Grismay Paumier, Cubain libre
Il y a dix ans, quelque part sur l’archipel des Canaries, Grismay Paumier en était à se demander comment il allait faire pour s’acheter à manger. Après avoir décidé de profiter d’une tournée de la sélection cubaine en Espagne pour fuir Cuba et demander l’asile politique, l’intérieur originaire de Guantanamo peinait à joindre les deux bouts en percevant à peine 150 € pour défendre les couleurs du CB Grubati Lanzarote dans le championnat régional.
Rien n’a été facile pour le nouveau membre du Cercle Saint-Pierre qui a tout connu depuis ses premiers pas à Las Palmas : la faim, la précarité, le terrible éloignement avec sa mère qu’il n’a pu voir qu’une seule fois en onze ans, des clubs mal intentionnés, un échec sportif à l’USA Liévin en 2011 où on lui a fait comprendre qu’il n’était pas le bienvenu en NM1… Interdit de territoire cubain pendant dix ans après sa fuite, Paumier n’a jamais pu retourner sur son île natale et se demande encore s’il la reverra un jour.
Pourtant, malgré tous les obstacles disposés sur son chemin, Grismay Paumier (2,04 m, 31 ans) est parvenu à l’ultime étape de son odyssée. « Parti de rien » comme il le dit lui-même, le joueur vient de s’engager avec le Limoges CSP, le club le plus mythique du basket français. L’aboutissement d’une ascension sportive et humaine où, tout en se recréant une vie en Europe, il a gravi progressivement les échelons, passant d’un championnat régional espagnol à la quatrième division, avant de traverser les Pyrénées puis d’écumer successivement les parquets de Nationale 2, Nationale 1 et Pro B pour finalement séduire les recruteurs limougeauds.
Une progression qu’il doit également majoritairement à un club : Saint-Chamond. Arrivé dans la Loire en 2013, au moment où le SCB était un anonyme douzième de NM1, l’ancien joueur de Berck a grandi en même temps que le club couramiaud et le quitte après l’avoir durablement ancré dans le Top 6 de Pro B. Si sa première saison en LNB avait été correcte (8,2 points à 55% et 5,2 rebonds pour 10,3 d’évaluation en 2015/16), Grismay Paumier appartient désormais au gotha des meilleurs intérieurs de l’antichambre (12,3 points à 61%, 7 rebonds et 2 passes décisives pour 16,6 d’évaluation). La juste récompense pour un garçon qui a toujours fait l’unanimité dans la périphérie stéphanoise.
Néanmoins, l’annonce de son recrutement a suscité une certaine méfiance parmi les supporters du CSP, échaudés par les difficultés d’Ovidijus Varanauskas et Benoit Mbala à franchir le palier entre la Pro B et la Jeep ÉLITE. Néanmoins, attendu en rotation de Jerry Boutsiele au poste 5, Grismay Paumier semble posséder les caractéristiques nécessaires pour faire taire le scepticisme ambiant. « Je suis certain qu’il peut réussir à Limoges », tempère son ancien entraîneur de Saint-Chamond, Alain Thinet. « En plus, il aura un coach (Mehdy Mary) qui, je pense, saura le gérer. Les seuls points qui peuvent l’handicaper, c’est le fait qu’il ne parle pas anglais, ce qui peut être problématique dans un vestiaire très international et surtout le fait qu’il a vraiment besoin de confiance. Il marche à l’affectif et il a besoin de sentir quelque chose venant de la part du coach. Mais s’il est bien dans ses baskets et bien encadré, je suis sûr qu’il réussira. Il a toutes les qualités pour s’imposer en Jeep ÉLITE : le physique, la technique, il a progressé au niveau QI basket… S’il est bien intégré, il réussira et je pense même qu’il surprendra du monde. » La pression de Beaublanc et du contexte limougeaud, un frein à sa future réussite ? « Non, je suis sous pression depuis que j’ai quitté mon pays », évacue-t-il.
Confiné à Berck, auprès de sa femme − « la véritable héroïne », en première ligne face au coronavirus en ce moment en tant qu’infirmière à l’hôpital − et de son fils de six ans, Grismay Paumier peut actuellement profiter d’une vie de famille qu’il n’a habituellement pas au cours de la saison. Tout s’attachant à ne pas rester inactif… « Tout va bien. On essaye de faire plein de choses avec mon fils pour qu’il ne s’ennuie pas. Je m’entretiens, je vais courir un peu, je vais faire du vélo. Et puis, je m’occupe des tâches ménagères, ça me tient occupé », rit-il. Dans un très bon niveau de Français, le néo-limougeaud nous a raconté son parcours, de Cuba à la Jeep ÉLITE. Un destin beau et triste à la fois, émouvant surtout. Une vraie réussite, aussi. Une aventure hors du commun.
Une enfance cubaine : tout sauf du basket !
« Je suis né à Guantanamo et j’ai déménagé à La Havane à l’âge de trois ans avec ma mère et ma grand-mère. Ma maman était cuisinière dans un hôtel, ma grand-mère était à la retraite. Quand j’étais petit, j’aimais le sport. Sauf le basket ! Je faisais beaucoup de choses : j’ai fait de la lutte, j’ai aussi joué au base-ball quand j’étais au collège mais je pratiquais surtout sérieusement l’escrime. J’étais très bon, j’avais été admis dans une école regroupant les meilleurs jeunes escrimeurs de Cuba. À la base, j’étudiais pour devenir architecte naval mais je pense que j’aurais pu faire de l’escrime mon métier. Puis quand j’avais 17 ans, un coach de basket m’a croisé dans la rue : Ariel Portuondo, maintenant devenu le sélectionneur de l’équipe féminine de République dominicaine. Il est venu me voir pour me demander pourquoi je n’essayerais pas. Je lui ai répondu que ça ne m’intéressait pas, que je préférais continuer l’escrime. Puis on s’est vu de nouveau, il m’a parlé, parlé et il a fini par me convaincre.
Je me rappelle que les entraîneurs étaient tout le temps sur mon dos quand je faisais de l’escrime, en train de me dire des choses pour me démotiver. Je pense que ça a été l’élément déclencheur de ma décision de laisser l’escrime de côté. Aussi avec le fait que tous mes potes se sont mis à jouer au basket. Pourtant, Ariel Portuondo a dû être très insistant avec moi. Il me répétait de venir, je lui disais : « Oui oui t’inquiète, la prochaine fois, je serai là ! » Et je n’y allais pas. Du coup, j’essayais de trouver des petits trucs pour me justifier comme : « Oui pardon, c’est à cause de l’école, ils ne me laissent pas venir. » Et un jour, Ariel est venu à l’école pour m’emmener directement sur le terrain. À partir de là, il est venu me chercher tous les jours pour que je vienne m’entraîner. Ensuite, il m’a envoyé dans une sorte de centre de formation pour m’apprendre les bases. Mais cela reste comme mon premier échec. On m’a dit là-bas que je n’allais pas devenir basketteur, que j’avais commencé trop tard, que j’étais trop petit pour devenir un vrai intérieur… Ça m’a démotivé et j’ai arrêté le basket. J’ai dit stop trois fois en tout (il rit). La dernière fois, c’était après le décès de ma grand-mère. Je n’avais plus envie de jouer au basket, plus envie de rien faire. C’est ma mère qui m’a sorti du trou, en me disant que ma grand-mère n’aurait pas aimé que j’arrête le basket. J’y suis retourné et je n’ai plus jamais arrêté. Un an plus tard, je jouais dans le championnat cubain. J’ai démarré avec les Metropolitanos avant de partir pour les Capitalinos.
Le niveau du championnat de Cuba est très faible. Il y a douze équipes mais seulement cinq respectables. Je ne peux pas trop vous parler du système cubain puisque j’ai démarré trop tard pour véritablement voir à quoi ressemble la formation. Je sais qu’il y a des entraîneurs qui vont dans les écoles pour trouver des petits et leur apprendre à jouer. Et si tu es bon, tu peux aller dans un centre équivalent à l’INSEP. Il y a un championnat par province et les meilleurs peuvent prétendre à l’équipe nationale. Cependant, Cuba est un pays fermé et les instances ne te permettent pas de jouer à l’étranger (en 1962, Fidel Castro a signé le décret 83A interdisant le professionnalisme sportif car, déclarait-il, « le sport professionnel en enrichit quelques-uns aux dépens de beaucoup », ndlr). Ça peut poser un problème : si tu es très bon, il vient un moment où tu vas arrêter de progresser car tu ne peux pas vraiment confronter ton talent à des gens de ton niveau. Je crois qu’il y a eu de nombreux cas comme ça. En 1972, Cuba a remporté une médaille de bronze aux Jeux Olympiques. Pourtant, à l’époque, je sais qu’il y avait des joueurs qui évoluaient en Argentine et qui avaient le droit de revenir jouer pour la sélection… À ce moment-là, le basket était très populaire à Cuba. Je pense que c’était le deuxième sport national derrière le base-ball. Mais dès que le niveau a baissé avec le départ de tous les joueurs, la boxe est passée devant, le foot aussi. Maintenant, plus grand monde ne s’intéresse au basket à Cuba.
En 2009, il fuit Cuba et demande l’asile politique en Espagne :
« Je n’ai revu ma mère que deux fois, dont une fois en vidéo sur Internet »
J’ai démarré avec la sélection nationale à l’âge de 19 ans. En 2009, nous avons remporté la médaille de bronze du CaribeBasket (le championnat FIBA des Caraïbes, derrière la Jamaïque et les Îles Vierges Britanniques, ndlr), ce qui nous a offert un ticket pour le tournoi des Amériques qui était qualificatif pour le Mondial 2010. Mais la fédération a refusé que l’on y participe, en avançant l’excuse que nous n’avions pas le niveau. Pourtant, si l’on regarde bien, il y avait l’une des meilleures générations du basket cubain. Il y avait le meilleur défenseur actuel du championnat allemand (Yorman Polas, qui joue à Bonn, ndlr), un pote qui a joué en Finlande, plein d’autres qui sont à Porto-Rico ou en Argentine..
À la place, nous sommes partis faire un tournoi en Espagne où nous avons notamment affronté leur équipe nationale (défaite 57-94 le 14 août 2009 à l’occasion du premier match de préparation des futurs champions d’Europe, ndlr). J’étais choqué sur le terrain : je me rappelle qu’un an auparavant, j’étais chez moi en train de les regarder jouer la finale des Jeux Olympiques contre les États-Unis et là, je me retrouvais sur le parquet, avec ces mêmes joueurs de l’équipe d’Espagne. Je me suis bien débrouillé : 7 points (6 en réalité, ndlr), 8 rebonds et 17 d’évaluation de mémoire. J’ai failli faire l’action du match : un dunk sur Marc Gasol mais il a fait faute et le ballon a terminé contre le cercle. Tout de suite, il m’a dit : « Pas comme ça gamin ! ».
Au début, je pensais retourner à Cuba après cette tournée. Mais sincèrement, j’avais un problème avec le sélectionneur (il souffle). Je pense qu’il ne m’aimait pas, ou alors il faisait ça pour me faire progresser. Mais quand nous étions en Espagne, il m’a dit que ce serait mon dernier voyage avec l’équipe nationale et qu’ensuite, ce serait terminé pour moi. Il n’a pas voulu me donner plus d’explications. Par conséquent, j’ai décidé de ne pas prendre l’avion du retour pour Cuba. Ma décision résultait d’un mélange de deux choses : un volet sportif d’un côté puisque je voulais devenir basketteur professionnel et un volet politique eu égard à la situation de Cuba. C’est difficile dans mon pays : tu ne peux pas sortir quand tu veux, tu ne peux pas dire ce que tu penses… Le choix de rester en Espagne s’est fait comme ça, un peu soudainement. J’en ai parlé avec ma famille : ma mère ne voulait pas et mon beau-père m’a dit de faire ce qui était mieux pour moi, de suivre ce que je pensais être la meilleure voie pour progresser. Mais ma mère n’était vraiment pas contente, elle. Tout était improvisé, je n’avais pas de plan, pas de contacts en Espagne. À la base, nous étions huit joueurs puis quatre sont finalement rentrés à Cuba (Georvis Elias, Taylor Garcia et Geoffrey Silvestre sont les trois autres ayant « raté » l’avion pour La Havane le 17 août 2009, ndlr).
Trois jours après, nous sommes allés voir la police : nous avons demandé l’asile politique à l’Espagne (cf la brève du Monde à ce sujet en date du 19 août 2009, ndlr). Cela a pris trois mois mais on nous l’a accordé sans problème. Sincèrement, ces premières semaines ont été difficiles. J’ai quand même eu de la chance… L’un de mes potes connaissait un Cubain qui nous a hebergés au début avant de repartir. Puis un jour, nous étions au supermarché et j’ai reconnu une personne, une femme originaire de Cuba et qui avait la nationalité espagnole. Elle nous a permis de rester trois mois dans sa maison. Mais vraiment, ça a été dur… Il fallait être fort mentalement. On devait repartir de zéro, on n’avait rien du tout. On est même allé d’échec en échec : par exemple, on a signé avec un agent et il nous a volé nos passeports ! Il est reparti aux États-Unis avec. Du coup, on a dû rester sans papier.
Parallèlement, Cuba m’a sanctionné de dix ans d’exil (le président de l’institut national des sports, Christian Jimenez, les a qualifiés de « traîtres » et de « chiens de l’empire » tandis que Fidel Castro avait écrit en 2008, à propos des joueurs de base-ball partis aux États-Unis, qu’il ne « permettrait jamais aux traîtres de revenir visiter la nation afin d’étaler le luxe acquis par l’infamie », ndlr). Dix ans sans pouvoir rentrer dans mon pays… J’ai voulu rentrer l’année dernière : 2009 – 2019, ça faisait dix ans. Et ils m’ont dit non… Je ne suis donc encore jamais retourné chez moi. J’ai revu ma mère deux fois : la première fois, je l’ai vu sur Internet puis elle est venue en France il y a deux ans avec mon beau-père et mon petit frère. Ça a été dur de les revoir, sincèrement. Je n’arrivais pas à leur parler, je pleurais tellement… . Au début, en Espagne, je me suis longtemps demandé si ça valait le coup d’avoir tout sacrifié comme cela. Parfois, je me disais qu’il fallait que je rentre chez moi. Vous imaginez ? J’avais 20 ans et on me dit que je n’ai pas le droit de retourner à Cuba… (il souffle) Je me posais 1 000 questions, je ne savais pas quand serait la prochaine fois que je reverrais ma famille, je ne savais pas si ça allait marcher pour moi en Europe ou pas. Au début, j’appelais ma mère tous les jours. J’essayais d’être fort, de ne pas pleurer au téléphone mais c’était dur. La situation s’est améliorée au fil des années : j’ai rencontré ma femme, ce qui m’a beaucoup aidé à m’en sortir. Dès que ça ne va pas, elle est là pour moi. Je ne sais vraiment pas si je pourrais retourner un jour à Cuba ou pas. L’an dernier, je suis arrivé au terme de mes dix ans d’exil. J’ai essayé de renouveler mon passeport cubain pour pouvoir rentrer, d’obtenir un visa et les autorités m’ont fait payer 100 € pour finalement me dire que je ne pourrais pas rentrer. Ça reste difficile mais c’est moins douloureux qu’avant : maintenant, je sais que je peux faire venir ma mère, mon beau-père et mon frère ici. Ce n’est pas le cas pour le reste de ma famille mais j’essaye de ne pas penser à ça. À Cuba, la situation ne s’améliore pas : ma mère m’a dit que rien n’a changé depuis la visite de Barack Obama (en 2016, ndlr). Les gens croient que cela signifiait le début de quelque chose mais au contraire, ça a l’air d’être pire qu’auparavant. Il y a juste Internet qui est apparu mais la connexion reste trop lente pour que nous puissions discuter en vidéo. Les trois autres basketteurs qui ont demandé l’asile politique avec moi ont tous pu reconstruire leur vie en Europe et fonder une famille ici : l’un a pris sa retraite, un deuxième joue en Italie (Taylor Garcia à Benevento, en Serie C) et le dernier est en quatrième division espagnole.
150 € pour survivre :
« Trois jours sans manger »
Trois mois après avoir décidé de rester en Espagne, j’ai pu trouver un petit club en allant remplacer un joueur blessé au CB Grubati Lanzarote, une équipe de championnat régional. Au début, c’était bien mais le président, qui était aussi le coach, a profité de moi. Il m’avait dit que le club subviendrait à mes besoins en terme de nourriture mais il ne l’a jamais fait. Comme je n’avais pas d’agent et que je ne savais pas comment le système marchait ici, je me suis fait avoir. Je gagnais 150 € par mois, ils m’ont fourni un logement mais sinon, je devais tout me payer avec ça… J’utilisais l’intégralité de mon salaire pour m’acheter à manger. À partir du 10 de chaque mois, cela commençait à être difficile. Cela m’arrivait de rester trois jours sans manger mais je ne disais rien à personne car j’en avais un peu honte. Jusqu’à ce qu’un jour, un pote, Sergio Rodriguez (ancien coéquipier à Lanzarote travaillant désormais à Londres, pas le meneur de Milan, ndlr), vienne chez moi et apporte sa console pour jouer à FIFA. Là, il m’a demandé si j’avais quelque chose à manger et j’ai dû lui avouer que je n’avais rien. Il en a parlé à ses parents et ils m’ont ensuite aidé beaucoup de fois. Je ne pouvais pas travailler à côté, j’attendais mes papiers et je n’avais même pas le droit à la sécurité sociale. Le club de Lanzarote a refusé car s’il me faisait un contrat de travail, il aurait dû payer des impôts dessus. Je suis resté cinq mois là-bas et je suis parti en Galice, en quatrième division, à Establecimientos Otero. Je n’y gagnais pas des masses non plus, 350 € par mois, mais ça allait un peu mieux qu’à Lanzarote. Ça restait quand même compliqué de boucler les fins de mois. Je me suis encore fait escroquer là-bas (il sourit). J’ai signé un contrat d’un an, plus une deuxième saison optionnelle. J’ai effectué une bonne année, j’ai terminé meilleur intérieur du championnat. Je voulais partir ailleurs, chercher un autre club pour être plus à l’aise financièrement mais le président m’a bloqué et m’a dit qu’il fallait que je paye 3 000 € – soit l’intégralité de ce que j’étais censé toucher lors de la deuxième saison – pour pouvoir être libéré. Un jour, j’ai cherché sur Internet et j’ai trouvé l’agent qui m’a fait venir en France. Je me suis d’abord retrouvé à Liévin où je devais signer (en Nationale 1, ndlr). J’ai fait deux matchs amicaux intéressants, 18 et 20 points, mais le coach m’a indiqué que je n’étais pas un vrai poste 5 et il a refusé de me signer. C’est là que Franck Verove m’a fait venir à Berck, en NM2. Quand l’ABBR a demandé mon transfert au club espagnol, ils ont refusé, arguant qu’il fallait d’abord que je paye 3 000 €. La situation est restée bloquée pendant de longs mois, de début avril jusqu’à trois jours avant le début de la saison. Le club espagnol me devait encore deux mois de salaire alors la FIBA a pu régler la situation grâce à cela.
Berck fut un passage extrêmement important dans ma vie. J’ai connu deux années magnifiques là-bas, j’y ai rencontré ma femme à la fin de ma deuxième saison. Mais une nouvelle fois, le début n’a vraiment pas été facile. Je ne comprenais ni le français ni l’anglais, personne ne parlait espagnol dans l’équipe. J’arrivais tous les jours en retard à l’entraînement. À tel point que Franck Verove devait venir me chercher à la maison ou m’envoyer le planning de la semaine. Je me rappelle de mes premiers mois, j’étais tout seul à la maison et tous les jours, je pleurais. Tous les jours. Ensuite, je me suis intégré progressivement dans l’équipe et tout s’est mieux passé. Il y avait notamment Jimmy Vérove et Yaya Adamou (passé par Brest, Bourg-en-Bresse et Quimper, finaliste de la Semaine des As 2006, ndlr). C’est lui qui fut l’un des premiers à parler de moi à son agent, Guillaume Althoffer. Le mien avait décidé d’arrêter donc j’en cherchais un nouveau. Il est venu me voir jouer, il m’a parlé en me disant qu’il pourrait me faire progresser, que je pouvais ambitionner d’arriver en première division mais que ce serait un long chemin, qu’il fallait procéder étape par étape, Nationale 2, Nationale 1 et Pro B… Alors que tous les autres agents me disaient : « Signe avec moi et je t’amène en Pro A la saison prochaine. »
Saint-Chamond ou Limoges, le déchirement
C’est donc comme ça que je suis arrivé à Saint-Chamond en 2013. Le club venait de débarquer en Nationale 1 (12e au terme de sa première saison à ce niveau, ndlr). Lors de nos premières conversations, Alain Thinet m’a dit que je devais progresser au shoot et au jeu poste bas si je voulais parvenir au plus haut niveau. Il fait partie des trois coachs que je dois remercier avec Ariel Portuondo, qui m’a fait démarrer le basket, et Franck Verove, sans qui je n’aurais jamais joué en France. C’est à Alain que je dois l’ensemble de ma carrière, c’est lui qui m’a fait confiance, qui m’a fait comprendre que j’avais le niveau mais qu’il fallait que je progresse. Il y avait des moments où j’étais tout seul à Saint-Chamond, où ça n’allait pas. Il le sentait, il venait me voir pour me parler et essayer de me remettre en confiance. Nous avons été champions de France de Nationale 1 ensemble puis nous avons fait une demi-finale de playoffs de Pro B… Nous étions une sacrée équipe : on ne se posait pas de questions, on se disputait ou on rigolait à l’entraînement, on ne prenait pas les choses au sérieux et en match, waouh (il souffle). Des sacrés joueurs ! Chacun savait ce qu’il devait faire sur le parquet et ça a été notre point fort pour en arriver à ce niveau. Entre ces deux périodes, j’ai connu un intermède à Boulogne-sur-Mer. En 2015/16, je me suis fait opérer du genou à Saint-Chamond. Mentalement, ça m’a détruit un peu, je voulais me rapprocher de ma famille restée à Berck. C’est pour ça que je suis parti au SOMB . Personnellement, ça s’est bien passé mais après, collectivement… (il s’arrête) C’est compliqué, nous avions une bonne équipe sur le papier mais je ne saurais pas trop expliquer ce qui s’est passé (lanterne rouge de Pro B, ndlr). Je pense que nous avons tous été choqués quand ils ont viré Germain Castano. Je suis donc revenu à Saint-Chamond depuis et nous avons obtenu de très bons résultats. Le nouveau statut du club en Pro B est mérité : ils ont fait les choses comme il faut, ils ont suivi une démarche de progression et c’est une juste récompense qu’ils en soient ici maintenant. La différence entre le Grismay Paumier de 2013 et celui de 2020 ? Je pense que c’est le mental. Avant, quand ça n’allait pas, waouh… Je réfléchissais beaucoup trop. Maintenant, j’essaye de ne plus me prendre la tête comme avant.
Je vais vous dire la vérité : quitter Saint-Chamond a été vraiment difficile pour moi. J’avais dit à Alain (Thinet) que j’allais rester. J’ai eu plein de propositions en Pro B mais c’était Saint-Chamond ou rien. Puis mon agent m’a parlé de Limoges… Ça m’a fait réfléchir et j’ai hésité pendant deux semaines avant de me décider. Le fait que le CSP joue une Coupe d’Europe aussi a joué un rôle important dans ma décision : il me reste sûrement deux ou trois ans dans les pattes donc j’ai pensé que c’était le bon moment pour le faire. Je ne savais pas comment l’annoncer à Alain. Mais il a été très content pour moi, il sait que c’est difficile de refuser une telle offre, surtout avec Limoges et la Coupe d’Europe. Il m’a dit qu’il était très, très content pour moi et que c’est mérité.
Je suis très heureux d’avoir signé à Limoges. Sincèrement, je n’y crois pas, je suis sur un nuage. Mon fils et moi, on en discute en permanence. Ma femme travaille, on est à la maison tous les deux alors on parle tous les jours de Limoges. Ma femme essaye de me donner des conseils pour choisir mon numéro là-bas (il rit). Pour le moment, je ne sais pas. Elle voudrait que je joue avec le 3 et moi, je préfèrerais le 14. Mehdy Mary m’a dit qu’il veut que je fasse la même chose qu’à Saint-Chamond, que je sois moi-même, qu’il n’attendait rien de plus. Je suis un joueur extrêmement agressif, avec beaucoup d’énergie. Ensuite, il m’a parlé de mon temps de jeu, qu’il ne me garantissait pas 10 ou 15 minutes par match mais que ce serait à moi de montrer que je mérite d’être sur le parquet. C’est pour ça aussi que je voulais y aller : je veux me prouver à moi-même que je peux jouer en Jeep ÉLITE. Je veux savoir si j’ai le niveau. Et je pense que je l’ai, oui. C’est normal que les supporters de Limoges aient des doutes sur moi. Je suis sûrement le joueur qu’ils connaissent le moins, j’arrive d’une petite équipe de Pro B, c’est même normal qu’ils puissent même être un peu mécontents. Mais ça ne m’affecte pas. J’ai entendu parler du contexte de Limoges et je pense que ça peut m’être bénéfique. Ce n’est pas quelque chose qui m’a traversé l’esprit quand j’ai signé. Depuis que j’ai quitté mon pays, je suis sous pression de toute façon. J’ai vécu tellement de choses que ça m’a endurci.
Je suis parti de rien en Europe et là, j’ai tout. Je pense maintenant à la nationalité française mais c’est un peu compliqué. Il faudrait que j’aille à l’école en France pour passer mes diplômes afin de pouvoir la demander. J’attends donc de terminer ma carrière avant de le faire. Même quand j’étais au plus bas niveau espagnol, j’ai toujours cru que je pourrais en arriver là. Ça a été un sacré parcours et sincèrement, j’en suis très fier. Les sacrifices entrepris ont été payants. Si j’avais à le refaire, je n’hésiterais pas. Et même si ça s’était mal passé, je pense que je le referais ! »
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