne ! » Ce n’était pas un athlète au sens propre du terme, il n’allait pas mettre la tête au-dessus du cercle, mais il était capable de marquer dans toutes les situations : en poste bas, en drive, en shoot à trois points. C’était le pur basketteur, qui savait tout faire, sans être un croqueur. Quand il shootait, t’entendais le bruit des ongles sur la balle, c’était un truc de fou. Ce n’était pas des mains qu’il avait, c’était des serres d’aigle.

« Il était la clef de voûte de nos résultats ! »

Et il a marqué l’histoire du basket français en faisant partie de ce trio inoubliable en 2006/07 avec Dewarick Spencer et Marc Salyers…

Je ne sais pas si ça se refera un jour ça… Le meilleur marqueur, deuxième marqueur et troisième marqueur du championnat dans la même équipe, tous à plus de 18 points de moyenne. Surtout qu’on aurait pu avoir quatre Américains dans cette équipe, et qu’on n’a utilisé que trois spots (coupé en présaison, Tony Skinn avait été remplacé par le Canado-Italien Domenico Marcario, ndlr). J’attends de voir si ça pourra se reproduire ! Tout donnait quelque chose de savoureux à ce trio-là. Rien que le fait que la Chorale de Roanne soit championne de France était déjà un miracle en soi. Ce trio a marqué les Roannais comme, à mon avis, la ville de Roanne ne sera plus jamais marquée… Harp’, on en parlait un peu moins que les Dee Spencer ou Marc Salyers mais il était la clef de voûte de nos résultats. Je revois tout le temps une pancarte de la finale à Bercy, tenue par un supporter de la Chorale : une photo d’Aaron, avec dessus « Simply The Best » (juste le meilleur, ndlr).

La fameuse pancarte à Bercy (photo : Olivier Fusy)

Il avait aussi la réputation d’un fêtard en dehors des parquets…

En dehors des parquets, c’était vraiment un gars à l’ancienne, dans la veine des Freddy Hufnagel ou des Alain Gilles. Des bons vivants, qui aimaient faire la fête mais qui faisaient aussi leur travail du mieux possible. Il y a une place pour tout : quand c’est le boulot, c’est le boulot et à côté, on peut faire la fête. Malheureusement, les nouvelles générations ont oublié tous les moments festifs que l’on peut passer en équipe, entre coach et joueurs aussi. C’est un peu regrettable mais les réseaux sociaux et les téléphones portables ont fait que nous sommes devenus un monde connecté, mais plus connecté entre amis comme avant. J’ai plein d’anecdotes avec lui.. Je ne peux pas tout dévoiler mais c’est quelqu’un que je suis allé chercher au commissariat à 2h du matin les mains dans le dos. Il avait refusé d’obtempérer lors d’un contrôle policier car il savait qu’il avait trop bu. Aaron n’avait pas voulu souffler donc ils avaient dû se mettre à 4 ou 5 pour le choper et le ramener au commissariat. Évidemment, ils savaient tous qui c’était et ils m’avaient appelé. Ça s’était fini correctement car ce n’était pas un gars méchant. C’était un fêtard ! Il a fait des choses incroyables. Il habitait dans un immeuble près d’un rond-point et il avait une voiture hybride toute neuve. Il a fait deux – trois tours de rond-point pour rigoler et il a perdu le contrôle de la voiture qui est allée voler dans le jardin d’une maison privée, en fracassant un mur. Il se trouve que c’était la propriété du videur du Privé, Danny, un mec très connu à Roanne. On s’était arrangé et il avait juste remboursé le mur. C’était plein de trucs comme ça… Il y a aussi l’anecdote de son absence pendant deux jours : il avait complètement disparu de la circulation, on s’inquiétait, personne ne savait où il était, j’étais même allé toquer à sa porte puis il était à l’entraînement avec des billets à la main, avait posé son amende sur la table, avait pris les ballons et avait massacré tout le monde lors de la séance de shoots. Il était parti faire la fête pendant deux jours je ne sais où. Je rapproche cela d’un Heiko Schaffartzik qui s’est trompé d’étage et s’est endormi chez ses voisins. Les gens vont dire que je suis cinglé de dire ça mais ça met de l’humain dans le monde du basket. Ça fait du bien. Je me souviens également d’un shooting photo pour Maxi-Basket autour d’un billard et d’une grosse voiture, une Buick. J’avais prêté des armes de collection, mon Winchester et mon P38 pour le reportage. Ça a donné un résultat magnifique. Il s’est passé plein de choses avec Aaron qui font que ce n’est pas comme avec tout autre joueur qu’on a pu fréquenter.

« Il avait complètement disparu de la circulation pendant deux jours ! »

Il ne joue pas l’EuroLeague avec vous mais vous le récupérez ensuite en 2008 après une saison en Ukraine…

En 2013, Jean-Denys Choulet, Arron Harper et Marc Salyers s’étaient retrouvés au Liban

Exactement, à Mariupol, où il était triste comme tout. Encore une fois, il a fait une très bonne saison. Mariupol, c’était énorme à l’époque, un club très riche. Marc Salyers y était allé aussi : ça ne s’était pas bien passé, il avait cassé son contrat mais a tout de même touché 700 000 dollars. Ce qui est rigolo, c’est que j’ai retrouvé Harp’ au Liban quelques années plus tard. Il était avec le Sagesse Beyrouth tandis que j’étais avec Marc Salyers à Tripoli. On avait fait une photo sur le banc, également avec Eric Chatfield qui était avec moi.

Étiez-vous resté en contact depuis ?

Outre ses trois saisons à Roanne, Aaron Harper a également joué deux mois à Pau en 2013 (photo : Olivier Fusy)

Je le suivais de loin mais personne ne savait où il était, on n’arrivait jamais à le joindre… Je peux en parler plus librement maintenant (entretien réalisé mercredi), les larmes montaient très vite ces derniers jours mais j’avais prévu de le faire revenir au mois d’avril, avec Dee et Marc, pour faire un entre-deux, ne pas oublier le passé et fêter ces trois joueurs-là qui étaient exceptionnels. Je lui ai envoyé il y a quelques jours, je ne sais même pas s’il l’a eu ou pas. Quand il est arrivé à Roanne, il n’avait pas de téléphone, c’était vraiment un mec à l’ancienne. Dee et Marc me disaient aussi qu’ils n’avaient pas de nouvelles. Peut-être qu’il était perdu dans un bar au Mississipi ou je ne sais pas où. Il parait qu’il jouait encore dernièrement au Mexique, pas en première division.

C’est le deuxième joueur de cette équipe championne de France 2007 qui décède dans un accident de voiture après Pape Badiane…

Que ces gens-là partent avant moi, ce n’est pas normal. J’ai 65 ans et la logique n’est pas que les joueurs s’en aillent avant moi, ou les dirigeants de l’époque. Ça me fait énormément de peine. J’ai eu un message de la femme de Pape qui était horrifiée de voir que cela était arrivé dans les mêmes circonstances que Pape. Le capitaine et un élément majeur de l’équipe championne de France, morts tous les deux seuls dans des accidents de voiture… C’est extrêmement triste et je redoute très fortement l’hommage samedi avant le match contre Limoges. Je ne sais pas comment je vais surmonter le truc. Déjà, cela avait très difficile pour Pape et ça va certainement l’être encore, d’autant plus que j’ai partagé plus de choses avec Aaron que avec Pape, qui ne sortait pas et ne buvait pas. Je n’étais pas le dernier à l’accompagner.

Terrible, et magnifique, photo d’Aaron Harper et Pape Badiane, signée Olivier Fusy

Justement, comment avez-vous traversé cette semaine, entre l’émotion et l’obligation de préparer votre équipe à la réception de Limoges samedi ?

Je ferai toujours mon travail. Je ne cache pas que ça a été très compliqué depuis Bourg, je n’ai pas à rougir de cela. Cela va mieux aujourd’hui (mercredi après-midi), c’est peut-être le premier jour où j’arrive à en parler sans les larmes qui montent. Mais tous les souvenirs qui reviennent, tous les messages des gens, les photos que l’on m’envoie… Ce n’est pas normal ce qui s’est passé. Quand c’est quelqu’un qui est tellement attachant, ça fait du mal. Mardi après-midi, on a fait un podcast spécial, que l’on a péniblement terminé avec Paul Brideau (ancien journaliste au Pays Roannais, ndlr) L’hommage va être très dur à supporter. Aaron Harper faisait l’unanimité à l’époque à Roanne.

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