ITW Jean-Denys Choulet, écarté par Roanne : « C’est complètement incompréhensible »
Coach emblématique de la Chorale de Roanne, Jean-Denys Choulet a été démis de ses fonctions le mardi 5 mars
Jean-Denys, comment avez-vous appris votre éviction de la Chorale de Roanne mardi ?
Toute la journée de lundi et mardi matin, je travaillais à l’arrivée d’un nouveau joueur pour remplacer Kellan Grady. Je m’étais renseigné pour savoir combien on pouvait mettre, le président m’avait dit de foncer si je trouvais, etc. Et le mardi après-midi, je tombe des nues ! En sortant du bureau du directeur général (Bertrand Rodamel), j’ouvre la porte et je tombe nez à nez avec Emmanuel Brochot. Il me dit : « Bon, coach, il faut qu’on se voit, ça ne va pas, on ne peut pas continuer comme ça ! » Je lui demande ce qui ne va pas et il me répond qu’on arrête, qu’il faut un électrochoc. Et voilà… Sans aucun signe avant-coureur. J’avais préparé mon entraînement, tout était prêt, et je n’ai même pas eu le temps d’aller à la salle. Il m’a dit ça, j’ai fermé mon ordinateur, j’ai pris ma tablette, je l’ai mise dans mon sac, ma femme m’a rejoint avec le pick-up pour débarrasser mes affaires et j’ai dit merci au revoir. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Quand tu as passé 15 ans dans un club, j’estime que ce sont des choses que l’on pourrait éviter.
« Je m’occupe de tout dans le club, et c’est ma grande faute ! »
Treize ans après, c’est la deuxième fois que ça vous arrive à la Chorale…
Ça fait moins bizarre quand c’est la deuxième fois. Je suis beaucoup plus serein qu’en 2011 car c’est complètement incompréhensible pour moi. Souvent, quand un coach se fait remercier, c’est parce qu’il n’a plus l’adhésion de ses joueurs. En aucun cas, ça n’a été ça ! Dire qu’il y avait de l’incompréhension entre les joueurs et moi, c’est de l’invention totale. J’ai eu le capitaine Kadri (Moendadze) ce mercredi matin, je lui ai demandé de me dire les choses. Il m’a répondu : « Mais non, coach, on était tous avec toi jusqu’au bout, il n’y avait aucun doute là-dessus ! » Il n’y avait absolument rien, zéro. Ce sont des mensonges. D.J. Cooper est venu pour moi. Sekou Doumbouya est venu pour moi, par l’intermédiaire de son agent. Sekou, ça a super bien collé entre nous. J’étais trop content de travailler avec lui, il me fait 18 points à Strasbourg, même s’il y a un dunk inutile en fin de match. C’est un gamin que j’adore, c’est mon Makhtar Ndiaye de l’époque. Je lui ai dit en partant que si j’avais le bonheur de trouver un gros club, ou un club tout court, je le prendrais avec moi. Il m’a répondu : « Avec plaisir, coach ».
Quand les joueurs sont arrivés à l’entraînement mardi, personne n’était au courant. C’est moi qui leur ai appris, ils pensaient que c’était une blague ! Ce sont des moments émouvants. Je suis un affectif et il y a des choses qui me touchent énormément : le petit Alex Bouzidi qui vient m’embrasser, presque en larmes, en me remerciant… (ému) Ça, ça vaut beaucoup de choses parce que je ne lui ai pas toujours fait des cadeaux. Théo Pierre-Justin m’a aussi envoyé un message en me disant que je resterais quoiqu’il arrive le premier coach à l’avoir fait jouer en professionnel et ça, on ne me l’enlèvera jamais. Ce sont des choses qui touchent, il y a encore des gens qui ont un peu de cœur, c’est pour ça qu’on fait ce métier-là.
Cette éviction sort donc de nulle part pour vous ?
Quand tu fais tout de A à Z dans le club, automatiquement, tu froisses des gens. Personne ne parle Anglais à la Chorale à part moi. Dès qu’il y a un problème avec les Ricains, les agents, c’est pour moi. Quand il faut faire un contrat, c’est pour moi. Quand il faut discuter des tarifs, c’est pour moi. Je m’occupe de tout dans le club, et c’est ma grande faute. Je n’aurais pas dû faire ça, c’est un problème. Le président me disait de déléguer. Oui, OK, mais je délègue à qui ?! Les clubs ont un préparateur physique. À la Chorale, c’est moi. Le préparateur mental, le directeur sportif, le manager général, c’est moi.
« Je ne pouvais pas faire plus, j’allais y laisser ma santé sinon »
Par volonté personnelle de tout gérer ?
Parce qu’on n’a pas les moyens surtout ! Mais surtout, vu que Choulet fait tout, ce n’est pas un problème. Je faisais des journées de 7h30 à 1h30. J’ai toujours fonctionné comme cela. Pour être sûr que les choses soient faites, je les fais moi-même. C’est mon tort ça ! Toute l’énergie que je dépense là, je pourrais en mettre peut-être un peu plus sur le basket. Mais bon, tu ne te refais pas.
Reconnaissez-vous aussi d’autres torts ?
J’entends partout que Choulet a raté son recrutement… Oui, il y a eu un raté sur le meneur de jeu (Tavian Dunn-Martin), mais qui était plus un risque car on savait que ça allait être difficile physiquement. Mais il a été bien remplacé par D.J. Cooper. Si Maxime Roos n’était pas blessé, Lewis Sullivan aurait été très bien à ses côtés, vu ce qu’il fait en Croatie en ce moment. Après, on a eu trois blessés sur le poste 4, qu’est-ce qu’on peut y faire… En début de saison, tout le monde disait que Grady était une perle. On ne pouvait pas prévoir ce qui lui arriverait.
Vous fondiez beaucoup d’espoirs sur la nouvelle mouture de l’équipe et le calendrier à venir…
Mis à part les graves soucis de Kellan Grady, je me disais effectivement qu’on avait une vraie équipe maintenant : on avait récupéré Sekou Doumbouya et Cyril Langevine. Pour le premier match à Strasbourg (82-97), on fait 34 minutes de très bon basket et 6 minutes de merde parce qu’on explose à la fin vu que je ne pouvais pas faire souffler Yannis Morin, Langevine ne pouvant pas encore jouer plus de 6-7 minutes. On a fait une prestation aboutie tout de même, tout le monde me dit que c’était un bon match, même le président ! On s’apprête à recevoir Le Portel, Gravelines-Dunkerque et Boulogne-Levallois. Avec l’équipe qu’on avait, je n’étais pas inquiet. Je me dis qu’on va pouvoir s’en sortir si on fait 3/5 sur les prochains matchs, sans oublier qu’on en a deux en retard !
C’est une déception car j’estime que ce n’est pas très fair-play vis-à-vis de moi puisque l’on avait trois matchs à domicile et je pensais bien les gagner. Je vous le dis, et je le dis devant tout le monde : si l’on avait perdu contre Le Portel samedi, j’aurais donné ma démission et je serais parti. J’ai toujours dit que je partirais si je voyais que je n’étais plus la bonne personne : faites-moi confiance, je l’aurais fait. J’aurais compris si l’on m’avait dit que c’était difficile en ce moment et qu’on allait prendre un coach pour le garder la saison prochaine. Mais là, où est la plus-value ? On me remplace par Marc Berjoan et mon assistant de 25 ans (Loic Bard), qui officiait avec les cadets l’an dernier et que j’ai pris pour le former… À l’époque, j’avais dit aux dirigeants que si j’arrêtais, Mickaël Hay serait un mec très bien pour le club. Je ne sais pas s’il a été contacté ou pas.
« Si on me dit que j’ai un boulot en Chine ou au Japon, je pars demain matin ! »
Comment allez-vous, 24 heures après (entretien réalisé mercredi après-midi, ndlr) ?
Mais ça va ! Déjà, le jour-même, ça allait bien. Je ne pouvais pas faire plus que ce que je faisais sinon j’allais y laisser ma santé. Après, il y a des choses qui reviennent vite dans la tête : si l’on revient de Limoges avec une victoire, mais que l’on perd à cause d’un passage en force d’Appleby à 11 secondes de la fin quand on est à +1, peut-être qu’on ne parle pas aujourd’hui. Je ne suis pas rancunier là-dessus, simplement extrêmement déçu de voir que l’on me laisse aller à Strasbourg avec une équipe qui n’est pas encore complètement affûtée mais qu’on me laisse même pas la possibilité de sauver le club sur trois matchs à domicile qui sont prenables. Alors que je ne suis jamais descendu en 27 ans avec une seule équipe, et que j’ai maintenu la Chorale à trois reprises sur l’avant-dernier match. Je le regrette. Je ne dis pas que je suis le meilleur coach du monde, je trouve ça juste dommage qu’on ne m’ait pas laissé la chance de sauver une nouvelle fois le club.
D’autant plus que votre histoire avec la Chorale de Roanne n’est pas anodine…
15 ans dans un club et on te dit dans un couloir qu’on va arrêter… C’est ça qui me gêne un peu. Les dirigeants font ce qu’ils veulent mais il (Emmanuel Brochot) l’a dit clairement dans la presse : il ne sait même pas si c’est une bonne idée ! Peut-être que ce sera un bon choix, je n’en sais rien. J’ai les avantages de mon âge : je peux me mettre à la retraite si je veux et je n’aurais pas de problèmes financiers. Mais j’ai la passion du basket. C’est ma vie. Je ne vais pas arrêter de coacher aujourd’hui. Je veux continuer à entraîner le plus vite possible, que ce soit en France ou à l’étranger, peu importe. Je vous garantis que j’ai du peps que beaucoup de jeunes coachs n’ont pas. Si Popovich arrive encore à coacher aux Spurs, je pense, toutes proportions gardées, que je peux encore faire quelques années. J’ai 10 ans de moins que lui…
« J’ai un seul rêve dans ma vie… »
Toutes les galères de cette saison et le choc de cette nouvelle, ça n’éteint pas la flamme ?
Ça ne l’éteindra plus jamais. Les galères, c’est les galères. On a eu une cascade de blessures, D.J. Cooper qui se fait suspendre contre Nanterre à domicile le seul soir où Antoine Diot passe un peu à travers, l’histoire de Limoges, l’histoire de Saint-Quentin où Cooper se fait arracher les deux bras sans que rien ne soit sifflé, etc. Il y a eu tout ça ! Mais ça fait partie du basket à la limite… Je ne suis pas mort ! J’espère retrouver un challenge intéressant. Que ce soit en France ou à l’étranger, je suis prêt à faire mon sac. Si on me dit que je pars en Chine, au Japon ou n’importe où pour du boulot, j’y vais hein. Demain matin ! Peut-être que ce sera plus compliqué en France, même si mon image est beaucoup plus calme qu’à une époque. Je pense honnêtement que je peux encore faire du très bon travail. Et j’ai un seul rêve dans ma vie : c’est d’être le premier entraîneur à gagner trois titres de champion de France avec trois clubs différents. Ça n’a jamais été fait. J’ai un titre avec Roanne, un titre avec Chalon et j’aimerais bien avoir un autre titre. C’est vraiment mon rêve. Et aussi avoir une fois dans ma vie, juste une fois, un effectif qui me permette de jouer autre chose que le maintien ou d’accrocher les playoffs. Juste une fois, pour voir.
On imagine que votre téléphone ne cesse de sonner depuis…
Incroyable. Franchement incroyable. Même des personnes que je n’attendais pas. Je suis sur le cul. Mickaël Hay m’a appelé rapidement, j’avais fait pareil quand ça lui était arrivé. J’ai eu Freddy (Fauthoux), Claude Bergeaud, Savo (Vucevic) très longtemps. Je vais en oublier donc je ne vais pas tous les citer mais j’en ai eu beaucoup. J’ai eu énormément de Roannais qui m’ont envoyé des messages. Énormément, énormément… Beaucoup d’agents me disant qu’ils seraient là pour moi si j’avais besoin d’un coup de main. Pierre Dao m’a appelé aussi, ça m’a fait un bien énorme. Quand ce sont des gens comme lui qui prennent le temps de vous parler, ça fait plaisir.
Et j’ai fait quelque chose que je ne fais pas souvent : j’ai regardé les réseaux sociaux. C’est assez édifiant. Sur le Facebook de la Chorale de Roanne, il doit y avoir 200 commentaires, et seulement deux contre moi. Même sur les articles de BeBasket, les mecs qui ne m’aiment pas d’habitude m’ont soutenu. C’est dire… Car oui, je les connais (il rit).
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